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Entretien avec Alain et Anne Raguideau (Sofira), Cédrik Kerdiles (Galeo) – Transmission : « on s’est préparés, on est prêts »

Très impliqué dans l’écosystème économique régional, entrepreneur engagé, Alain Raguideau (groupe Sofira) aborde depuis quelques année un tournant crucial : la transmission familiale de ses activités. Regards croisés, avec Anne Raguideau et Cédrik Kerdiles, sur les différents enjeux d’une étape clé.

Alain et Anne RAGUIDEAU dirigeants de Sofira, Cédrik KERDILES dirigeant de Galeo

Alain et Anne RAGUIDEAU dirigeants de Sofira, Cédrik KERDILES, dirigeant de Galeo © Benjamin Lachenal

Comment en êtes-vous venu à envisager la transmission de vos activités immobilières ?

Alain Raguideau : Il y avait trois options possibles : j’allais chercher un repreneur à l’extérieur, en interne parmi les collaborateurs ou dans la famille. Clairement, on ne va pas systématiquement vers la famille, il n’y a pas de « droit divin ». C’est d’abord une histoire de compétences mais, à compétences égales, on la privilégie, bien sûr. En 2016, pour le groupe Delta, je n’avais pas eu d’autre choix que d’aller chercher à l’extérieur un groupe plus important. On était alors à un virage et, soit je réinvestissais à mort et j’en reprenais pour dix ans, soit je trouvais quelqu’un qui avait les capacités de le faire. À l’époque, si je regardais dans la famille, personne n’était en capacité de reprendre. Cédrik, qui est dans la famille depuis l’âge de 9 ans et que j’ai toujours considéré comme un de mes enfants, était à mille lieues de ces sujets-là et, en interne, on avait fait un essai qui n’aboutissait pas. Pour Galeo, la situation s’est révélée différente. J’avais alors deux associés, qui sont partis à la retraite en 2018 et cette fois, on a eu le temps d’œuvrer avec Cédrik : en lui laissant un peu de temps, il pouvait être amené à reprendre cette entreprise. On est entrés dans cette démarche en créant une société de montage d’opérations pour reprendre Galeo, dans laquelle, outre Cédrik et moi, est rentrée Mélanie You (directrice administrative et juridique, relation client et commercialisation de Galeo, NDLR) comme associée. Avec l’objectif de transmettre l’activité dans les deux à trois ans à venir. Entretemps, Anne nous a rejoints en septembre 2019 avec ses projets et son arrivée a largement changé la donne. À ce moment-là, je me suis dit que, s’ils étaient d’accord pour prendre le relai, ce n’était plus la peine d’aller chercher ailleurs.

Cette reprise a-t-elle été naturelle ?

Cédrik Kerdiles : L’idée de la transmission, c’était une évidence pour tout le monde je pense. Il suffisait juste de s’entendre sur le montage financier. J’ai l’impression que c’est aussi une chance commune. Personnellement, la chance a été d’avoir la possibilité de racheter une société plutôt que de redémarrer de zéro, sachant que l’entrepreneuriat était pour moi une évidence. Et pour Alain et ses associés de l’époque, c’était la promesse d’une continuité.

Quel a été votre parcours ?

CK : Je ne suis pas du tout issu de l’immobilier, j’ai un bac+5 en management du sport. J’ai découvert ce milieu en étant agent mais, au bout de deux ans, l’idée m’est venue de monter une structure de promotion immobilière. En en parlant à Alain, il a trouvé dommage que l’on soit face à face, sachant qu’au sein de Galeo, qui vivait à l’époque à l’ombre du groupe Delta, il y avait tout à faire. Je suis alors arrivé sur le développement commercial. Puis, en 2016, avec la cession du groupe Delta, nous avons été limités dans notre domaine d’activité par des clauses de non concurrence. On s’est retrouvés du jour au lendemain à perdre 60 % de notre chiffre d’affaires potentiel, ce qui nous a poussés à imaginer l’avenir. J’avais des velléités de développer le logement depuis quelques années : on s’est dits que c’était l’occasion de démarrer cette activité.

Et pour vous Anne ?

Anne Raguideau : Mon arrivée est beaucoup plus récente : je suis gérante avec Alain du groupe Sofira depuis 2016 mais, comme Cédrik, je ne venais pas de ce milieu. J’ai travaillé pendant sept ans dans la transaction immobilière, puis dans la gestion de patrimoine. Au bout d’un moment, ayant fait un peu le tour, l’idée a germé de faire autre chose. J’avais envie d’un nouveau challenge. Après avoir beaucoup échangé avec Alain, l’idée a été au départ de partir sur les résidences seniors du fait du contexte démographique. Et puis, au gré des échanges, de mon propre cheminement et des rencontres, on est partis plutôt vers l’hébergement. On a décidé de partir vers l’exploitation, en se faisant accompagner d’experts. Aujourd’hui, je suis en plein développement. On a créé une structure qui s’appelle Somewhere to meet et on se destine à trois nouvelles activités que sont l’hôtellerie-restauration, les résidences-seniors et étudiantes – gérées et on est partis sur un concept innovant de mixité générationnelle avec Hôtycoon.

Une fois la décision de la transmission familiale prise, quelles ont été les étapes jusqu’à aujourd’hui ?

Alain R : L’année 2020 nous a aidés à réfléchir et nous avons enclenché tout un tas de petites étapes sur le plan juridique. Tout ça ne se fait pas comme ça, en claquant des doigts ! Et puis il faut aussi laisser du temps au temps pour que cela fonctionne bien. Aujourd’hui, je suis dans la perspective d’une échéance à 2023, date à laquelle je ne serai plus aux rênes.

Comment vous projetez-vous dans l’après ?

Anne R : On sera trois avec Mélanie. On est trois personnes différentes, avec des compétences complémentaires et c’est ce qui fera notre force je pense. Dans nos esprits, il n’y a pas de rupture. Et puis, connaissant Alain, il ne va pas partir du jour au lendemain !

CK : On s’est préparés, on est prêts. Après, on ne maîtrise jamais l’avenir, on est aussi confrontés à des événements extérieurs, mais on a les bonnes personnes aux bons endroits, on est structurés.

Alain R : Ils ont tous de bonnes formations de base et, les uns après les autres, ils vont suivre une formation de haut niveau de dirigeant d’entreprise : Campus des dirigeants 1. Je pense qu’avec ça ils seront encore plus armés. Quant à moi, mes gènes d’entrepreneur engagé, qui ne peuvent pas s’éteindre avec « l’âge de la retraite », m’ont amené à m’inscrire dans une démarche constructive avec le fonds de dotation Karma.

Est-ce que l’esprit d’entreprendre se transmet au sein d’une famille ?

Alain R : Si je reprends l’histoire familiale, à mon niveau, j’ai eu un grand-père et un père qui étaient de petits entrepreneurs. Du côté de ma mère, ils étaient plutôt dans le commerce, donc il y avait aussi les notions liées au client, à la gestion au centime… Quand on a été baigné dans la marmite, il y a un certain nombre de valeurs qui se transmettent. Comme la culture de l’engagement, la valeur du travail… Après, pour ma génération, le champ des possibles n’était pas aussi ouvert qu’aujourd’hui. On était quand même assez orientés par ce qu’on nous présentait. Mes parents étant dans le bâtiment, je suis allé assez naturellement vers ce milieu en me disant que je ferais quelques années dans le salariat avant de monter ma boîte… C’était une évidence. Ensuite, comment j’ai pu transmettre ça aux enfants ? Je ne sais pas si ça s’instaure comme ça. Il y avait quatre enfants à la maison et tous n’ont pas reçu le gène de l’entrepreneuriat. Mais c’est vrai aussi que, si je regarde autour de moi, ma génération d’entrepreneurs a souvent « produit » des entrepreneurs. Je dirais qu’on est une famille à plutôt aimer ce qui est innovant, on est plutôt des développeurs. Derrière le mot entrepreneur il y a cette envie de créer, d’innover, de partir de rien et j’espère que ça, ça a été transmis.

Immeuble de bureaux à Saint-Herblain, Novawest est une réalisation du groupe Sofira

Immeuble de bureaux à Saint-Herblain, Novawest est une réalisation du groupe Sofira © D. R

Et de votre côté Anne et Cédrik, est-ce que vous avez analysé cette culture familiale de l’entrepreneuriat ?

Anne R : Je pense que c’e, st sans doute ancré en moi, ça a sans doute toujours été sous-jacent, même si c’est venu doucement.

CK : Je pense qu’il y a eu une éducation, ce qui fait qu’on peut être tentés d’être plutôt acteurs que spectateurs. On est aujourd’hui caractérisés comme des promoteurs innovants, disruptifs, atypiques, et c’est vrai qu’on essaie toujours d’avoir une longueur d’avance, de créer une valeur ajoutée. Et je pense aussi qu’être dans une petite structure familiale permet de davantage innover. On communique beaucoup, la parole est libre et c’est aussi ça qui fait notre force.

En même temps, n’est-ce pas plus difficile de prendre la suite ?

CK : Il y a une pression évidente, mais assumée ! Les start-up n’arrêtent pas de dire qu’elles ont le droit à l’erreur, mais nous, on ne l’a pas. On a des enjeux financiers relativement importants dans nos métiers et le fait de faire partie des héritiers d’une structure familiale, on a d’autant plus l’interdiction de faire des erreurs. Pour autant, je le vois comme un bel enjeu d’assurer une continuité et si demain mes enfants veulent à leur tour l’assurer je serais ravi de pouvoir un jour travailler avec eux.

Quels sont les clés d’une transmission familiale réussie ?

Alain R : Le premier mot qui me semble important c’est l’anticipation. Je vois quand même beaucoup d’exemples d’échecs autour de moi dans la génération des baby-boomers. Ils ont mal transmis parce qu’ils se sont un peu voilé la face, en voulant transmettre le plus tard possible, considérant cela comme une espèce de « fin ». Pour ma part, je peux presque remonter à 2002, au moment de la création de Galeo. J’avais alors deux raisons. La première, c’était de créer une structure de montage d’opérations parce qu’on en avait besoin. Mais je ne me voyais pas non plus passer d’une vie trépidante au néant, même si je caricature. Et je m’étais dit que Galeo serait ma porte de sortie. La deuxième étape est clairement liée à l’âge. À un moment, on voit aussi d’autres cas où les gens s’accrochent et sont déconnectés, c’est compliqué pour leur entourage, leurs salariés. Finalement, c’est très lié à la notion d’innovation. On essaie toujours d’être devant à tirer et non derrière à pousser et pour faire ça, il faut toujours anticiper. Et la cession ou la transmission d’entreprise c’est une étape clé qui s’anticipe obligatoirement. Et qui oblige aussi car il y a des salariés derrière. Et puis, on y a mis de l’énergie pendant des années, ce n’est pas pour dire : « après moi, la fin du monde » !

SI JE REGARDE AUTOUR DE MOI, MA GÉNÉRATION D’ENTREPRENEURS A SOUVENT “PRODUIT” DES ENTREPRENEURS

Est-ce qu’il y a un bon timing pour la durée d’une transmission ?

Alain R : Quand on cède à l’extérieur, je pense qu’il faut pratiquement lâcher la bride le jour même où on cède : le lendemain matin, on n’est plus le patron et on n’est plus là. Je l’ai appliqué avec le groupe Delta. Après, dans le cadre familial, je ne me suis pas posé la question de la même manière.

CK : Les décisions ont été prises à chaque fois de manière concertée.

Alain R : On a chacun nos missions donc on ne se marche pas sur les pieds. Les choses sont assez claires. Ce qui est compliqué c’est quand on se retrouve avec plusieurs patrons qui ont les mêmes missions.:

Alain et Anne RAGUIDEAU dirigeants de Sofira, Cédrik KERDILES dirigeant de Galeo

Alain et Anne
RAGUIDEAU dirigeants de Sofira, Cédrik KERDILES
dirigeant de Galeo © Benjamin Lachenal

Est-ce qu’il n’y a pas quand même parfois l’envie de remettre le pied dedans ?

Alain R : Ça peut m’arriver, oui ! Mais on a quand même une certaine étanchéité entre la vie privée et la vie professionnelle. Il ne faut pas y mettre trop d’affect. Ou, en tout cas, il ne faut pas que ce soit ça qui nous guide, sinon ça devient compliqué d’avoir des jugements sereins. Pour les décisions, c’est toujours la meilleure idée qui l’emporte. S’il y en a un des trois qui n’est pas d’accord, on n’y va pas. Et quand on se retrouve à titre privé, jamais on ne parle travail.

Anne R : Ce qui se passe ici reste ici.

CK : … Même si ça peut démanger parfois !

Avez-vous un conseil pour ceux qui se retrouvent dans la même situation que vous ?

Alain R : Je n’ai pas de prétention à donner des conseils, mais il y a quand même un certain nombre de paramètres qu’on peut mettre en avant. Je dirais qu’il faut pas mal d’humilité des deux côtés. J’ai vu trop d’exemples, malheureux là aussi. Des gens qui n’étaient pas du tout de la profession, ont touché un chèque un jour, ont repris une boîte en disant « vous allez voir ce que vous allez voir » en balayant d’un revers de main tout ce qui s’était fait avant. En général, ces boîtes coulent et ça fait vraiment mal au cœur ! On est fait pour entreprendre et faire en sorte que la boîte perdure, pas pour mettre les gens au chômage !

Anne R : On fera des erreurs, et c’est aussi ce qui nous fera avancer, mais il faudra en tout cas s’en relever.7