Couverture du journal du 19/04/2024 Le nouveau magazine

Fablab : un outil hybride au service des entreprises

Rendre la fabrication accessible à tous, c’est la vocation première du fablab. Espace d’expérimentation collective et de partage de connaissances, ce tiers-lieu offre de nombreuses possibilités aux entreprises. Quels sont ses atouts et en quoi est-ce un outil d’avenir ? Deux questions au cœur d’une table ronde organisée récemment au Centre de ressources en innovation (Cri) à La Roche-sur-Yon.   

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Les intervenants de la table ronde "Fablab : outil obsolète ou d’avenir" organisé par le Centre de ressources en innovation de La Roche-sur-Yon. De gauche à droite : Maxime Bernard, Lisa Sinardet-Léron, Frédéric Bruet, Damien Henry et Gwénaël Delaunay . ©IJ

Tiers-lieu ou espace du faire, le fablab est par définition un lieu où l’on vient fabriquer des choses. Né aux États-Unis, au sein du MIT (Massachussetts institute of technology), dans les années 1990, le concept s’adressait à l’origine à des étudiants ou chercheurs ayant un haut niveau d’abstraction. L’objectif était alors de leur permettre de poursuivre leurs travaux de façon concrète. À partir des années 2000, les entreprises se sont progressivement emparées du concept, séduites par le champ des possibles : rendre la fabrication accessible à tous et facilement.

Au fil du temps, ces espaces d’innovation ont évolué en fonction du contexte d’application. « Bien au-delà de juste fabriquer, la vocation du fablab est aujourd’hui de partager des connaissances et de créer des choses en commun, explique Maxime Bernard, directeur de Collaborative Lab, une société qui aide acteurs privés et publics à développer leur potentiel collaboratif. C’est un lieu d’expérimentation hybride. » À l’heure de la démocratisation des outils à commande numérique, le fablab est un concept loin d’être obsolète pour les entreprises, comme l’a démontré la conférence organisée récemment par le Centre de ressources en innovation (Cri) à La Roche-sur-Yon.

Un booster d’innovation complémentaire

Pour les experts réunis autour la table, le fablab est sans conteste un « booster d’innovation ». « Fabriquer permet de valider, lever un doute, souligne Lisa Sinardet-Léron, fablab manager du réseau des fablabs de Thales Alenia Space, filiale de Thalès qui fabrique des satellites. Depuis 2017, c’est chez nous un outil piloté par le service innovation et ouvert à tous les salariés. Via la création d’une maquette, chacun peut prouver que son idée n’est pas bête et qu’elle fonctionne. »

« C’est une boîte à outils pour répondre aux irritants », complète Frédéric Bruet, fabmanager du fablab de la Direction générale de l’armement (DGA).  Un irritant, c’est le petit grain de sable qui gêne la production, l’organisation au quotidien. Ce sont souvent de petites choses qui, sans mettre en péril la production, sont des points bloquants susceptibles de dégrader les conditions de travail.

« Nous faisons des essais privés pour Airbus, Dassault ou les militaires, explique Frédéric Bruet. Chaque essai est unique et nécessite de s’adapter. Dès que nous avions besoin d’un outillage spécifique, il fallait passer par le bureau d’études, en respectant les process et les délais. Nous avons créé un fablab il y a près de six ans pour lever tous ces freins. C’est un outil où, en quelques heures, quelques jours, les salariés vont pouvoir passer de l’idée au prototype. Le fablab est complémentaire des dispositifs d’innovation existants. Une fois que le produit semble fiable, nous repassons en management de projet classique. La production n’est pas la vocation d’un fablab. » Lisa Sinardet-Léron acquiesce : « Le fablab vient complémenter l’organisation industrielle avec ses process bien établis et peu flexibles qui ne permettent pas de résoudre ces petits problèmes du quotidien et font perdre du temps. »

Le droit à l’erreur

Si le fablab libère la créativité, c’est d’abord parce que le droit à l’erreur y existe pleinement. Ici, il est possible de se tromper sans danger ou sans mettre en péril l’entreprise. « C’est un espace où l’on réfléchit différemment, où l’on ose faire des choses et où l’on apprend à faire rapidement », souligne Frédéric Bruet de la DGA.

« On peut se planter à pas cher sans avoir à mettre en place un groupe de travail qui va mobiliser X personnes sur un temps long », renchérit à son tour Damien Henry, fabmanager du Blue Lab à Saint-Nazaire. Une imprimante 3D, une machine à découpe laser ou tout autre outil à commandes numériques permettent de valider ou non une idée rapidement, et ainsi de réaliser des économies substantielles. C’est le cas chez Thalès Alenia Space où les montants investis pour la conception d’un satellite sont par principe importants. « Un sous-traitant peut nous proposer une solution à 50 000 voire 100 000 € alors qu’au sein du fablab, nous répondons à la problématique de la production à 400 €, illustre Lisa Sinardet-Léron. Avec un seul projet, nous avons « remboursé » le coût du fablab. »

Attractivité et lien social

Qu’il soit intégré au sein de l’entreprise ou rayonnant dans la sphère publique, le fablab a aussi pour vocation de sensibiliser aux outils numériques des publics divers, agissant ainsi contre l’illectronisme(1) Cette acculturation favorise l’émergence d’idées innovantes qui seront ensuite expérimentées au sein de fablabs. « Cela va même plus loin, réagit Lisa Sinardet-Léron. Les gens se retrouvent autour des nouvelles technologies, mais également sur des sujets qui ne sont pas forcément techniques. Au sein de nos fablabs, nous leur proposons des cours sur ce qu’est une start-up, pour apprendre à pitcher ou encore sur l’innovation pour les nuls, autant de sujets qui ne sont pas travaillés au sein de l’entreprise. »

En rendant l’innovation accessible à tous, le fablab crée aussi du lien social (et économique) entre les services et les métiers. « L’impact sur les salariés est très positif, confirme Lisa Sinardet-Léron. Ils se sentent utiles. Ils sont contents de faire avancer ensemble les choses, et pas seulement autour des satellites, mais aussi sur les bâtiments, la vie de la cantine. Certains m’ont même confié se sentir plus productifs après une séance au fablab ou avoir trouvé une solution à une problématique en lien avec leurs missions quotidiennes. »

De l’innovation boostée à la cohésion d’équipe renforcée, les atouts des fablabs sont multiples pour les entreprises. Il peut aussi être une brique de communication au service de la marque employeur. « Nous avons des difficultés à garder nos jeunes ingénieurs. Avoir un fablab contribue à rendre l’entreprise attractive pour ces jeunes générations en quête de sens, quel que soit le métier », indique Lisa Sinardet-Léron.

Ralentir la phase d’industrialisation ?

« Innover via un fablab ne risque-t-il pas de ralentir le passage à la phase d’industrialisation ? interroge un participant. Le prototypage est rapide. Et si l’entreprise n’a pas de bureau d’études, si les plans ne sont pas précis, il faut tout refaire. » « Vous gagnez du temps sur la partie idéation, rappelle Lisa Sinardet-Léron. Une fois le concept vérifié, vous le réinjectez dans le processus industriel, et là, vous avez de de la documentation car vous avez de l’expérience, une expertise. Vous ne perdez pas de temps. Et dans les cas où il est difficile de passer du Poc (preuve de concept, NDLR) à l’industrialisation, il y a sans doute un nouveau concept de fablab à imaginer : le lab d’ingénierie. Il s’agit d’un laboratoire qui fait le lien entre l’expérimentation et l’exploitation et qui maîtrise mieux la fabrication, le savoir-faire métier que nous, au sein d’un fablab. Le lab d’ingénierie permet d’accélérer la phase d’industrialisation. »

 

 

Icam Vendée : un fablab « mission industrielle »

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Le fablab de l’Icam Vendée est un outil pédagogique où les étudiants ingénieurs de dernière année peuvent venir tester leur créativité dans le cadre des missions scientifiques et industrielles. ©David Fugère

Dans le cadre de leur dernière année d’études, l’Icam Vendée (2)  propose à ses étudiants ingénieurs de participer à une mission scientifique et industrielle. Des entreprises locales contactent l’école d’ingénieurs basée à La Roche-sur-Yon avec une problématique technique ou organisationnelle. Les étudiants ont six mois pour la résoudre. Sur les 20 projets retenus chaque année, un quart environ utilise le fablab de l’Icam Vendée, ouvert il y a quatre ans. Gwénaël Delaunay en est le fablab manager. « C’est un outil pédagogique pour stimuler la créativité des étudiants, tester leurs idées dans le cadre de TP (travaux pratiques) ou de ces missions scientifiques et industrielles. Dans ce cas précis, il s’agit de projets typés R&D, conception ou développement produit. Le fablab va les aider à matérialiser leur Poc. »

L’intérêt pour les entreprises partenaires ? « Sortir l’innovation de l’entreprise pour ouvrir les esprits, avoir une souplesse et une flexibilité qu’un bureau d’études n’aura pas. Cette prestation s’adresse aussi à des clients industriels qui n’ont pas les moyens humains ou techniques en interne de réaliser un prototypage rapide. » Coût de la prestation : entre 15 000 et 20 000 €, selon le projet.

 

Un exemple ? « Il y a cinq ans, Fives, sous-traitant nantais pour des équipementiers automobiles, est venus nous voir avec une problématique pour rationaliser le remplissage de réservoir (lave-glace, liquide de refroidissement). Grâce au fablab, les étudiants ont pu aller à l’essentiel en quelques mois. Ils ont mis au point leur produit à partir de pièces de quincaillerie du commerce, de tubes en acier et de pièces imprimées en 3D. Le client a testé le Poc sur ses machines et l’a intégré dans la foulée à son bureau d’études pour industrialisation. »

 

(1) Néologisme né de la contraction des notions d’illettrisme et d’électronique. Il renvoie à la fracture numérique.

(2)Le réseau Icam, c’est 13 sites à travers le monde dont sept en France, et autant de fablabs.

 

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