Pour 2025, l’élaboration de la loi de finances se déroule dans un contexte de tensions inédit sous la Ve République. L’instabilité politique actuelle, combinée à des contraintes budgétaires fortes, fait peser des incertitudes sur la capacité du gouvernement à garantir un cadre fiscal stable et prévisible.
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Une procédure constitutionnelle encadrée, mais sous pression
L’élaboration de la loi de finances suit un cadre constitutionnel bien défini, prévu par l’article 47 de la Constitution et par la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) de 2001. Chaque année, le gouvernement commence à préparer le projet de loi dès le printemps, sous la direction du ministère de l’Économie et des Finances. Les administrations publiques soumettent leurs demandes de crédits et le gouvernement procède à des arbitrages pour répartir les ressources en fonction des priorités politiques et des contraintes budgétaires.
Une fois finalisé, le projet de loi est adopté en Conseil des ministres à la fin du mois de septembre, avant d’être transmis au Parlement. Conformément à l’article 47 précité, l’Assemblée nationale dispose de quarante jours pour examiner le texte en première lecture, avant qu’il ne soit transmis au Sénat, qui a vingt jours pour l’examiner à son tour. Si les deux chambres ne parviennent pas à un accord, c’est l’Assemblée nationale qui a le dernier mot.
En cas de blocage persistant, l’article 49-3 de la Constitution peut être invoqué par le gouvernement pour faire adopter la loi de finances sans vote, sauf en cas de motion de censure. Cette procédure a déjà été utilisée à plusieurs reprises, notamment fin 2022 (pour le budget 2023), dans un contexte de majorité parlementaire insuffisante. Le recours au 49-3 permet de débloquer la situation, mais accentue les tensions politiques.
Un contexte politique et économique difficile
L’élaboration de la loi de finances pour 2025 se déroule dans un climat politique tendu. En l’absence de majorité parlementaire stable, chaque vote devient un véritable champ de bataille pour l’exécutif, qui doit composer avec une mosaïque de forces politiques aux sensibilités divergentes. Le recours à l’article 49-3 pourrait s’avérer à nouveau nécessaire, accentuant les critiques contre une méthode perçue comme autoritaire.
Sur le plan budgétaire, la situation est tout aussi complexe. Le déficit public français s’est creusé, atteignant 4,7 % du PIB en 2022, bien au-delà de la limite européenne des 3 % fixée par les traités européens. La dette publique, quant à elle, dépasse désormais 110 % du PIB, imposant au gouvernement des arbitrages difficiles entre réduction de la dette et maintien des dépenses publiques essentielles. En parallèle, la pression des institutions européennes se fait de plus en plus sentir, incitant la France à rétablir rapidement l’équilibre de ses finances publiques sous peine de sanctions.
À ces difficultés s’ajoutent des tensions sociales croissantes, alimentées par la montée des prix de l’énergie et de l’inflation, qui a atteint 5,2 % en 2023. Le gouvernement est contraint de maintenir des dispositifs de soutien économique, alourdissant encore la charge budgétaire.
L’épée de Damoclès de la petite rétroactivité fiscale
Parmi les aspects les plus importants du débat fiscal, la petite rétroactivité fiscale mérite une attention toute particulière dans la période actuelle. En vertu de ce principe, certaines mesures fiscales adoptées en fin d’année peuvent être appliquées rétroactivement au 1er janvier de la même année. Cela signifie que les modifications du taux ou de l’assiette de l’impôt sur les sociétés (IS) ou de l’impôt sur le revenu (IR) par exemple, prévues par la loi de finances adoptée en décembre, s’appliqueront aux revenus et bénéfices déjà réalisés au cours de l’année.
Bien que légale et courante, cette pratique peut poser un véritable problème de sécurité juridique pour les particuliers, mais surtout pour les entreprises. Ces dernières doivent en effet souvent réajuster leurs stratégies fiscales en urgence, sans avoir la certitude des règles qui s’appliqueront à leurs revenus avant la fin de l’année.
Cette incertitude fragilise encore davantage les acteurs économiques, notamment dans un climat politique qui s’annonce instable en 2025, où des ajustements fiscaux pourraient être adoptés sans concertation préalable. Dans ce contexte, la petite rétroactivité fiscale pourra être perçue par les entreprises comme une véritable épée de Damoclès.
Tensions politiques et incertitudes fiscales
Face à ces incertitudes, les entreprises doivent faire preuve de vigilance accrue en matière fiscale. L’instabilité politique rend difficile la prévisibilité des règles, et le recours à l’article 49-3 pourrait aboutir à l’adoption de mesures contestées, voire mal anticipées par les acteurs économiques. En outre, le risque de voir certaines mesures fiscales, comme des hausses d’impôts ciblées ou des ajustements sectoriels, appliquées de manière rétroactive, complique la planification et la gestion financière des entreprises.
Enfin, la France devra également composer avec la nécessité de maintenir certaines dépenses publiques tout en réduisant son déficit, ce qui pourrait entraîner une augmentation de la fiscalité dans certains secteurs. Cela crée une situation d’incertitude budgétaire, où les chefs d’entreprise doivent préparer leurs stratégies en fonction de plusieurs scénarios fiscaux possibles.
L’élaboration de la loi de finances pour 2025 s’annonce particulièrement tendue. Entre incertitudes politiques, pressions budgétaires et exigences européennes, les entreprises devront suivre de près l’évolution des débats parlementaires. La petite rétroactivité fiscale, en particulier, pourra accentuer l’incertitude ambiante pour les entreprises et les particuliers, qui devront anticiper des ajustements fiscaux rapides et imprévus.
Dans ce contexte, il apparaît crucial pour les acteurs économiques de renforcer leur veille fiscale, d’anticiper les changements législatifs et d’être prêts à adapter leur gestion financière rapidement pour maintenir leur compétitivité.