Comment est née Alouette ?
Bertrand de Villiers : La radio a été créée peu de temps après la promulgation du décret de libéralisation des ondes[1]. La première émission a eu lieu le 28 novembre 1981. L’initiative venait de mon frère Philippe et de quelques bénévoles du Puy du Fou dont la famille Briand, des industriels alors en plein développement qui nous ont prêté des locaux et fourni du matériel. Très vite, nous avons embauché une quinzaine de salariés, parmi lesquels des professionnels qui n’avaient pas réussi à intégrer le circuit très restreint de la radio à l’époque.
Quel était le statut de la radio à ce moment-là ?
BDV : La forme était associative. Mon frère en était le président. Et moi, alors que j’étais instructeur à l’École de cavalerie de Saumur, je m’occupais de l’émission religieuse du dimanche matin dont personne ne voulait. Il y avait à ce moment-là environ 300-400 bénévoles, tout le monde voulait apporter sa pierre à l’édifice. Quand début 1983, j’ai pris la direction de la radio, j’ai amené le savoir-faire que je maîtrisais de par ma formation militaire, à savoir la discipline collective et la rigueur professionnelle. J’avais à cœur de donner une image dynamique à quelque chose qui était au départ assez désordonné. C’était nécessaire pour perdurer. Il y a eu jusqu’à 1 500 radios libres. Aujourd’hui, il en reste entre 130 et 150, devenues privées et indépendantes.
Quelles étaient les sources de revenus à l’époque ?
BDV : Au départ, nous vivions du sponsoring. Jusqu’en 1984, nous n’avions pas le droit de faire de publicité à l’antenne. Il n’y avait à l’époque que deux radios privées en France, Europe 1 et RTL. Il y avait aussi RMC, Radio-Monte Carlo mais qui appartenait à Monaco. Des entreprises du Nord Vendée nous ont alors apporté leur soutien financier : Jeanneau, Fleury Michon, la société Albert (aujourd’hui CWF, NDLR), Eram, Patrick… Il n’y avait pas les mouvements économiques actuels, les groupements d’entreprises. On faisait aussi des tombolas et on vendait des autocollants à placer sur la lunette arrière des voitures. On avait une émission intitulée « Bonjour M. Le Maire » présentée par Véronique Besse[2] qui nous a permis d’avoir à l’époque un soutien de l’ordre de 10 % de la part des collectivités locales.
À quoi ressemblaient les programmes au tout début ?
BDV : Au départ, on cherchait à imiter les grandes radios, en faisant tourner la radio 24h/24. Il y avait des noctambules, qui étaient à l’antenne de 22h à 5h. Les animateurs choisissaient les 45 tours en fonction de leur humeur avec une tentative de coordination. Petit à petit, avec l’arrivée de l’informatique au début des années 1990, les programmes sont devenus des programmations. En 1994, on a acquis le logiciel américain Selector, qui a permis d’homogénéiser notre format musical. C’est d’ailleurs à ce moment-là que l’audience a décollé. Aussi parce que nous avons commencé à obtenir de plus en plus de fréquences.
Une fois qu’on a prouvé qu’on avait des racines, on a travaillé les ailes pour aller plus loin. Bertrand de Villiers
Pourquoi avoir choisi d’appeler la radio Alouette FM ?
BDV : Le premier nom était précisément « l’Association pour la diffusion de la culture populaire au Pays des Alouettes » : ADCPPA. Alouette FM, c’était à la fois très original et en même temps, cela allait de soi parce que le pylône était installé au sommet du Mont des Alouettes. L’idée était de montrer où était l’épicentre de la radio. À l’époque, le périmètre maximal de diffusion autorisé était de 30 km autour d’un pylône et l’ambition n’était pas encore régionale. Une fois qu’on a prouvé qu’on avait des racines, on a travaillé les ailes pour aller plus loin. Les slogans de l’époque étaient « La radio au pays », « Ce n’est pas parce que le périphérique parisien s’embouteille que la France bouchonne », « Alouette FM, la radio qui plume les parisiennes ». Il y avait un côté cocardier. Nous voulions montrer qu’on pouvait ici aussi faire du divertissement de qualité. En 1995, le nom de la radio a évolué pour devenir simplement Alouette. Enlever le FM a été en quelque sorte prémonitoire, puisqu’aujourd’hui cela n’inclut pas le digital. Et c’est un coup de chance, parce que le DAB[3] a fait son apparition deux ou trois ans après.
Comment est-ce que le statut de la radio a évolué ?
BDV : Le 1er janvier 1985, l’association est devenue une société, une SARL. Après l’évolution de la loi[4], nous avons pu créer une régie publicitaire. Je me souviens que nous nous étions abonnés à des magazines de publicités. Je suis tombé assez vite sur les tarifs des radios comme RTL, Europe 1, RMC. J’ai fait des calculs par rapport à notre audience et je me suis dit : on est en train de passer à côté d’un modèle économique indispensable. En 1987, nous sommes passés en SA[5] avec des actionnaires externes, dont le groupe Pierre Fabre alors propriétaire de Sud Radio. Parmi les investisseurs, il y avait le Crédit Mutuel Océan, toujours au capital aujourd’hui. On a toujours eu avec nous des financiers (minoritaires) pour poursuivre notre développement, notamment quand nous avons construit en 1992 le siège, inauguré en 1993. À l’époque, Didier Barbelivien était venu poser la première pierre, pesant une centaine de kilos, acheminée par hélicoptère. Depuis le début de la radio, nous logions dans l’usine historique du groupe Briand (rue des Pierres Fortes, aux Herbiers, NDLR). D’un commun accord, compte tenu de l’ampleur que prenait la radio, nous avons souhaité prendre notre indépendance immobilière.
L’autorisation de faire de la publicité sur l’antenne a été un véritable tournant pour le développement de la radio.
BDV : Oui et on s’y est mis très vite. Les premiers annonceurs ont été des banques, le Crédit Agricole notamment. Le véritable accélérateur a été la création en novembre 1992 du GIE Les Indépendants[6] devenu Les Indés Radios. Cela nous a permis d’accéder aux annonceurs nationaux. Nous avons d’abord eu pour partenaire le groupe Lagardère. Puis en 2008, nous avons conclu un accord avec TF1 Publicités. Le chiffre d’affaires du GIE est passé d’1,5 M€ la première année, à près de 100 M€ l’an dernier[7]. Il était de 30 M€ en 2008.
Comment arrive-t-on en 2023 à convaincre les annonceurs de faire de la publicité à la radio, alors que bien souvent, ils communiquent eux-mêmes via leurs réseaux sociaux, ou ont un budget limité dans un contexte d’inflation ?
BDV : Nous faisons tout d’abord confiance à notre régie nationale TF1 Publicités, chargée de négocier avec des centrales d’achat et des grosses entreprises qui ont de toutes façons besoin de communiquer. La concurrence est rude par rapport aux autres supports publicitaires, parce que l’audience globale du produit Les Indés Radios comme de l’ensemble des radios commerciales RTL et Europe 1 est en baisse. Il faut redonner de la valeur à la seconde vendue. Pour l’instant, TF1 Publicités réussit à convaincre. Sur le plan local, le plus compliqué, c’est de trouver des gens de talents. Pour être commercial, il faut beaucoup d’énergie et d’équilibre psychologique. Quand on a conclu un contrat avec un client, ce n’est pas sûr que l’année suivante, il ait les mêmes besoins ou les mêmes capacités. Notre spécificité, c’est de choisir des commerciaux qui vont prendre en charge des zones très grandes. Cela permet d’avoir des tarifs conséquents mais nos annonceurs sont rassurés. On propose des spots de qualité, qui n’ont rien à envier aux spots nationaux.
Victoire, vous avez grandi avec le développement de la radio. Quel regard portez-vous sur cette aventure entrepreneuriale ?
Victoire de Villiers : Je n’ai pas connu les dix premières années, qu’on m’a décrites comme animées, voire folkloriques. Cela reste pour moi quelque chose d’un peu mythique. C’est un peu la radio avant la radio. J’ai connu les années de développement économique plus classiques. Le programme que j’ai vu et entendu évoluer, est finalement resté assez constant sur les années 1990-2000 et 2010. J’ai connu toute cette évolution et je m’y suis intéressée très tôt parce c’est devenu un média intergénérationnel.
C’était naturel pour vous de reprendre les rênes d’Alouette ?
VDV : J’ai grandi dans la radio. Habitant à côté, je venais régulièrement. J’ai véritablement fait mon entrée en 2014 à l’occasion d’un stage alors que j’étais en école de commerce, l’Essec. Je suis devenue salariée en 2018 en tant que chargée de communication, aux côtés de Joëlle Prouharam et Myriam Chauvin. Après avoir été directrice exécutive, je suis devenue directrice générale en mars 2022. La transmission effective date de l’année dernière, mais en réalité, cela faisait déjà trois ou quatre ans qu’on en parlait.
En 2014, quand vous avez véritablement mis un pied dans la radio, est-ce qu’on peut dire que cela correspond au moment où l’on a commencé à parler d’érosion de l’écoute ?
VDV : Effectivement on en parlait mais c’était encore assez lointain. Paradoxalement, cet été-là, nous avons enregistré notre meilleure audience avec 668 000 auditeurs. À l’époque, il n’y avait pas d’équipe digitale. J’avais alors mis en place les premiers réseaux sociaux. L’idée, c’était d’être de plus en plus présent sur ces supports. On a commencé avec des stagiaires, et assez rapidement, on a recruté. En interne, on a fait appel aux compétences d’un journaliste de la rédaction qui avait envie de s’investir sur la partie web. Petit à petit, cela a créé une équipe transverse entre les réseaux sociaux, le graphisme, et les contenus au sens journalistique. Près de dix ans après, ce n’est pas une source de revenus, mais c’est une partie importante de capitalisation sur notre image, qui nous permet de faire des partenariats très intéressants.
Aujourd’hui, il y a un grand retour du concert, du « live« . Avec les différents supports, on arrive à faire vivre les événements en 360. Victoire de Villiers
La digitalisation est aujourd’hui le maître-mot pour Alouette et les radios en général ?
VDV : Oui et c’est assez facilement que je prends en main cette évolution. C’est très intéressant sur le plan de la construction de la marque. Une vraie marque locale installée depuis plus de 40 ans, qu’il est essentiel de continuer à faire vivre sur des supports plus seulement audio, mais audio-digitaux. C’est sur cette partie-là que j’ai pu m’investir dès le départ. Cela va de pair avec les changements d’habitudes d’écoute. Le média radio est bien installé mais un peu boudé par la nouvelle génération. Notre idée, c’est d’aller chercher une nouvelle audience, en particulier sur les réseaux sociaux. Et en faisant appel à des stagiaires et des alternants, c’est intéressant aussi d’avoir la vision des plus jeunes qui restent réceptifs au média radio, tout particulièrement parce qu’on a gardé le côté « expérience » avec l’organisation d’événements. Aujourd’hui, il y a un grand retour du concert, du « live ». Avec les différents supports, on arrive à faire vivre les événements en 360.
BDV : Grâce à ce mix audio-digital, nous décrochons moins que les autres radios. Depuis 2014, en gros depuis le début de l’érosion, Alouette a perdu environ 4 % de son audience, tandis que le groupe NRJ en a perdu 40 %[8].
Quelles sont vos perspectives de développement aujourd’hui, alors que la bande FM est quasi saturée ?
BDV : Aujourd’hui, Alouette est la radio indépendante qui a le plus grand parc de fréquences (mis à part les radios thématiques telles que Oui FM ou Latina). Et pour poursuivre notre développement, nous avons racheté des radios. Il y a d’abord eu Beau Soleil en 1996 (Ancenis et Châteaubriant), ensuite Tempo (Finistère) et Magic (Limousin) en 2013. C’est à ce moment-là que nous avons accueilli Jean-Christophe Ruello, devenu aujourd’hui notre directeur exécutif. Nous avons enfin racheté Graffic FM (Indre-et-Loire) en 2019. Nous ciblons d’autres petites radios. Par ailleurs, le DAB+ est une technologie qui permet de nous développer encore. Nous émettons d’ailleurs depuis fin janvier au Mans, où l’on n’a jamais réussi à obtenir de fréquence en FM.
Quels seront les plus grands défis à relever dans les prochaines années ?
VDV : Il faudra tout faire pour pérenniser notre communauté d’auditeurs, faire aimer la radio aux générations futures et faire en sorte que la radio ne soit pas mangée par les plateformes et autres supports digitaux.
BDV : Il faut entretenir le miracle. Nous avons face à nous des radios de service public de grande qualité et des grands groupes, tels que Lagardère ou Altice. Si on était dans l’agroalimentaire, je dirais qu’il faut qu’on reste en tête de gondole.
Enfin, quels sont vos souvenirs les plus marquants ?
BDV : Les premières années, c’était les galas d’Alouette FM qu’on organisait avec Michel Drucker alors au sommet de sa popularité grâce à l’époque de « Champs-Elysées ». Il venait à titre amical faire une émission de variétés de façon décentralisée sous un chapiteau qui contenait 12 000 personnes avec un son d’enfer. On avait tous les grands chanteurs du moment. On a fait ça trois ans de suite. À l’époque, il n’y avait pas de grands spectacles comme ça en Vendée.
VDV : Quand j’avais une dizaine d’années, je me souviens du passage de L5 et de la Star Academy, au début des années 2000. Plusieurs centaines de personnes devant la radio. C’était impressionnant !
BDV : On était même inquiets !
VDV : Plus récemment, je garde un beau souvenir du concert que nous avons fait à l’Arena Futuroscope le 14 juin dernier : 6 000 personnes invitées et un très beau spectacle. C’est un grand souvenir, et le type d’événements que l’on compte bien réitérer.
En chiffres
493 000 auditeurs quotidiens (Médiamétrie – Janvier 2023)
46 fréquences en FM, 7 en DAB+ (une trentaine à horizon mi-2023)
6 millions d’habitants couverts (Bretagne, Pays-de-la-Loire, Centre-Val-de-Loire, Nouvelle Aquitaine) et à terme, jusqu’à 10 millions avec le déploiement du DAB+
CA : 8,3 M€ en 2022 (+7 % sur un an)
44 salariés
[1] Loi n°81-994 du 9 novembre 1981 « portant dérogation au monopole d’État de la radiodiffusion ».
[2] Ancienne maire des Herbiers, Véronique Besse est aujourd’hui députée de la 4e circonscription de Vendée.
[3] Le DAB ou DAB+ (Digital Audio Broadcasting) en français RNT (Radio numérique terrestre) est un système de radiodiffusion numérique qui permet de diffuser sur une même fréquence environ 13 stations radio. Contrairement à la TNT pour la télévision, cette technologie peut cohabiter avec la bande FM, le mode de diffusion classique de la radio.
[4] La loi du 23 mai 1984 autorise les radios locales privées à avoir recours à la publicité. En contrepartie, elles ne devront recevoir aucune aide de l’État.
[5] En 2001, Alouette a pris le statut de SAS.
[6] Le GIE (Groupement d’intérêt économique) Les Indépendants devenu en 2010 Les Indés Radios qui comptait au départ 18 radios, réunit aujourd’hui 130 stations (environ 8,5 millions d’auditeurs quotidiens). Jean-Éric Valli en est le président, Bertrand de Villiers, le premier vice-président.
[7] Le chiffre correspond aux recettes publicitaires nationales et ne comprend pas le CA local des différentes radios du groupe.
[8] – Selon l’étude « 126 000 » de Médiamétrie qui mesure l’audience de la radio aux niveaux national, régional et local.