Selon le baromètre croissance & digital 2023 de l’Association de l’économie du numérique, près de 59 % des commerçants estiment que l’IA peut leur faire gagner du temps. Comment ? C’est la question à laquelle a tenté de répondre Marc Carbonare, conseiller expert numérique à la CCI de Paris, le 15 mars dernier devant une centaine de restaurateurs et commerçants réunis à la Maison de l’entrepreneuriat et des transitions de Saint-Herblain.
« Capables d’apprendre de manière autonome »
Face à une audience curieuse mais pas forcément spécialiste du sujet, l’expert a commencé par un rappel des fondamentaux : « Les IA génératives sont des outils de statistique sémantique. Basées sur des données et des algorithmes, elles sont capables de générer du texte, des images, vidéos ou audios à partir d’une ou plusieurs instructions appelées “prompts“. Non, les IA ne sont pas intelligentes. Elles ont seulement la capacité à prédire le prochain token (caractère ou mot, NDLR) à partir d’une base de données enrichie en permanence, en fonction des instructions reçues. Les contenus et solutions qu’elles produisent sont bien rédigés, convaincants, crédibles et leurs modèles capables d’apprendre de manière autonome, en interagissant avec les utilisateurs, voire de se corriger si besoin. Par exemple en janvier 2023, quand on demandait à ChatGPT le poids d’un œuf de cheval, il répondait 400 grammes. Aujourd’hui, il vous explique que le cheval ne pond pas d’œuf et détaille son mode de reproduction. »
Marc Carbonare, conseiller expert numérique à la CCI de Paris. ©NLP/IJ
« Une source d’inspiration pour créer du contenu »
L’expert s’est ensuite appuyé sur le témoignage de commerçants utilisant l’IA au quotidien, comme Rozen Ulliac, gérante du salon de coiffure Jean Christian Laurent au Pouliguen : « Au départ, je ne voyais pas comment l’utiliser sur le plan professionnel. J’ai bénéficié d’un accompagnement de la CCI sur la stratégie digitale et j’ai été initiée à ChatGPT. Aujourd’hui, cet outil est devenu une source d’inspiration pour créer du contenu sur les réseaux sociaux ou des textes sur WordPress. Il me permet également de comparer des formations en coiffure pour l’équipe. En revanche, je ne copie-colle jamais le contenu qu’il génère. Je mets un point d’honneur à seulement m’en inspirer. »
« ChatGPT est devenu mon nouveau meilleur ami »
Karine Lesongeur, assistante administrative chez Aldente Agencement (Nantes), utilise ChatGPT depuis son lancement en novembre 2022 : « J’ai aussi été accompagnée par la CCI. On souhaitait créer un nouveau site e-commerce. On avait besoin de compléter de nombreux dossiers de subventions et j’ai utilisé l’IA pour le faire. J’ai été bluffée par le gain de temps et la qualité du contenu produit. Ça tient vraiment la route. À tel point qu’aujourd’hui ChatGPT est devenu mon nouveau meilleur ami : il m’aide à créer mes posts Facebook et Instagram, répondre aux courriers administratifs, rédiger des relances de facture… Et c’est très facile d’accès puisqu’on s’adresse à lui comme à un humain. »
Mots-clés, campagnes publicitaires…
Marc Carbonare a rebondi avec d’autres exemples d’utilisation de l’IA par les commerçants : « En plus de vous aider à produire du contenu rapidement, l’IA peut vous aider à travailler vos mots-clés, essentiels pour optimiser le référencement de votre activité. Mais aussi à réaliser des campagnes publicitaires, à résumer et traduire des textes, à préparer des présentations… »
L’expert s’est ensuite adressé aux restaurateurs présents dans la salle : « Si vous êtes spécialisé en cuisine gastronomique du Sud-Ouest, vous pouvez par exemple demander à ChatGPT de vous préparer une carte autour de ce thème avec 10 idées d’entrées, plats et desserts, mais aussi 15 salades composées. C’est fait en 30 secondes et vous pouvez également lui demander de détailler les recettes, de rédiger les fiches techniques et d’hygiène, et même de calculer le coût de revient d’une portion d’une salade en fonction du prix de ses ingrédients. Le tout dans un temps record. »
Dernière anecdote partagée par le spécialiste de l’IA : la rencontre du vice-président de la Chambre de commerce d’Istanbul en Allemagne l’an dernier. « Il devait préparer un discours pour les 200 ans de la chambre consulaire et craignait d’y passer des jours. J’ai ouvert ChatGPT et lui ai écrit : “Je dois préparer un discours dynamique et politique pour fêter les 200 ans de la chambre de commerce d’Istanbul“. Et dans un deuxième temps, je lui ai demandé de me traduire le discours en turc. L’élu a été scié par le résultat et m’a dit “faites-moi un copier-coller. Vous venez de me faire gagner trois jours de travail”. »
La conférence s’est appuyée sur le témoignage de commerçantes utilisant l’IA au quotidien : Rozen Ulliac, gérante du salon de coiffure Jean Christian Laurent au Pouliguen, et Karine Lesongeur, assistante administrative chez Aldente Agencement. ©NLP/IJ
« Vérifier systématiquement le contenu »
« Si l’IA est synonyme de gain de temps pour ceux qui l’utilisent, il ne faut en revanche pas la confondre avec un moteur de recherche, a tempéré l’expert. D’où l’obligation d’aller vérifier systématiquement le contenu qu’elle produit avant de l’utiliser car elle peut se tromper. La fiabilité des résultats est non garantie sur ChatGPT. D’ailleurs, en bas de la page du site est inscrit le message “ChatGPT peut faire des erreurs, merci de contrôler les points les plus importants”. »
Au risque de se faire humilier comme l’avocat américain Steven Schwartz qui, en mai 2023, avait demandé à ChatGPT de lui préparer sa plaidoirie. « Elle était parfaite, très bien écrite, mais toute la jurisprudence citée était inventée. Il est devenu la risée de ses collègues », a raconté Marc Carbonare.
Autre risque pour les IA : faire régner les stéréotypes. « Comme tout est basé sur les données internet, tout ce qui n’y est pas n’existe pas, poursuit l’expert. Par exemple, si on lui demande une image de PDG, il génère systématiquement un homme blanc en costume cravate. Aucune femme, aucune personne issue de la diversité. Et si on lui demande une image d’une femme médecin noire en train de soigner un enfant blanc. L’IA génère systématiquement l’inverse. »
« Une révolution qui va bouleverser nos vies »
Malgré une fiabilité à parfaire et des stéréotypes à gommer, l’IA semble néanmoins prendre la forme d’une révolution. Les chiffres dévoilés par Marc Carbonare vont effectivement dans ce sens : « En novembre 2022, ChatGPT comptait 120 000 utilisateurs et 386 millions en mars 2023. C’est l’outil numérique qui a connu la plus forte progression dans sa rapidité d’appropriation. Netflix a mis trois ans et demi pour atteindre son premier million d’utilisateurs quand ChatGPT a mis cinq jours ! C’est une révolution qui va bouleverser nos vies car l’IA évolue à une vitesse folle. Et si je peux vous rassurer : vous ne serez pas remplacés par une IA mais par quelqu’un qui l’utilise mieux que vous ! »
Traduction et doublage cinéma, premiers impactés
Premières touchées par cette déferlante d’IA : les entreprises de traduction. « Certaines subissent des pertes de 70 % de CA, confirme l’expert. C’est également le cas du doublage dans le cinéma. Pour l’instant, l’effet sur l’emploi ne se fait pas trop sentir car il y a encore une énorme inertie. Mais dans les deux, trois ans à venir, de nombreux secteurs seront concernés. »
Mais comme le malheur des uns fait souvent le bonheur des autres, « de nouveaux métiers liés au développement de l’IA vont se développer. Notamment, celui de “prompt ingénieur”, ingénieurs de la requête en français », constate Marc Carbonare. Autre preuve que la révolution IA est en marche, « certaines sociétés ont déjà commencé à s’y positionner, ajoute l’expert, à l’image d’Input, une start-up créée en région parisienne qui collecte et analyse les données des commerçants en se branchant directement à leurs caisses pour ensuite leur proposer des conseils de gestion : par exemple baisser une quantité de commande en raison de la pluie. L’entreprise démarre plutôt bien car ses utilisateurs ont eu des gains de productivité de 10 à 15 % en restauration, moins de gaspillage et une meilleure gestion du personnel. Et ça n’est que le début ! »
