Couverture du journal du 03/05/2024 Le nouveau magazine

En Vendée, ils ont créé leur entreprise sans diplôme

Ces entrepreneurs n’ont jamais obtenu leurs diplômes, mais ont bâti des empires : Steve Jobs, Bill Gates, François Pinault, Xavier Niel ou encore Yves Rocher… Plus proches de nous, les créateurs autodidactes représentent 11,7 % des entrepreneurs en France (Insee). C’est peu, comparé aux 38 % titulaires d’au moins un master. Rencontre avec des forces de la nature qui ont tous misé sur la passion et le travail pour réussir.

Jamie Hssini dans ses bureaux chez AAC Innovation ©AAC Innovation

Guillaume Zanlorenzi, ex dirigeant de OCF ©DR

« J’étais un élève moyen, l’école ne m’intéressait pas plus que ça », raconte Guillaume Zanlorenzi, ex-dirigeant d’OCF, un fabricant de vitrines réfrigérées sur-mesure qu’il a cédé fin 2023 (88 salariés et 11 M€ de CA en 2023). Celui qui a fait le choix jeune d’intégrer une filière technique se rêvait électromécanicien spécialiste des avions. « J’avais été reçu dans un lycée à Rochefort pour y faire mes études dans l’armée de l’air. Malheureusement, j’ai été réformé à la suite d’un accident à un œil survenu huit ans plus tôt. Après la classe de 3e, j’ai obtenu plusieurs CAP et BEP en électricité et schéma électrique, dont la moitié en candidat libre. J’étais parti pour faire un bac F3 (techno/électronique) mais, une semaine avant la rentrée des classes, j’ai été pris dans une école dans laquelle j’essayais de rentrer depuis trois ans. La seule école en Europe spécialisée dans le réglage des machines à coudre industrielles. Ils prenaient à peine dix élèves par an, j’ai donc tout arrêté pour partir à Bressuire. »

Beaucoup de travail et des rencontres

Il poursuit : « C’était la grande époque de l’habillement en France. J’ai été embauché dès la sortie de l’école, en CDI, avec un salaire confortable. Pendant deux ans, j’ai fait mon métier, puis mon patron m’a demandé de prendre en charge l’outil de production. Un an après, il m’a annoncé commencer la production en Pologne pour Chevignon et Façonnable. C’est là qu’il m’a dit : « Vous savez monter les vêtements, suivre la production et réparer les machines, vous saurez donc vous débrouiller dans les usines. » Puis il m’a tendu un billet d’avion et le lundi suivant, j’étais à Varsovie. » Guillaume Zanlorenzi a alors 20 ans.

Cinq ans après, trois chefs d’entreprise vendéens souhaitant monter des outils de production à l’étranger pour le groupe LVMH l’embauchent comme directeur de la société en France. « Avec eux, j’ai fait le métier que je connaissais en Roumanie, Bulgarie, Ukraine. Au bout de trois ans, j’ai été actionnaire, puis PDG de l’entité deux ans plus tard. On a continué ensemble pendant 15 ans avant de vendre l’entreprise. C’est ce qui m’a permis de racheter OCF en 2006. »

« J’ai toujours eu conscience de devoir fournir plus d’efforts toute ma vie pour acquérir ce que je n’ai pu acquérir avec des études », Guillaume Zanlorenzi.

Jamie Hssini, la fondatrice et dirigeante de AAC innovation. ©AAC innovation

L’absence d’intérêt pour le parcours scolaire classique, Jamie Hssini l’a connu également. La dirigeante d’AAC Innovation, une agence de conseil et de formation dans le domaine du numérique et du digital basée aux Sables d’Olonne, n’a validé qu’un Bac G. Mais elle n’a pas ménagé ses efforts pour s’offrir une vie à la hauteur de ses ambitions. « Après le bac, j’ai essayé la fac, puis une première année de BTS en commerce international. J’aimais apprendre, mais je n’étais pas dans la bonne filière, analyse-t-elle. Entretemps, j’ai travaillé un été dans un grand hôtel parisien en tant que femme de ménage. C’est là que j’ai compris que je n’avais aucune envie de stagner et qu’il fallait que je me mette en action pour évoluer. J’ai enchaîné des contrats vacataires jusqu’à obtenir un job de télévendeuse dans une boîte de fournitures de bureau où j’ai révélé ma fibre communicante et commerciale. Mon appétit pour la nouveauté n’a fait que se renforcer au fil des ans. Dès que j’atteignais un palier, je cherchais à en franchir un autre, comme pour compenser mon manque de diplômes. Puis j’ai déménagé dans le sud de la France pour un poste de commerciale dans une entreprise qui vendait des pains et viennoiseries surgelées aux professionnels. Pour la première fois de ma vie, j’avais une patronne, une femme incroyable qui m’a fait confiance en me mettant sur le terrain. J’ai passé huit années à ses côtés où je n’ai cessé d’apprendre mon métier et aiguisé mon goût du challenge. Quand je suis arrivée en Vendée, il m’était impossible de régresser. Je ne trouvais pas de travail à la hauteur de celui que j’avais quitté, alors j’ai créé mon entreprise.

Les limites de l’approche empirique

Pour autant, entreprendre en étant autodidacte invite à poser un regard lucide sur la situation. « J’ai toujours eu conscience de devoir fournir plus d’efforts toute ma vie pour acquérir ce que je n’ai pu acquérir avec des études », admet Guillaume Zanlorenzi. « Quand j’ai repris OCF, j’ai été capable de faire des analogies de vente entre mon expérience précédente et la vitrine. J’avais appris que, suivant l’éclairage, on vendait plus 30 à 35 % de vêtements. On a donc beaucoup travaillé l’éclairage des supports pour ne pas renvoyer la lumière par exemple. » Et de poursuivre : « Cependant, quand une entreprise commence à grossir, l’expérience et l’envie ne suffisent plus. Il faut de la méthode. Or, elle s’acquiert sur des bases académiques. » Une dizaine d’années après avoir repris OCF, l’entrepreneur a repris des modules de cours particuliers en finance, stratégie marketing et management chez Audencia, à Nantes : « Parce que j’avais appris beaucoup de choses avec mes associés, mais j’avais conscience que je ne mettais pas toujours les morceaux du puzzle dans le bon sens. »

Même constat pour Jamie Hssini « Je me suis formée tout au long de ma vie. En 2010, j’ai entrepris une formation chez Audencia, pendant un an, une semaine par mois, afin de valider un mastère en communication. J’avais tout en moi, mais j’avais besoin de le voir inscrit sur un diplôme. Aujourd’hui encore, j’ai souvent peur de me tromper ou de mal faire. Je m’impose beaucoup de préparation dans tout ce que je fais. » Elle conclut : « On peut dire que j’ai créé mon job. Je ne me suis inspirée de personne si ce n’est des problématiques terrain auxquelles je me suis confrontée avec les compétences que j’avais. Je crois beaucoup aux “soft skills” et au savoir-être, même si, rétrospectivement, j’aurais adoré faire des études. »

J’apprends au gré des erreurs, je teste beaucoup et pratique la remise en question régulièrement, Rémi Bossard

Vivre sa passion

Rémi Bossard le fondateur de Ryses événements sur une opération. ©Ryses événements

De son côté, si Rémi Bossard n’en est qu’au début de son aventure entrepreneuriale, il lutte lui aussi pour rattraper ce temps d’apprentissage académique puisqu’il a quitté l’école après le bac. Celui qui a lancé une microentreprise à ses 18 ans pour vivre sa passion est officiellement dirigeant de Ryses Événements, un prestataire technique en événementiel pour les particuliers et les professionnels, depuis janvier 2023.

« Depuis tout gamin, je suis passionnée de son et de lumière, explique-t-il. J’assurais la technique des événements pour les copains, la famille… J’étais sollicité par des associations, voire des entreprise, mais sans structure à mon nom, je ne pouvais pas facturer. J’ai donc créé un statut pour justifier ma passion. C’était un prérequis plus qu’un but à atteindre au départ. En parallèle, j’ai pris un poste de magasinier dans une entreprise de vente de matériels électroniques, jusqu’au moment où j’ai été mis en contact avec le Parc des expositions de La Roche-sur-Yon pour une opération. Entre les anniversaires à 500 € et une prestation pour des professionnels, j’ai vite compris que c’était la cible à atteindre si je voulais en vivre. J’avais 18 ans, pas de charge puisque je vivais chez mes parents, c’était le moment de faire de la trésorerie et de quitter mon CDI pour me lancer vraiment. » Depuis, le néoentrepreneur apprend à faire des mails de prospection et à optimiser ses devis. « Je suis technicien, pas commercial. Quand j’ai acheté mon premier camion, je me suis fait accompagner par un ami qui a négocié la carte grise pour moi. À l’époque, je n’aurais jamais pu faire ça seul. Depuis, je suis bien obligé de reconnaître que la seule passion ne suffit pas. J’apprends au gré des erreurs, je teste beaucoup et pratique la remise en question régulièrement. Pour ma deuxième année d’activité, j’ai des projets de développement, j’étudie la possibilité de prendre un local, de louer voire acheter plus de matériel. Je peux compter sur le soutien de mes partenaires comptable et bancaire ainsi que sur le réseau Initiative Vendée Littoral qui me suit également. À 21 ans, j’ai une boîte qui tourne et même si j’ai mis 20 minutes à charger un camion, que rien ne s’est mis comme je veux, quand je rentre d’une prestation tard le soir et que je m’assois pour envoyer ma facture, je suis reconnaissant de vivre mon rêve. »