Quel a été votre parcours avant LivingPackets ?
Je suis diplômé de l’École des Arts et Métiers de Paris. Ce qui est intéressant avec cette formation d’ingénieur généraliste, c’est qu’elle permet de découvrir tous les produits et techniques via un apprentissage assez large. Le graal, c’est de travailler dans les secteurs industriels où il y a beaucoup d’innovation et j’ai eu la chance, dès ma sortie d’école, d’intégrer le groupe automobile Stellantis* pour travailler sur la conception des chaînes de traction : boîte de vitesse, différentiels… Sur cette partie du véhicule, c’est un travail très stimulant car il rassemble plusieurs constructeurs. J’ai été notamment amené à travailler directement avec des ingénieurs de marques asiatiques, allemandes, italiennes ou anglaises, de très belles expériences de vies.
Après 13 ans passés chez PSA en région parisienne, j’avais deux souhaits : faire découvrir à mes enfants la région nan- taise, dont je suis originaire, et intégrer un nouveau domaine de technologie. C’est pour cette raison que j’ai rejoint le groupe Atlantic, leader européen du génie climatique basé à La Roche-sur-Yon. J’ai pris la direction de l’équipe R&D “eau chaude sanitaire“ pour créer une gamme de chauffe-eau thermodynamiques qui consomment quatre fois moins et j’ai ainsi travaillé six ans au sein du groupe Atlantic.
Quel a été le déclic qui vous a poussé à entreprendre ?
Quand vous êtes ingénieur, vous avez envie d’écrire votre histoire personnelle à un moment donné de votre carrière. Cette envie a grandi chez moi au fil des années. Ensuite, il faut avoir le courage. Une notion pas évidente à aborder quand on évolue dans des grands groupes industriels. Je me suis posé plusieurs fois la question de savoir si j’étais prêt et, j’avoue que je n’avais pas forcément le cran de me lancer. Finalement, ce sont des rencontres, des opportunités et un support extérieur qui m’ont poussé à créer mon entreprise. J’ai notamment eu la chance de croiser la route d’un entrepreneur multirécidiviste, qui ne souhaite pas être mis en lumière. Avec lui, le courant est vite passé.
Qu’est-ce qui vous a séduit chez lui et inversement ?
C’est d’abord son expérience en tant qu’entrepreneur et sa passion pour la logistique. J’ai toujours été attiré par les gens passionnés et je suis convaincu que c’est ce même trait de caractère qui l’a également séduit chez moi. La passion est un sentiment profond qui rassemble les gens. D’ailleurs, quand nous avons pris conscience qu’il y avait un marché extrêmement large pour réaliser de la R&D sur la logistique et que nous étions aussi passionnés l’un que l’autre, nous avons foncé. Nous sommes partis du constat que, chaque jour, des millions de colis sont perdus ou endommagés. Or, dans beaucoup de domaines d’activité, il est essentiel que le produit arrive à l’heure et en bon état. C’est cet axe que nous avons décidé de creuser.
À quand remonte la création de votre start-up à impact ?
J’ai commencé à travailler sur le projet, à Nantes, dès 2016. Dans un premier temps, j’ai développé un service de livraison de colis collaboratif, qui permettait aux voyageurs qui prenaient le train d’en transporter contre rémunération. Un moyen de rendre service tout en rentabilisant leur trajet. Nous avons ouvert en 2017 la première ligne, Paris-Londres, puis Paris-Lille. C’était une solution logistique sans impact écologique puisque le déplacement était déjà prévu. Et elle était particulièrement efficace puisqu’elle permettait de livrer en quelques heures la majorité des villes grâce au réseau ferroviaire. Avec 4 000 TGV au départ de la capitale quotidiennement, être présent à Paris était essentiel à notre développement.
Cependant, tout ne s’est pas passé comme prévu l’année suivante ?
Effectivement, en 2018, la SNCF nous a demandés de reconsidérer notre proposition dans une logique future de commercialisation de ses espaces bagages. Il a fallu trouver une autre solution et nous avons immédiatement décidé de nous reconcentrer sur la problématique des emballages dans la logistique et de leurs déchets. Là encore, nous avons rapidement réalisé que l’emballage était la solution transversale qui permettait de créer une infinité de services.
D’autre part, une étude de la Fédération de la vente à distance avait établi en 2018 que 47 % des e-consommateurs ne souhaitaient plus recevoir de carton. Une transformation semblait s’amorcer… À mon sens, l’emballage de demain sera 100 % réutilisable, et il pourra aussi bien être transporté par des logisticiens que des particuliers. En fonction de votre localisation ou de vos préférences, il pourra vous inviter à participer à une économie de circulation. L’emballage du futur sera ni plus ni moins que la consigne de nos grands-parents mais intégrant tous les services digitaux possibles et imaginables.
Tout est devenu clair assez rapidement : avec la technologie développée pour notre service de livraison de colis collaboratif, nous avions déjà tout pour proposer un emballage sécurisé, connecté et innovant, dans une logique d’optimisation de la logistique et du zéro déchet. Ensuite, la période du Covid est arrivée, repoussant la commercialisation de l’emballage de demain jusqu’à début 2022. Néanmoins, nous avons profité de cette période pour peaufiner la R&D et avons déposé une cinquantaine de brevets au regard des innovations qu’il intègre.
« la tablette nous permet de développer une infinité de services : suivi de livraison par géolocalisation, enregistrement des chocs, suivi de la température et de l’hygrométrie, alerte en cas d’intrusion… »
Justement, pouvez-vous présenter ses caractéristiques ?
Il s’agit d’une boîte pliable en polypropylène (PP) abritant une tablette. Elle bénéficie d’un calage intégré et se plie et se déplie en cinq secondes. Cela lui permet d’être utilisable en deux formats : 2 et 32 litres, soit la taille de deux boîtes à chaussures. Notre emballage est compatible avec tous les marchés dont le e-commerce, et plus particulièrement aux marchés qui sont sensibles au contrôle de leurs expéditions et à leurs impacts (téléphones portables, montres, ordinateurs, textiles…)
Aujourd’hui, c’est le premier emballage sécurisé, réutilisable et intelligent. Toute cette intelligence rassemblée dans la tablette, nous permet de développer une infinité de services pour les entreprises, les particuliers et les plateformes de vente en ligne : suivi de livraison par géolocalisation, enregistrement des chocs, suivi de la température et de l’hygrométrie, alerte en cas d’intrusion, choc ou anomalie sur un colis. Et c’est aussi un moyen de nous démarquer sur le marché de la logistique.
Quelles technologies sont embarquées dans cette tablette ?
Grâce à la tablette, qui deviendra selon moi l’étiquette numérique de demain, nous pouvons intégrer toutes les technologies de connectivité d’un smartphone dans nos emballages. Son écran permet par exemple d’afficher des informations logistiques, d’adresser un message sonore ou vidéo au destinataire ou d’effectuer une transaction financière. Il est également en mesure de reproduire toutes les étiquettes d’expédition et ne consomme aucune énergie grâce à la technologie E-ink (papier électronique). Sa caméra permet de visionner en temps réel le contenu. Un moyen de rassurer nos clients mais aussi de faciliter les contrôles aux frontières.
En parallèle de votre emballage, vous avez également commercialisé cette tablette. Quel est votre objectif ?
Nous avons conçu notre emballage avec une approche modulaire comme c’est le cas dans le secteur automobile. De cette façon, l’intelligence peut s’adapter à toutes les formes d’emballages. Elle peut par exemple être montée sur une caisse en bois ou un conteneur de bateau… C’est important de ne pas nous limiter à une seule version mais plutôt de considérer l’emballage comme un générateur de services et d’avoir un système adaptatif. Nous voulons ainsi favoriser le réflexe de réutilisation, quelle que soit la forme de l’emballage. C’est notre mission première et c’est ce qui donne à l’entreprise une fonction sociétale.
Qui sont vos clients ?
Nous nous adressons à tous les marchés sensibles à cette optimisation logistique et écologique. Donc en priorité aux entreprises qui effectuent des envois stratégiques et qui ont besoin d’avoir un contrôle sur leurs livraisons. C’est le cas du marché de l’art. Il s’agit de pièces uniques ou quasi uniques, qu’on ne peut pas remplacer, d’où l’importance de sécuriser les livraisons. Nous travaillons également avec le marché du luxe, dont les acteurs sont de plus en plus sensibles à l’écologie, mais aussi avec le marché de la high-tech. Parmi nos clients, il y a enfin des logisticiens, des assureurs de transport, des laboratoires pharmaceutiques ou négociants en vin.
Comment sont conçus vos emballages ?
Nos produits sont conçus au sein de notre centre R&D situé à Sainte-Luce-sur-Loire. Nous y développons l’emballage du futur, mais aussi les services qui favorisent la réutilisation comme le retour automatique, la possibilité d’essayer avant d’acheter, le re-routing, c’est-à-dire la possibilité d’envoyer le colis vers un client numéro deux plutôt que d’effectuer une livraison retour.
Au sein de ce centre, nous développons également des moyens de production. L’objectif est de permettre à des acteurs industriels de créer, d’assembler nos emballages et de les distribuer sur leurs propres marchés. Il n’y aurait pas intérêt à ce que tous les emballages soient fabriqués à un seul endroit pour être ensuite distribués sur toute la planète. Il vaut mieux que chaque marché, n’importe où dans le monde, puisse produire et assembler des emballages sur son territoire, toujours dans une logique de sourcing local.
Quel est votre modèle économique ?
Nous avons opté pour un modèle de coût par utilisation, plus connu sous le nom de “pay per use“. Cela signifie que nous facturons le service d’utilisation de l’emballage réutilisable. Plutôt que d’en acheter un qui deviendra un déchet, vous payez pour chaque envoi effectué. C’est exactement le même principe que pour l’autopartage. Le coût de l’envoi dépend du nombre d’envois et du niveau de services choisis. La fourchette se situe entre 8 € pour un envoi basique et 230 € pour un envoi avec nos services les plus exclusifs.
Quelle place aura selon vous l’emballage réutilisable dans la logistique de demain ?
L’emballage réutilisable est une nécessité. C’est une transformation progressive, nécessaire et utile. Il faut considérer aujourd’hui l’impact écologique de la solution des emballages à usage unique. On les voit sur les trottoirs. Ce sont des produits qu’il faut récupérer avant de les recycler. Ça nécessite des tonnes d’eau, de l’énergie à chaque cycle, avec beaucoup de pertes. Aujourd’hui, on peut penser le service de l’emballage de manière différente et le réutilisable deviendra demain un standard, quels que soient les marchés.
Quels sont les enjeux d’avenir de l’emballage dans un secteur logistique où le digital est de plus en plus présent ?
Le seul produit qui est transversal à tout l’écosystème logistique, c’est l’emballage. Donc si on veut optimiser le système, il faut pouvoir mesurer toute la chaîne logistique en suivant notre emballage à chacune des étapes. C’est le seul moyen d’optimiser les parcours, de favoriser les boucles de circulation et de créer de nouveaux services et systèmes d’approvisionnement. C’est pour cette raison que l’emballage intelligent est une vraie révolution.
« Permettre au consommateur final d’accéder à une certaine forme de partage de l’économie tout en étant récompensé de son investissement pour la planète »
En quoi LivingPackets apporte sa pierre à l’édifice de la transition ?
L’emballage réutilisable permet d’éviter la récupération de déchets et les boucles de recyclage. Il ne faut pas oublier que réutiliser est toujours plus efficace que recycler et que le carton se recycle trois fois en moyenne aujourd’hui. Grâce aux caractéristiques de réutilisation de notre emballage, on économise 85 % par rapport à l’impact en CO2 d’un emballage à usage unique. Mais on va beaucoup plus loin si nous prenons en considération les tonnes de matériel que l’on récupère dans le cadre du re-routing. Du coup, chaque acte de récupération est autant d’économie de CO2. Finalement, l’emballage réutilisable a un impact neutre voire bénéfique et il représente une vraie solution de puits de carbone.
Quelle est votre capacité de production actuelle ?
Aujourd’hui, le centre de R&D permet de réaliser des pré-séries. Avec notre logique de sourcing local, nous ne sommes pas drivés par la capacité de production mais plutôt par l’agilité à produire tous types d’emballages. Nous avons une ligne de production pilote, adaptable et configurable, qui nous permet de produire différents types de configurations, de manière simple et rapide.
À quels sous-traitants locaux avez-vous fait appel ?
Le polypropylène vient de Vair-sur-Loire, les pièces en plastique sont injectées en partie à Tours, et nos machines viennent de Carquefou. Ce réseau local démontre qu’un emballage comme le nôtre peut être approvisionné et fabriqué partout dans le monde en s’appuyant sur un sourcing local.
Ce sourcing local vous permet-il d’échapper aux difficultés d’approvisionnement ?
Nous avons connu, comme tout le monde, des difficultés qui font qu’aujourd’hui nous n’avons pas forcément produit les quantités souhaitées. Mais il ne s’agit que d’une question de temps. La période de crise n’étant pas terminée, nous avons décidé de mettre provisoirement de côté le e-commerce pour nous consacrer aux envois critiques, à savoir les applications où les questions de traçabilité et de sécurité sont cruciales. Car quand vous n’avez pas les quantités nécessaires pour aborder le e-commerce, il vaut mieux se concentrer sur les marchés où le besoin de sécurité et la volonté d’agir immédiatement sont beaucoup plus fortes. Aujourd’hui, il y a dans les verticales de marché, des acteurs qui sont très sensibles à leur impact et volontaires pour permettre à cette transformation de naître. Donc, c’est pour nous une bonne réponse aux difficultés d’approvisionnement actuelles.
« L’idée est de comprendre comment notre emballage est perçu par les utilisateurs afin de l’améliorer »
C’est également dans ce cadre que vous avez ouvert en début d’année un showroom à Paris ?
Nous avions des bureaux à Paris que nous avons transformés en salon d’accueil car il n’est pas simple de mettre en évidence tout ce que notre boîte sait faire. L’emballage du futur est visible sur place. Les clients découvrent le produit, peuvent le voir, le toucher et poser des questions. Cela nous permet de nous faire connaître du grand public tout en récupérant du feedback. L’idée est de comprendre comment notre emballage est perçu par les utilisateurs afin de l’améliorer. Mais il y a une autre dimension qui est très intéressante, c’est que quand vous parlez de flotte d’emballages en libre circulation, vous pouvez tout à fait aller vers une économie de partage.
Vous faites référence au nouveau modèle économique que vous avez lancé durant l’année à destination des particuliers ?
Oui, nous proposons désormais aussi nos emballages à la vente aux particuliers, au prix de 399 €. Nous partageons en retour 30 % des bénéfices liés à la location. Ce nouveau modèle économique de partage correspond selon nous à l’économie du futur.
Notre emballage est le produit idéal pour l’économie de partage car vous achetez un produit vertueux qui, grâce à sa circulation, va vous permettre de percevoir un loyer. C’est une bonne manière de permettre au consommateur final d’accéder à une certaine forme de partage de l’économie tout en étant récompensé de son investissement pour la planète.
Nous croyons beaucoup à ce modèle de développement basé sur le partage.
Sur le plan international, quelles sont vos ambitions ?
Un projet comme le nôtre suscite de l’intérêt au-delà de nos frontières et nous avons des connexions en Asie, en Europe du Nord et aux États-Unis. Néanmoins, nous n’avons pas encore de cellule à l’international. Le développement de notre activité conduira, j’en suis convaincu, à la création de cellules de développement et de production sur d’autres territoires. Nous irons en priorité sur les marchés où la vitesse de transformation et la capacité à se réinventer au quotidien seront les plus fortes. D’ici quelques années, je vois donc LivingPackets avec un rayonnement international.
L’emballage intelligent, c’est une transformation majeure, indispensable et latente. Il est donc essentiel que notre développement à l’international se fasse de manière progressive. La bonne nouvelle, c’est que la prise de conscience écologique est planétaire et que la transformation semble engagée dans le monde entier.
- Groupe automobile né de la fusion du groupe PSA et de Fiat Chrysler Automobiles.