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Entretien avec Alexis Raillard, Président de Transeco : « Il nous faut de la perspective ! »

Repreneur de Transeco, une entreprise de transport léger d’une quarantaine d’années, Alexis Raillard s’est attaché à la moderniser et à lui permettre de répondre aux nombreux enjeux d’un secteur en pleine mutation. Aujourd’hui, l’entreprise implantée à Rezé s’appuie sur 25 personnes pour réaliser 1,2 M€ de chiffre d’affaires. Le dirigeant espère tourner rapidement la page Covid pour accélérer sur la transformation et le développement.

Alexis RAILLARD Président de Transeco

Alexis RAILLARD Président de Transeco © Benjamin Lachenal

Repreneur de Transeco, une entreprise de transport léger d’une quarantaine d’années, Alexis Raillard s’est attaché à la moderniser et à lui permettre de répondre aux nombreux enjeux d’un secteur en pleine mutation. Aujourd’hui, l’entreprise implantée à Rezé s’appuie sur 25 personnes pour réaliser 1,2 M€ de chiffre d’affaires. Le dirigeant espère tourner rapidement la page Covid pour accélérer sur la transformation et le développement.

Il y a quatre ans, vous avez repris Transeco. Quel a été votre parcours ?

J’ai une formation d’ingénieur en nucléaire, sans jamais y avoir travaillé. J’ai bossé dans des grands groupes, dans le secteur de l’eau, des déchets. Puis, il y a quatorze ans, j’ai monté ma boîte, Solutions recyclage, qui fait de la collecte de déchets. J’ai vendu mes parts à mon associé en 2015 et j’ai racheté Transeco deux ans après.

Pourquoi votre choix s’est-il porté sur cette entreprise ?

Je cherchais une entreprise à reprendre dans les métiers de services et les enjeux de la logistique urbaine – écologique, économique, managérial et sociétal – m’ont plu. Transeco était une entreprise avec une belle image de marque, connue et reconnue à Nantes, mais un peu poussiéreuse et qui avait donc selon moi tout ce qu’il fallait pour affronter les enjeux de ce secteur.

Quelles opportunités avez-vous décelées alors ?

La logistique urbaine du dernier kilomètre se développe à vitesse grand V et même si Transeco est positionnée uniquement en BtoB, il y a aujourd’hui d’énormes enjeux. Accéder au centre-ville, savoir respecter les délais dans une agglomération comme celle de Nantes, savoir proposer un transport au meilleur tarif, tout cela est un vrai métier, ce qui n’était pas le cas il y a dix ans. À l’époque, on mettait un camion sur la route, il fallait aller le plus vite possible en payant les salariés le moins possible et c’était bon.

Et Transeco là-dedans ?

Il s’agissait de transformer une entreprise d’un certain âge vers une organisation qui permette d’aborder les nouveaux métiers. Certains ont complètement disparu dans le quotidien de Transeco parce que la société a évolué. À une époque, le transport des billets de train et d’avion représentait une grande partie du chiffre d’affaires alors qu’aujourd’hui ça n’existe plus du tout. À l’inverse, on a de nouvelles activités comme la livraison de paniers de fruits ou de légumes au sein des entreprises. Il y a énormément de métiers qui se développent et pour lesquels il y a toujours besoin de quelqu’un qui fait un petit bout de transport. Notre métier consiste à regrouper tout cela, intelligemment, par la compétence de nos chauffeurs et l’optimisation de l’exploitation, pour que, dans le même véhicule, on arrive à mettre plein de choses et qu’on arrive à avoir un tarif compétitif pour chacune.

Ça implique de se réinventer en permanence et, plutôt que d’aller simplement d’un point A à un point B, d’avoir un plan de transport. Transeco, à la base, c’était un métier de coursier. Moi je tends plutôt vers celui de logisticien urbain. On transfère des flux, que ce soit un document, une boîte de fraises ou un ordinateur, le but du jeu étant de tout traiter, dans les délais et avec le moins de kilomètres consommés possibles. C’est un Tetris de tous les jours !

Vous avez développé l’entreprise depuis votre arrivée ?

Quand je suis arrivé, on était 15 dont 12 chauffeurs, aujourd’hui on est 25, dont 21 chauffeurs. Mon objectif n’est pas de tout exploser, mais de croître car il y a des opportunités et il faut y aller ! Plus l’équipe est grande, plus on a d’opportunités sur un plan de transport. Pour autant, je ne veux pas aller à 2 000 à l’heure. 90% de l’activité se passe sur l’agglo. On est un peu présents au régional, voire au national. Si on doit se développer, on s’implantera par exemple à Rennes ou au Mans pour avoir la même activité sur ces zones urbaines, pas pour faire des navettes depuis Nantes.

La logistique urbaine est devenue un sujet éminemment politique… Comment vous positionnez-vous ?

La vision des villes de libérer leur centre des véhicules polluants et plus globalement de tout véhicule, on n’en discute pas. Là où il y a discussion c’est sur la manière de le réaliser et à quelle vitesse. Il y a un groupe de travail avec la CCI, mené par Jean-Luc Cadio (président de la CPME 44, NDLR) et dans lequel nous sommes plusieurs logisticiens. C’est là qu’on discute du comment et du quand. La métropole fait beaucoup de choses sans concerter, donc sans prendre en compte tous les enjeux… Ça marche à la fin, mais c’est compliqué et ça demande un peu d’énergie. Au titre de Transeco, j’ai un objectif écologique, car on comprend bien qu’envoyer un diesel dans le centre-ville ce n’est pas une bonne idée. Mais j’ai aussi un enjeu économique !

Qu’avez-vous entrepris pour prendre en compte l’enjeu environnemental ?

J’ai transformé une partie de mon parc, qui compte une vingtaine de véhicules, pour desservir le centre-ville, principalement en électrique. J’ai aussi remis en place deux vélos. Aujourd’hui, 30% de mon parc est donc décarboné. Il y a plein de choses qu’on peut optimiser. Après, il ne faut pas être un aya-tollah ! Il m’arrive d’être en centre-ville pour ensuite aller livrer un colis à Cholet par exemple. Ce serait dommage de devoir faire un trajet centre-ville/périphérique en électrique, puis de faire une rupture de charge pour repartir en diesel.

Pour moi, on a fait notre part du chemin pour le premier pas. Il y aura certainement un deuxième pas à suivre, mais il faut attendre les évolutions technologiques pour cela.

Actuellement, un véhicule électrique fait 230 kilomètres maximum. C’est bien, mais j’ai quand même beaucoup de mon activité qui sort de l’agglo et avec de l’électrique ce n’est pas possible. Je suis obligé pour le moment de garder une part de mon parc qui puisse faire des kilomètres. J’attends avec ferveur des hybrides qui puissent nous permettre d’être en électrique en centre-ville et de repasser en moteur thermique pour faire de la route. Mais pour le moment les constructeurs n’y vont pas…

Alexis RAILLARD Président de Transeco

Alexis RAILLARD
Président de Transeco
© Benjamin Lachenal

Et les autres solutions ?

Je ne suis pas fan de l’hydrogène pour l’instant car il n’est pas écologique. Et, pour nous, il y a une double difficulté : on perd de la capacité d’emport et le prix n’est pas abordable pour le moment. De mon point de vue ce n’est pas mature, mais j’attends de me faire séduire ! Quant au gaz, on voit que c’est compliqué pour se ravitailler et là encore il faut qu’il soit écologique. Déjà qu’un plan de transport c’est une multitude de contraintes, de clients, de spécificités, de volumes, de temps de trajets, etc. S’il faut se rajouter la contrainte de devoir faire le tour de Nantes pour faire le plein… Je pense qu’il ne faut pas s’éparpiller. J’ai des confrères qui sont très gaz et ont intégré ça dans leur plan de transport. Moi je suis plutôt parti sur l’électrique qui me rajoute aussi des contraintes mais correspond mieux à mon activité à partir du moment où je reste principalement sur l’agglo, sachant qu’en ville on recharge beaucoup.

La logistique du dernier kilomètre est l’objet de toutes les attentions. Quelle est votre stratégie ?

Mon atout principal, c’est un plan de transport qui dessert l’agglomération deux fois par jour. Sachant que le dernier kilomètre est toujours le plus cher, je dis souvent à mes clients que je ne vais pas chez eux, mais que je passe pas loin : le petit détour ne consomme pas grand-chose. C’est pertinent à la fois écologiquement et économiquement. Par exemple, on a converti beaucoup de clients au J+1. Notre manière de voir ce sont les vraies contraintes du client, pas celles qui sont historiques. Certains faisaient livrer à J0, c’est-à-dire qu’il fallait enlever ou livrer le plus vite possible. Mais, quand on y regarde de plus près, si c’est le lendemain matin ça leur va finalement très bien. Ça nous permet de travailler sur leur budget, d’agir sur les plans écologique et économique en mutualisant beaucoup plus les kilomètres. Le vrai urgent ne représente en fait que 10 ou 15% des courses. On le fait aussi, mais alors ça se paie. On ne nie pas la contrainte du client mais on agit sur l’élastique. Et comme on travaille dans une relation de confiance, ils comprennent notre démarche.

Le vrai urgent ne représente en fait que 10 ou 15% des courses

Quels sont vos autres enjeux ?

L’ubérisation touche nos métiers. Aujourd’hui, il existe des plateformes ou des applis sur lesquelles vous cliquez trois fois et vous avez les mêmes services que les nôtres, avec des livraisons faites par particuliers. Cela s’adresse principalement au grand public, mais une entreprise peut l’utiliser aussi. On se différencie avec la proximité et la fiabilité. Quand nos clients veulent nous joindre, ils ont quelqu’un au bout du fil, de vraies personnes qui les connaissent et ils savent qu’on va leur trouver une solution. Les plateformes, les applis, elles, sont dépersonnalisées au maximum. Nos clients nous confient souvent des choses qui ont de la valeur pour eux, même si elle n’est pas forcément pécuniaire. Quand on va livrer un appel d’offre pour lequel le timing est très important ils aiment bien savoir que le chauffeur est sérieux et fiable. Et nous on prévoit toujours le double du temps de trajet au cas où le véhicule tomberait en panne. Comme ça on a le temps d’envoyer un deuxième chauffeur avec un deuxième véhicule pour livrer l’appel d’offre à temps. Sur tous nos métiers on essaie d’avoir cette différence.

Au titre de Transeco, j’ai un objectif écologique, car on comprend bien qu’envoyer un diesel dans le centre-ville ce n’est pas une bonne idée. Mais j’ai aussi un enjeu économique !

Et sur la question des ressources humaines, comment vous différenciez-vous ?

Le transport léger est un métier où la gestion des ressources humaines n’existe généralement pas : on embauche n’importe qui, on ne s’intéresse pas aux gens, on leur dit tout le temps « dépêche-toi ». Le seul critère qui compte c’est d’aller vite, il n’y a pas de délai de prévenance, on fait faire des heures supplémentaires à gogo… Souvent l’humain n’est pas au centre des préoccupations des entreprises. Moi je pense que justement, la force de Transeco c’est son équipe. Donc on fait du management. Par exemple, on n’a pas un dispatcheur, mais un responsable d’exploitation : il est responsable de son équipe et s’intéresse à elle. En fait, on fait comme dans n’importe quel métier, sauf que dans le transport léger ça ne se fait pas généralement ! Je trouve ça triste une équipe où les chauffeurs ne se connaissent pas parce qu’ils embauchent et débauchent chez eux et où le chef, c’est un téléphone ou éventuellement une appli. Chez nous, tous les chauffeurs embauchent et débauchent à l’entreprise. Ils se croisent et ça marche. Ils ont créé un groupe WhatsApp dans lequel ils se donnent des tuyaux, se soutiennent. On organise aussi des temps forts. Ça se fait dans toutes les entreprises mais, encore une fois, généralement pas dans notre métier.

Est-ce que vous constatez des incidences positives sur le turn-over ?

Par définition, le transport léger est un métier de passage, de début ou de fin de carrière ou de reconversion. J’ai des chauffeurs qui restent quinze ans, mais la plupart c’est entre deux et cinq ans. On a donc fait un gros travail, avec plein de petites actions, pour aboutir à 10% de turn-over soit un taux divisé par deux et demi. Par exemple, on a un parcours d’intégration et un concours du meilleur coursier mis en place il y a trois ans. On fait voter nos clients et on a un taux de retour énorme, ça crée une vraie émulation, c’est génial ! On a aussi depuis deux ans une newsletter interne : tous les mois ils reçoivent chez eux un journal imprimé avec le portrait de l’un d’entre eux. Là encore, l’idée n’a rien de révolutionnaire, mais dans notre secteur personne ne fait ça, du coup ça crée la différence.

Alexis RAILLARD Président de Transeco

Alexis RAILLARD
Président de Transeco
© Benjamin Lachenal

Comment avez-vous vécu la crise sanitaire ?

On n’a cessé de travailler que durant quinze jours, en mars 2020. Je ne voulais pas arrêter, mais on l’a fait parce que c’était important. On a repris très vite sur un mode dégradé, chacun à son rythme, en communiquant énormément entre nous. Le seul point positif de cette période ? Elle a exacerbé le rôle social de l’entreprise. On a fait quelques mois de chômage partiel, mais ce n’était pas l’idéal. J’ai fait le choix de maintenir l’équipe, de profiter de ces temps calmes pour former, afin d’être prêt à bondir dès que ça repart. Côté clients, on a fait énormément de concessions, en les livrant à domicile pendant qu’ils étaient en télétravail. Au final, on a fini l’exercice à -15% mais avec des mois à 50% d’activité seulement. On a contracté un PGE et on a commencé à le manger. Maintenant, on espère que l’activité reprenne vraiment pour ne pas finir de le consommer. Depuis mai, on enregistre des soubresauts. Certains secteurs poussent très forts comme le médical et d’autres n’ont toujours pas repris. Pour tout ce qui est courses industrielles c’est encore laborieux. Malgré tout, on sent que ça reprend plus fort qu’en septembre. Au-delà du fait de retrouver une activité normale, il va falloir boucher le trou du PGE. Et les banquiers en ce moment disent que l’année Covid sera considérée comme une année blanche, mais ils la regardent quand même. Ce qu’il nous faut, c’est de la perspective. J’en ai fait des projections qu’il fallait refaire ! Alors je n’en fais plus et on pédale… On a des projets, comme le fait de poursuivre le renouvellement du parc ou du développement. Pour le moment, on les repousse mois après mois, en attendant de voir.

Le seul point positif de cette période ? Elle a exacerbé le rôle social de l’entreprise.