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Entretien avec Pierre Frémiot, directeur d’AFB Atlantique : « on est en phase de décollage »

Appartenant au groupe AFB et spécialiste du reconditionnement informatique, AFB Atlantique, implantée à l’Est de Nantes, coche toutes les cases de l’IT responsable : sous statut d’entreprise commerciale à but non lucratif, cette entreprise adaptée fait travailler une large majorité de personnes en situation de handicap, qui donnent une seconde vie au matériel informatique. Son directeur, Pierre Frémiot, évoque pour nous les spécificités et les enjeux de son activité, en pleine croissance.

Pierre FRÉMIOT, directeur d’AFB Atlantique

Pierre FRÉMIOT, directeur d’AFB Atlantique © Benjamin Lachenal

Qui est AFB ?

Le groupe a été fondé en 2004, en Allemagne. La filiale française, elle, a été créée en 2012 à Annecy. AFB, ça veut dire « travail pour personne en situation de handicap » en allemand, ce qui montre bien la vocation sociale de l’entreprise dès sa création. Ses fondateurs étaient principalement des personnes issues de grandes entreprises informatiques, constructeurs ou leasers, et ils se demandaient comment donner une seconde vie au matériel qu’ils récupéraient. On a repris ces idées en France en 2012, à une époque où le numérique responsable n’était pas du tout une préoccupation. Le choix a alors été fait d’en faire une SAS à but non lucratif, un statut qui nous a permis de discuter avec des partenaires significatifs, ce qui n’aurait pas été possible avec un statut d’association.

Aujourd’hui, AFB est la première entreprise adaptée européenne d’informatique et son modèle commence à parler aux gens en termes économique, d’innovation sociale et sociétale.

Quel a été votre parcours jusqu’à la création du site nantais ?

Je suis originaire d’Annecy. J’ai connu l’entreprise par hasard alors que j’étais en reconversion professionnelle après 15 ans dans la logistique et autant dans l’industrie pharmaceutique. À l’occasion d’un Plan de sauvegarde de l’emploi en 2014, j’ai voulu me reconvertir, l’informatique ayant toujours été un point important dans ma vie. J’adore ça. J’ai été amateur de jeux vidéo pendant très longtemps et j’ai toujours aimé bidouiller l’informatique. J’ai donc suivi une formation de technicien mais je me suis rapidement rendu compte que ce métier n’était pas fait pour moi. Ça demande des qualités que je n’ai pas ! En revanche, j’aime la relation commerciale. Du coup, je suis allé voir Éric Laur, le président d’AFB France, en lui proposant de créer un site AFB à Nantes et il a dit « banco ».

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Quel a été l’accueil du marché ?

En arrivant en 2016, je n’avais pas de clients, pas de moyens, pas de relations, je ne connaissais absolument personne… Mais, à force de ténacité et de réseautage, j’ai ouvert pas mal de portes et donné de la visibilité à l’entreprise. J’ai ainsi intégré rapidement ADN Ouest, puis les Dirigeants Responsables de l’Ouest (DRO). Et c’est vrai que le projet a été très bien accueilli car il était en phase avec leurs valeurs. À l’époque, il y avait bien quelques associations œuvrant pour permettre l’intégration de personnes grâce au numérique, avec un rôle de fond important, mais il n’existait personne pour la cible professionnelle sur laquelle on se positionne.

J’ai pour habitude de comparer notre activité à la vente de véhicules d’occasion. Aujourd’hui, personne ne se demande si la voiture va rouler. Mais ça surprend encore beaucoup de monde d’acheter un PC d’occasion. Il faut dire que, pendant tout un temps, avec la baisse des prix du matériel informatique, personne ne voyait l’intérêt de ne pas acheter du neuf. Ce qui fait que plus personne ne réparait le matériel informatique… Mais, avec le changement de donne sur le plan écologique, on se rend compte qu’il va falloir changer nos habitudes. Du coup, c’est un métier qui revient sur le devant de la scène.

Quel est votre modèle ?

On rachète des parcs informatiques, principalement des PC portables et fixes, des moniteurs, tous les accessoires, les imprimantes, serveurs, clients légers… Typiquement, une entreprise nous contacte en nous disant qu’elle a 60 PC fonctionnels et, en fonction des caractéristiques, on lui fait une offre. Les grandes entreprises changent leur matériel tous les trois à quatre ans en moyenne. Elles ont tout le temps besoin d’être au top et d’avoir des parcs homogènes. Et nous, on leur propose de donner une seconde vie à leur matériel. C’est donc un partenariat gagnant-gagnant. Nos partenaires s’adressent à nous parce que l’on a la capacité de collecter le matériel avec nos propres véhicules, nos équipes. Et, parce que, quand elles nous le confient, elles sont rassurées quant à la sécurité des données. De plus, comme on est une entreprise adaptée, elles peuvent déduire notre prestation de service de leur Agefiph 1. Beaucoup ont du mal à atteindre les 6 % et du coup, faire travailler une entreprise adaptée comme la nôtre leur permet d’augmenter ce taux d’employabilité par le biais de la sous-traitance. Et nous, on peut créer de l’emploi.

Nos partenaires nous permettent aussi de crédibiliser toute la chaîne de valeur. Car malheureusement, les entreprises adaptées sont souvent victimes de préjugés. Le monde du handicap est encore trop souvent vu sous l’angle Esat, avec des personnes qui ont besoin d’être assistées. Alors qu’ici ce n’est pas le cas.

Quel process suit le matériel que vous récupérez ?

À l’atelier, chaque équipement est saisi individuellement, anonymisé aussi. On enlève tout ce qui peut permettre d’identifier l’entreprise partenaire. Puis on fait un audit complet de la machine et un effacement, avec une méthode reconnue par l’Agence nationale de sécurité informatique (Ansi) qui garantit que 100 % des données sont effacées de manière sécurisée. C’est cette garantie-là que les entreprises achètent aujourd’hui auprès de nous.

Que devient le matériel ensuite ?

Il y a deux voies possibles. La première est simple : le matériel est de mauvaise qualité – il est trop vieux, trop endommagé, il manque des pièces – et il est alors recyclé. Nous avons un partenariat avec un organisme d’État qui s’appelle Écologic qui garantit le bon démantèlement de ces équipements.

On fait également de la revalorisation en triant beaucoup d’éléments. Il y a aujourd’hui des entreprises qui sont capables de récupérer les matières nobles : le cuivre, l’étain, le zinc, l’or aussi. Et pour nous, c’est également la garantie qu’il n’y ait aucun équipement qui parte à l’étranger.

L’autre voie, elle, est de donner une seconde vie au matériel que l’on a retenu. Aujourd’hui, on est capables de reconditionner 65 % de tous les produits collectés. On va alors reprendre chaque PC et l’analyser complètement, de manière tant esthétique que de ses spécifications techniques. On va ainsi contrôler plus de 50 points qui vont nous permettre de savoir si le matériel est réparable ou non. S’il l’est, on va changer le disque dur, rajouter de la Ram, changer l’écran, le clavier… En ensuite on les commercialise, soit dans notre magasin, soit sur notre site internet.

Pierre FRÉMIOT, directeur d’AFB Atlantique

© Benjamin Lachenal

 

La loi nous oblige à garantir le matériel reconditionné pendant six mois, mais nous, nous le garantissons pendant un an et on propose même une extension sur un an supplémentaire pour une somme modique. Ça veut dire que l’on est vraiment sûrs de la qualité et de la durabilité des matériels que l’on commercialise. Et c’est ce qui fait la fierté des personnes qui travaillent ici car tout le monde travaille pour. C’est un vrai moteur pour nous.

Sur les 20 personnes que compte l’entreprise aujourd’hui, 15 sont en situation de handicap

Vous êtes une entreprise adaptée. Concrètement, comment cela se concrétise ?

Sur les 20 personnes que compte l’entreprise aujourd’hui, 15 sont en situation de handicap. Ce sont des personnes trois fois plus touchées par le chômage que les autres et qui souffrent souvent d’un déficit de formation initiale lié à leur parcours de vie. Souvent, elles ont un parcours chaotique, haché. Elles ont du mal à trouver des employeurs qui les fassent travailler dans la durée et évoluer. Et puis il y a aussi des personnes qui ont eu un accident de vie et qui sont obligées de se reconvertir. Après être arrivées ici, on voit toutes ces personnes se transformer. Par exemple, il y a un an, on a recruté quelqu’un de très introverti, mais son CV nous avait plu. Et aujourd’hui il dirige une équipe et s’est complètement ouvert, libéré. Quand je vois ça, je me dis « mission accomplie » ! Ils reprennent confiance en eux, ça leur redonne du lien social et, en parallèle, ça leur permet de recréer un parcours professionnel aussi. Car nous n’avons pas vocation à les garder tout le temps chez nous, on aime les voir partir dans des entreprises classiques parce qu’ils y ont toute leur place.

Votre activité est en plein développement ?

Pierre FRÉMIOT, directeur d’AFB Atlantique

Pierre FRÉMIOT, directeur d’AFB Atlantique © Benjamin Lachenal

Cette année AFB France, c’est 100 000 équipements reconditionnés et chez nous on est à 15 000. On n’a que quatre ans et on est vraiment en phase de décollage. En 2021, on va faire 900 k€ de chiffre d’affaires, contre 595 k€ en 2020 et 320 k€ en 2019. Les premières années, les gens regardent ce que vous faites de loin, mais aujourd’hui, nombre d’acteurs de l’Ouest s’intéressent à nous.

Il y a un effet boule de neige et on reçoit de plus en plus d’appels entrants avec des dossiers qualifiés.

Quels sont vos enjeux actuels dans ce contexte porteur ?

L’enjeu de taille pour nous l’année prochaine, c’est l’accompagnement des organisations publiques. Sous l’impulsion de l’État, toutes vont être obligées d’acheter 20 % de produits reconditionnés informatiques. Pour nous, c’est un marché très significatif que l’on n’adressait pas car il fonctionnait jusqu’ici en marchés publics sur de l’équipement neuf. On est en train de se structurer pour professionnaliser nos réponses à appel d’offres. On veut aussi évangéliser les collectivités pour qu’elles développent une politique de numérique responsable, sachant quand même que l’on est plutôt une région en avance sur cette démarche, avec une vraie prise de conscience et des gens qui poussent vers cela, comme les DRO.

Il y a encore beaucoup d’entreprises qui ne nous connaissent pas alors que toutes ont du matériel dormant et qu’elles sont nombreuses à vouloir donner un impact positif à leur activité.

L’autre enjeu pour nous est donc aussi de recruter. On a besoin de techniciens et de vendeurs. On a créé 20 postes en quatre ans et je pense que l’on sera 25 l’année prochaine. D’autant que l’on a prévu de créer une division dédiée au BtoB. Jusqu’ici, on n’était pas proactifs sur ce segment, mais on travaille de plus en plus avec les écoles, les associations, les acteurs de l’ESS… et il représente un volume de plus en plus important. C’est un axe de développement pour nous. Car je pense qu’il y a encore beaucoup d’entreprises qui ne nous connaissent pas alors que toutes ont du matériel dormant et qu’elles sont nombreuses à vouloir donner un impact positif à leur activité. Or le renouvellement de son parc informatique par une entreprise adaptée comme la nôtre, c’est un geste qui a un impact écologique positif !

Mais ce n’est pas forcément facile de recruter. C’est pour cela que l’on travaille désormais en amont avec des organismes de formation spécialisés dans l’informatique pour des personnes en situation de handicap. Sur le territoire, il y en a enfin qui se créent, après un gros travail de lobbying là-dessus. Pour que des écoles comme Simplon, Webforce, puissent former aux métiers de la réparation. On leur indique combien de recrutements on prévoit pour l’année suivante et ils forment en conséquence.

 

  1. Toute entreprise d’au moins 20 salariés doit employer des personnes en situation de handicap dans une proportion de 6 % de son effectif Si l’employeur ne respecte pas son obligation d’emploi, il doit verser une contribution annuelle.

 

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