Couverture du journal du 02/09/2024 Le nouveau magazine

Damien Ripaud et Amandine Briffaud, président et codirectrice des Pépinières Ripaud : « Nous sommes des créateurs de tendances »

« Toutes les plantes, toutes les tailles, tous les prix, toute l’année » : ce mantra a fait le succès des Pépinières Ripaud. Fondée il y a 70 ans à Cheffois (Vendée), l’entreprise a en effet su s’adapter aux époques et aux envies de ses clients pour devenir au fil des années le leader des végétaux sculptés avec des formes géométriques. Damien Ripaud, président, et Amandine Briffaud, codirectrice, décryptent pour l’IJ cette aventure entrepreneuriale.

Damien Ripaud et Amandine Briffaud, président et codirectrice des Pépinières Ripaud. BENJAMIN LACHENAL

Les pépinières Ripaud fêtent leurs soixante-dix ans en 2025. Comment est-on passé du jardinier qui cultive un petit lopin de terre en Vendée à l’une des plus grandes pépinières de France ?

Damien Ripaud : Mon père, Joseph Ripaud, s’est installé en 1955 à Cheffois. Dans cette commune située au cœur du Bocage vendéen, il a commencé à cultiver des fleurs et des légumes sur une parcelle située au milieu du bourg. Puis, il s’est mis à expérimenter le bouturage à partir d’églantiers sauvages pour en faire des rosiers. Il a ensuite développé son affaire en vendant des graines, des arbustes, des arbres ou encore des fruitiers. Au départ, il s’agissait de gammes restreintes assez traditionnelles. Au fil des ans et de ses voyages à l’étranger, il a diversifié la production. Il aimait parcourir le monde à la recherche de nouvelles techniques et de plantes rares et exceptionnelles pour les acclimater à nos régions. Dans les années 1990, nous avons ainsi été parmi les premiers pépiniéristes en Vendée à cultiver des oliviers. Son mantra se résumerait ainsi : toutes les plantes, toutes les tailles, tous les prix, toute l’année. Cette diversité, c’est notre ADN. C’est en partie grâce à elle que l’on est passé du petit lopin de terre cultivé à Cheffois à une pépinière d’une centaine d’hectares. Il y a eu des crises, évidemment. Mais à chaque fois, mon père a su s’adapter aux époques, au climat et aux envies de nos clients.

Amandine Briffaud : Cette stratégie est toujours la nôtre aujourd’hui. Nous voyageons pour le négoce mais aussi parce que c’est inspirant pour notre business. Nous produisons ce que nous voyons ailleurs si nous pensons que c’est adaptable et tendance. Nous parcourons les salons professionnels pour identifier les couleurs du moment, observer ce que fait la concurrence et nous nous en inspirons dans nos choix. Nous sommes des créateurs de tendances, des lanceurs de mode.

MEHDI MÉDIA


Lire aussi
Quand les projets fleurissent au sein des pépinières Ripaud


Damien, comment avez-vous rejoint l’entreprise ?

DR : Je suis le petit dernier d’une famille de neuf enfants. Avec mon frère Benoît, ancien dirigeant de la société, nous avons vingt ans d’écart. Gamin, je passais tout mon temps libre à la pépinière. Je semais, je livrais. C’était un jeu. Cette passion a germé en moi. J’ai obtenu mon bac Jardins et espaces verts. Mais la vraie formation au métier de pépiniériste, c’est sur le terrain que je l’ai suivie. Après mon diplôme, mon père avait besoin de moi et j’ai rejoint l’entreprise. J’ai rapidement gravi les échelons et pris progressivement la responsabilité de la partie commerce, en lien avec Benoît. À 22 ans, je devenais associé. À cette époque, mon père a pris sa retraite. Il est parti au Portugal monter une petite pépinière, principalement de lauriers roses que nous avons vendus à partir des années 2000.

Il y a dix ans, Benoît et moi, nous nous sommes associés à parts égales. Lui était président, moi, directeur. Depuis son décès en mai 2022, je lui ai succédé comme président. Sa fille Amandine assure la codirection avec Marc-Henri Doyon, le troisième et nouvel associé. Toutes nos décisions sont collégiales. Quant à mon père, à 91 ans, il vit toujours à proximité de la pépinière.

Et vous Amandine, quelle est votre place dans cette saga ?

AB : Comme Damien, j’ai baigné dans l’univers du végétal depuis ma plus tendre enfance. Mon père travaillait à la pépinière et ma mère était la responsable de notre magasin, situé à seulement cinq kilomètres d’ici. Pourtant, je n’ai pas la même fibre végétale que mon père. Ma grande passion, c’est le commerce et j’ai donc suivi des études dans ce domaine. J’ai alors découvert que j’aimais manager et j’ai continué avec une licence en management et gestion de projet. Ce qui me faisait rêver par-dessus tout, c’était de rejoindre l’entreprise familiale pour gérer les équipes. Mon père souhaitait que je fasse d’abord ma propre expérience ailleurs. Très rapidement, il a eu besoin de moi sur la partie commerciale. C’était il y a dix ans, j’avais 25 ans. J’ai progressivement développé et modernisé le service tant sur l’aspect marketing que communication.

Cette diversité, c’est notre ADN. À chaque fois, mon père a su s’adapter aux époques, au climat et aux envies de nos clients. Damien Ripaud

Amandine, vous avez repris le flambeau après le décès de votre père. Quel regard portez-vous sur cette période ?

AB : C’était mon rêve de travailler ici. Quand mon père me l’a officiellement demandé, j’étais ravie. Et depuis qu’il est parti, j’ai encore plus envie de faire vivre et grandir l’entreprise. La suite, nous l’avions imaginée avec lui et Damien. Il nous avait donné quelques pistes mais nous avons parfois entrepris les choses différemment, notamment sur le plan environnemental. Je suis fière de ce que nous mettons en place et de représenter cette troisième génération. Je sais que mon père, là où il est, serait fier de nous.

Pourquoi avoir demandé à Marc-Henri Doyon de devenir votre associé ?

DR : Lorsque nous avons évoqué l’avenir, Benoît, déjà éloigné de l’entreprise pour des raisons de santé, nous a laissés mettre en place notre vision, notamment en acceptant l’idée d’intégrer un nouvel associé extérieur à la famille. Il savait qu’Amandine ne reprendrait pas son rôle dans la production. Et pour moi, gérer cette partie-là, tout seul, aurait sans doute été trop important. Je lui avais parlé de Marc-Henri Doyon et il avait donné son accord. C’est la plus belle chose qu’il ait pu faire pour l’entreprise. Alors célébrer les soixante-dix ans des Pépinières sans lui, c’est forcément très émouvant.

MEHDI MÉDIA

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur Marc-Henri Doyon ?

DR : Il était auparavant directeur d’une pépinière en Vendée. Nous nous connaissons depuis plusieurs années et je savais qu’il rêvait de s’installer à son compte. Lorsque Benoît est devenu très malade, j’avais besoin d’un bras droit expérimenté sur la partie végétale. Un directeur ne me semblait pas la bonne option, car je voulais quelqu’un d’impliqué y compris sur le plan financier. Comme mon père, Marc-Henri est un passionné du végétal. Il s’intéresse à la rareté des variétés, à tout ce qui est niche variétale. Autant de choses qui sont dans l’ADN des Pépinières Ripaud et qui ont fait notre succès. J’ai vite compris que Marc-Henri pouvait nous amener plus loin dans cette recherche permanente de diversité. Il nous a rejoints six mois avant le décès de mon frère alors que nous avions prévu un maillage d’un an minimum.

AB : Marc-Henri est un technicien hors pair. Il nous incite à investir pour trouver des solutions qui améliorent la productivité, tout en prenant soin des femmes et des hommes de l’entreprise.

Comment fonctionne votre trio ?

DR : Je possède 50 % des parts de l’entreprise, Marc-Henri 30 % et Amandine 20 %.

AB : Pour réussir à bien diriger l’entreprise à trois, nous avons fait appel à une coach. Pendant six mois, elle nous a aidés à pointer nos points forts comme nos points faibles, puis à définir précisément les rôles de chacun. Moi, par exemple, je m’occupe de tout ce qui est communication et marketing. Marc-Henri se concentre sur la production et le commerce. Quant à Damien, il gère tout ce qui est commerce et achat. Nous formons aussi des duos dans de nombreux domaines : Damien et Marc-Henri dans la production, Marc-Henri et moi sur la partie e-commerce.

DR : L’avantage de ce fonctionnement, c’est que lorsque l’un d’entre nous part en vacances ou s’absente un certain temps, il y en a toujours un dans le trio capable de le remplacer, de gérer le quotidien.

Ce qui a fait la clé de votre succès, c’est la grande diversité de vos productions et de votre collection variétale. Pourquoi cette orientation stratégique ?

DR : D’abord, c’est notre passion. Si une plante nous fait rêver, nous la cultivons ici pour la proposer à nos clients et, à notre tour, les faire rêver. Ensuite, c’est une véritable stratégie d’entreprise. C’est un gage de pérennité. Mon père disait qu’il ne fallait jamais mettre tous ses œufs dans le même panier. Si une espèce se vend plus ou moins, pour une raison X ou Y, si elle est malade ou si tout simplement elle a moins la cote, eh bien ce n’est pas grave. On propose autre chose, on essaie de trouver de nouvelles espèces, de nouvelles variétés. Chaque segment de marché représente maximum 5 % de notre chiffre d’affaires. Donc on ne fait pas prendre de risque à l’entreprise. Par segment de marché, j’entends les plantes exotiques, les plantes de haies, les fruitiers, les vivaces, les arbustes et les arbres, ou encore les végétaux grande taille. En tout, nous cultivons plus de 1 000 variétés différentes et nous avons 15 000 références en catalogue. En résumé, nous sommes une pépinière généraliste, spécialiste de niches. Et avec Marc-Henri, nous voulons renforcer notre collection variétale.

Détecter les tendances du marché, d’accord. Mais il faut du temps pour faire pousser une plante…

DR : Effectivement, il faut avoir anticipé les tendances plusieurs années avant. Et être patients. Nous laissons vieillir certains végétaux, des produits rares, parfois dix ou quinze ans, pour être les seuls à les avoir en stock. Exemple avec le bonsaï Niwaki appelé aussi « bonsaï de jardin ». Ce sont de grands arbres. Il y a vingt ans, nous avons acheté des bonsaïs âgés de cinq ans environ. Au bout de dix ans de taille, nous avons commencé à vendre les petites pièces. En ce moment, nous livrons les spécimens les plus anciens. Avec plus de 3 000 exemplaires vendus par an, principalement à une clientèle de particuliers et haut de gamme, ce marché représente 3 % de notre chiffre d’affaires. Nous créons régulièrement des niches comme celle-ci. Ce printemps, nous avons ainsi commencé à planter des agrumes résistants au froid que l’on pourra vendre d’ici quatre ou cinq ans. Nos clients pourront ainsi récolter des mandarines produites dans leur jardin. Personne ne fait cela en France. Nos concurrents en auront peut-être mais ce seront des mandariniers beaucoup plus jeunes.

MEHDI MÉDIA

Vous êtes leader de l’art topiaire en France. Comment ce savoir-faire d’exception, qui consiste à tailler en forme géométrique les arbres et arbustes de jardins, est-il devenu votre spécialité ?

DR : Un jour, mon père avait un surstock d’ifs, une variété de conifère, et se demandait ce qu’il allait en faire. Lors d’un voyage aux États-Unis, il a rencontré des pépiniéristes qui taillaient des plantes en cônes, en spirale ou en pompons dans un esprit japonais. Il s’est dit que l’art topiaire était peut-être la solution à son problème. De retour en France, il s’est amusé à tester différentes formes basiques sur les ifs. C’était il y a trente ans. Les premières ventes significatives ont démarré dix ans plus tard. Encore aujourd’hui, certains clients viennent de loin chercher ce produit original et résistant qu’ils ne trouvent pas dans leur jardinerie. Nous avons aussi des clients exceptionnels comme un grand palace parisien qui nous a demandé des formes spéciales trois ans à l’avance. Ce marché d’opportunité dont mon père a su détecter le potentiel arrive à maturité aujourd’hui, car il devient difficile pour les collectivités, nos principaux clients sur ce marché, de trouver des techniciens pour les tailler.

Vous avez développé des méthodes de production respectueuses de l’environnement. Lesquelles ?

DR : Nous avons la chance d’avoir des terrains en pente qui favorisent le ruissellement de l’eau jusqu’aux douze bassins de rétention que compte l’exploitation. Le surplus d’arrosage et les eaux de pluie sont ainsi récupérés via des fossés et déversés dans des étangs pour arroser de nouveau. C’est grâce à ce système ingénieux que nous avons pu développer la culture de plantes en pot et vendre toute l’année. Aujourd’hui, jusqu’à 80 % de l’eau est ainsi récupérée.

AB : Mon père a quant à lui cherché à limiter l’arrosage. Là où il y avait des canons à eau, il les a remplacés par un système de goutte à goutte. Sur certaines parcelles, nous avons ainsi pu diviser par dix le volume d’eau consommée. L’idée est d’étendre ce type d’arrosage à l’ensemble de l’exploitation. Aujourd’hui, avec la multiplication des épisodes de sécheresse, notre réflexion est de nous demander comment on peut faire pour arroser au mieux et plus précisément nos cultures.

DR : Nous observons ce qui se fait ailleurs, notamment dans les pays du Sud, pour essayer de mettre en place les bonnes pratiques. En Espagne, les pépiniéristes désalinisent l’eau. Pour moi, c’est une mauvaise idée, tant économiquement qu’écologiquement. En revanche, nous sommes en train d’investir 650 k€ dans une serre équipée d’un chariot d’arrosage moderne qui va nous permettre d’économiser 20 à 30 % d’eau par rapport à une serre classique. Nos efforts pour limiter notre impact environnemental ne s’arrêtent pas là puisque, depuis dix ans, nous avons divisé par vingt l’utilisation des produits phytosanitaires.

AB : Pour éviter de traiter chimiquement, nous avons bâché les plates-bandes et laissé des parties enherbées. Nous avons également replanté des haies et installé des brise-vents pour limiter les impacts de la sécheresse. Nous avons aussi recours le plus souvent possible à des produits biologiques. Nous utilisons par exemple des insectes auxiliaires pour lutter contre les ravageurs.

Vous avez aussi installé des panneaux photovoltaïques ?

DR : Oui, il y a dix ans. Il ne s’agit pas de faire de l’autoconsommation, car nous arrosons la nuit pour éviter l’évaporation et nous ne pouvons pas stocker l’électricité. Donc nous la revendons. Le revenu généré nous a permis de financer la rénovation d’un vieux hangar de stockage et d’investir dans l’environnement. Depuis deux ans, un tiers de nos investissements, soit 150 k€, sont consacrés à des projets environnementaux.

AGENCE SKILLVALLEY

Au printemps, vous avez relancé votre site d’e-commerce, dormant depuis plusieurs années. À quelles fins ?

AB : Nous misons sur ce site marchand pour doper notre activité et réaliser des ventes que l’on ne ferait pas autrement. Ce que l’on veut mettre en avant, ce sont les végétaux grande taille et à terme tous nos produits exceptionnels et rares. Bref, tout ce que les gens ne trouvent pas dans leur jardinerie habituelle. Non seulement nous sommes les seuls pépiniéristes en France à avoir une aussi grande variété de végétaux grande taille, mais notre force est également d’être capables d’aller livrer un arbre de plus de deux mètres chez nos clients. L’objectif est de réaliser 10 % de notre chiffre d’affaires grâce au e-commerce d’ici cinq ans. Pour cette première année, nous visons 150 k€.

L’objectif est de réaliser 10 % de notre chiffre d’affaires grâce au e-commerce d’ici cinq ans. Amandine Briffaud

Quels sont vos autres projets ?

AB : La priorité, c’est de consolider notre trio d’associés encore naissant. À ce titre, nous sommes en train de rédiger un pacte d’associés. L’idée est de déterminer comment l’entreprise doit continuer si pour une raison ou une autre l’un d’entre nous s’en va.

DR : Ce que nous voulons avant tout, c’est continuer à écrire l’histoire imaginée par mon père, assurer la pérennité de l’entreprise, que celle-ci reste familiale ou pas. Notre leitmotiv ? Faire rêver nos clients en misant encore et toujours sur l’originalité. Notre ambition est aussi de réfléchir davantage nos mises en production afin de limiter nos surstocks pour moins jeter. Dernier défi à relever : produire plus d’espèces locales afin de répondre à cette demande croissante des collectivités.

En chiffres

10 M€ de chiffre d’affaires en 2023

55 salariés

Profil de la clientèle : 85 % BtoC, 15 % BtoB

100 hectares de production

1 000 variétés produites

15 000 références proposées

2 millions de plantes cultivées

Publié par