En France, selon l’Institut Montaigne, 83 % des entreprises sont des entreprises familiales. La Chaire « Entrepreneuriat familial et société » d’Audencia précisait récemment que 25 % des entreprises de plus de dix salariés du pays sont des entreprises familiales et que 26 % d’entre elles se situaient dans un grand quart Nord-Ouest, entre la Normandie et l’Aquitaine. Le modèle de l’entreprise familiale constitue donc l’un des piliers de notre économie. « Ces entreprises font preuve d’une formidable capacité de développement, stimulent la croissance économique et la création d’emplois, tout en prêtant une attention particulière aux conditions régionales et locales », souligne encore la Chaire dans ce rapport daté de 2023.
Lire aussi
« L’essentiel, c’est le dialogue, c’est d’avoir une vision partagée »
L’entrepreneuriat familial chevillé au cœur
Mais qu’entend-on exactement par « entreprise familiale » ? La littérature académique recense plus de quatre-vingts définitions différentes. Elles reposent généralement sur plusieurs critères comme celui de la propriété de l’entreprise, le mode de management ou, évidemment, la dimension famille. L’Observatoire national de l’entrepreneuriat familial, lui, retient la définition du Comité économique et social européen. « Pour le Cese, une entreprise familiale est une entreprise créée et qui appartient à une ou plusieurs familles, à hauteur de 51 % au minimum pour les entreprises non cotées et à hauteur de 25 % minimum pour les entreprises cotées », résume Miruna Radu-Lefebvre. Cette professeur d’entrepreneuriat à Audencia et cofondatrice de la Chaire « Entrepreneuriat familial et société » ajoute : « Au moins un membre de la ou des familles propriétaires est présent soit au niveau opérationnel, soit dans les organes de gouvernance. » L’entreprise familiale se détermine également par l’intention de transmettre le patrimoine à la génération suivante, ainsi que par l’attention et la responsabilité portées à l’égard des salariés.
Il n’existe aucune donnée statistique locale précise sur le poids des entreprises familiales en Vendée. Pourtant, ce département où plus de neuf entreprises sur dix sont des PME et TPE, est un territoire propice à leur émergence et développement. C’est un fait : la Vendée a l’entrepreneuriat familial chevillé au cœur. « C’est un territoire rural sans grande métropole susceptible de concentrer un certain nombre de richesses économiques », analyse Marie Grimpret-Cognet, administratrice du Medef Vendée et animatrice du Club « Transmission familiale ». « Cette situation a sans doute favorisé l’émergence et la pérennité des entreprises familiales. »
Herige, Cougnaud, Dubreuil, Fleury Michon, ou encore Sodebo : la Vendée a en effet vu naître et grandir nombre de fleurons industriels qui ont su préserver le caractère familial de leurs débuts, malgré leur taille et leur statut de leader. « En faisant le choix de rester fidèles au territoire, de garder leur centre de décision ici, elles l’ont structuré économiquement et contribuent aujourd’hui à la richesse et la qualité de son environnement socio-économique », poursuit Marie Grimpret-Cognet. À l’image de ce qui se passe en Vendée, neuf dirigeants ligériens sur dix (93 %) déclarent se sentir attachés au territoire de leur entreprise.
En Pays de la Loire, plus d’un tiers des entrepreneurs (36 %) envisagent par ailleurs de transmettre leur société à un ou plusieurs membres de sa famille. Dans les faits, la transmission d’une entreprise à la deuxième génération atteint seulement 26 %. « Un taux relativement faible qui passe à entre 10 et 15 % entre la deuxième et la troisième génération. Et pour celles qui franchissent le cap de la troisième génération, c’est encore plus rare. Ce sont des trésors nationaux », relève Miruna Radu-Lefebvre. Plus on avance dans les générations, plus le nombre d’actionnaires ou héritiers familiaux augmente, rendant aussi plus complexe cette transmission.
L’évolution de la typologie d’entreprise entre la première génération et les suivantes est un autre élément de compréhension. « La première génération a grandi avec son entreprise. La génération suivante reprend une entreprise d’une taille plus conséquente et doit ainsi faire face à une responsabilité globale plus importante. Le tout dans un environnement socio-politique très différent, qui bouge beaucoup plus vite et où les crises s’accélèrent », explique Marie Grimpret-Cognet.
Une génération de rupture
« L’engagement des nouvelles générations vis-à-vis de l’entreprise familiale n’est également plus le même aujourd’hui qu’il y a trente ou quarante ans », précise-t-elle. « Avant, reprendre l’entreprise de ses parents, souvent celle de son père, allait de soi. On ne se posait pas la question. Aujourd’hui, ce n’est plus forcément une évidence. » Dans un sens comme dans l’autre.
Sophie Georger-Ménereau est dirigeante de Pramac, une entreprise basée à Challans et spécialisée dans le marché des accessoires pour câbles et chaînes. Elle est également présidente du Medef Vendée. En 1992, à peine sortie des études, elle reprenait l’entreprise familiale à la suite du décès brutal de son père. Une succession difficile, sans feuille de route. Aujourd’hui, elle le sait, il n’y aura pas de troisième génération à la tête de Pramac. « Parce que mes enfants ont d’autres envies. Ce n’était pas non plus ma volonté qu’ils la reprennent parce qu’ils sont six et que c’est une PME. En revanche, compte tenu de mon historique, j’ai voulu leur éviter qu’ils ne vivent la même chose que moi. Et donc j’ai organisé la transmission du capital. Je voulais que l’entreprise reste familiale mais avec une direction opérationnelle extérieure. »
Désormais, les jeunes dirigeants recherchent davantage un équilibre vie professionnelle/vie privée que leurs aînés. « Ils arrivent avec une nouvelle façon d’appréhender cet engagement à l’entreprise familiale. Ils restent s’ils sont intéressés par l’objet d’activité de l’entreprise, s’ils sont motivés, s’ils en ont l’envie. Ils arrivent avec leurs conditions, en aménageant aussi leurs façons d’exercer cette mission-là », détaille Miruna Radu-Lefebvre. « Ils souhaitent avoir une vie en dehors de l’entreprise, pour eux et leur famille. Ce qui n’était pas le cas des générations précédentes, notamment des fondateurs, engagés à la vie, à la mort avec leur entreprise. »
Former la future génération aux métiers de l’entreprise
Quelle que soit la forme de cette transmission familiale, capitalistique ou opérationnelle, la règle numéro un pour la réussir, c’est l’anticipation. L’élaboration d’un plan détaillé est indispensable. « On dit en général qu’il faut trois fois plus de temps pour une transmission familiale que pour une transmission classique. Parce qu’entre la famille et l’entreprise, il y a beaucoup de choses qui se jouent et qui doivent être démêlées », indique Marie Grimpret-Cognet.
« D’après la littérature académique, il faut compter en moyenne entre dix et quinze ans, ce qui peut effectivement surprendre », reconnaît Miruna Radu-Lefebvre. « Mais dans ces dix à quinze ans, il y a aussi la préparation de la future génération, via cette notion d’éducation ou de formation stratégique. Si un dirigeant souhaite transmettre l’entreprise dans la famille, il doit veiller à encourager les jeunes héritiers à se former au management et aux métiers de l’entreprise. »
En 2005, Herige a ainsi créé le club « Génération Herige » avec la volonté de permettre à la génération de s’impliquer dans l’avenir du groupe, et d’entretenir un attachement fort à l’entreprise. « Ce club favorise les rencontres entre dirigeants, actionnaires familiaux et leurs enfants afin de développer leur connaissance de l’entreprise, s’enrichir des valeurs familiales et préparer la nouvelle génération à ses futures responsabilités », expliquait Daniel Robin, représentant de la troisième génération et président du conseil de surveillance, dans un entretien accordé à IJ en décembre 2022.
Les dirigeants ont désormais conscience qu’une transmission doit s’anticiper. Mais de la conscience à l’action, il y a encore un cap à franchir. « Tout ça se passe pendant qu’ils travaillent, qu’ils sont dans l’opérationnel. Le danger, c’est de se faire happer par le quotidien. Rejoindre le Club Transition familiale du Medef Vendée permet, par exemple, de faire un premier état des lieux du sujet et de se mettre en route », indique Marie Grimpret-Cognet.
D’où l’importance de bien communiquer sur les enjeux de cette transmission en travaillant sur une chronologie des étapes et des actions à mettre en place. « Ça a l’air tellement évident mais on constate beaucoup de successeurs présumés sont dans le flou concernant la suite des événements », souligne Miruna Radu-Lefebvre.
Le troisième point à aborder dans le cadre d’une transmission familiale, c’est le double processus de la légitimité et de l’émancipation du successeur. « Celui-ci doit être perçu comme légitime non seulement aux yeux de la famille, mais aussi des salariés des partenaires d’affaires, du tissu économique », prévient Miruna Radu-Lefebvre. « Le successeur arrive dans un univers déjà organisé. Il doit à la fois satisfaire ce qui existe, sinon l’entreprise s’écroule, tout en continuant à écrire une nouvelle feuille de route. L’écueil à éviter, c’est d’arriver en gagnant, sans prendre le temps de s’imprégner de l’histoire de l’entreprise, de ses valeurs. Faire l’économie de cette phase de connaissance et se dire que l’on va diriger l’entreprise familiale comme n’importe quelle entreprise est une erreur », conclut-elle.