Dénigrement, confusion, désorganisation, parasitisme… Comment identifier les actes de concurrence déloyale ?
Sont généralement considérés comme fautifs les actes de concurrents susceptibles de relever de dénigrement, de confusion, de désorganisation et de parasitisme.
Le dénigrement consiste à jeter le discrédit sur un concurrent ou ses produits, en répandant des informations fausses, péjoratives ou malveillantes. À titre d’illustration, citons les campagnes d’e-mailing et de publipostage diffusant des contenus inexacts sur la qualité des prestations d’un professionnel ou tentant de dissuader les clients potentiels de lui passer commande.
Créer une confusion dans l’esprit du public avec l’entreprise concurrente ou ses produits est également condamnable. Il peut s’agir notamment de cas d’entreprises choisissant des noms commerciaux similaires graphiquement ou phonétiquement, voire identiques à la marque d’un concurrent, ou commercialisant des produits dont l’emballage ressemble fortement à celui d’un autre.
Quant à la désorganisation de l’entreprise victime, elle peut être provoquée par le débauchage de personnel, l’incitation de salariés ou partenaires à violer leurs engagements de non-concurrence ou d’exclusivité, ou encore des méthodes commerciales déloyales comme le détournement de fichiers clients, le recrutement systématique de distributeurs ou de franchisés partenaires d’un concurrent.
Enfin, le parasitisme consiste à se placer dans le sillage d’un concurrent afin de s’approprier ses innovations et son savoir-faire technique, commercial ou logistique dans l’intention de profiter de ses investissements matériels et immatériels. Il s’agit, par exemple, d’entreprises distribuant des produits identiques, mais de qualité inférieure ou sans supporter de lourds investissements de R&D ou de publicité.
Cependant, dans certaines circonstances, des pratiques de concurrence déloyale plus subtiles à identifier nécessitent une réflexion d’ensemble. Et cela, sur le comportement et le positionnement sur le marché du concurrent fautif et de l’impact de l’acte illicite sur les intentions d’achat réel ou supposé du client. Ainsi, ont été jugés comme constituant des actes de concurrence déloyale, le fait de copier les conditions générales de vente d’un concurrent, de présenter faussement un service comme obligatoire pour maintenir une garantie sur un produit et de ne pas respecter les obligations d’information des personnes concernées au sens du Règlement général sur la protection des données (RGPD).
L’accompagnement de l’avocat s’avère précieux pour identifier le caractère fautif de l’acte du concurrent et son impact sur le comportement de la clientèle sur le marché. Une fois identifié le caractère fautif, la Cour de cassation juge que la concurrence déloyale occasionne nécessairement à l’acteur économique victime un trouble commercial générant un préjudice d’atteinte à la réputation commerciale. Ainsi, le préjudice est présumé dès qu’est relevée une conduite répréhensible susceptible d’impacter le comportement d’achat du client. La sanction de la concurrence déloyale devrait ensuite permettre d’obtenir la cessation de l’acte argué de concurrence déloyale et, le cas échéant, la réparation intégrale du préjudice subi.
L’expert financier identifie les modalités de réparation du préjudice subi
La question du dommage devrait donc pouvoir être rapidement écartée dans le seul objectif de quantifier le montant de la condamnation de l’auteur. Or, en pratique, les juridictions commerciales, en première instance comme en appel, s’attachent à une approche traditionnelle de la responsabilité en matière de concurrence déloyale et demandent à la victime de rapporter la preuve cumulative d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité.
L’intervention de l’expert financier en amont, lors de l’ouverture du dossier, apparaît dès lors indispensable pour déceler s’il y a une faute réparable, au sens de la jurisprudence, et selon quelles modalités évaluer le dédommagement afin que celui-ci soit le plus adéquat possible.
La forme de réparation la plus couramment admise est la condamnation à des dommages-intérêts. Pour évaluer le préjudice subi par l’entreprise victime, l’expert financier est amené à identifier et quantifier les principaux postes d’indemnisation, conformément à la pratique des tribunaux.
Les pertes subies d’abord. Elles sont liées notamment à une perte de marge (perte de clients, ventes non réalisées de plusieurs produits, perte de parts de marché, baisse des ventes en volume, perte des bénéfices liée à un contrat du fait de sa rupture injustifiée). Il convient de noter que la perte de chiffre d’affaires ne constitue pas, à elle seule, un poste de préjudice. En effet, en cas de diminution de l’activité liée aux actes de concurrence déloyale, il faut tenir compte des économies de charges d’exploitation variables dont l’évolution est corrélée au chiffre d’affaires.
Les pertes liées aux dépenses engagées pour corriger les effets néfastes du dommage : coûts liés à la désorganisation durable de l’entreprise (surcoûts en matière de charges de personnel par d’un débauchage massif subi, frais de communication en raison des actes trompeurs de dénigrements…), à la réduction ou la perte d’un avantage concurrentiel.
Puis, le cas échéant, une perte de chance qui correspond à la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable soit d’obtenir un gain, soit de limiter une perte (renouvellement signature de nouveaux contrats…) et qui selon la pratique des tribunaux peut correspondre à un pourcentage plus ou moins élevé du gain escompté ou de la perte constatée.
Enfin, un préjudice d’image, pouvant se traduire, soit par un accroissement des investissements publicitaires, soit par une diminution des prix que la victime devra consentir pour compenser les effets de la concurrence déloyale.
Évaluer le préjudice financier, une question de méthode
Pour évaluer le préjudice financier lié à un acte de concurrence déloyale, il convient de mettre en œuvre une méthodologie pour modéliser la situation financière de la société victime dans l’hypothèse où le préjudice n’aurait pas eu lieu (situation contrefactuelle). Il faudra ensuite comparer cette situation à celle que l’entreprise a connue en réalité pour mesurer l’incidence du dommage jusqu’au rétablissement d’une situation « normale ». Cela suppose d’intégrer des éléments actuels et futurs dans l’identification des conséquences du préjudice.
Préalablement à l’évaluation du préjudice subi, l’expert financier analyse les données financières de l’entreprise victime et identifie le lien de causalité entre le préjudice subi et les pertes financières alléguées. Sur la base des diligences réalisées par l’avocat et son client (collecte de témoignages…), l’expert financier vérifie que les désordres observés (baisse des ventes, surcoûts…) sont bien liés à l’acte de concurrence déloyale et non à d’autres évènements extérieurs.
Pour chiffrer le préjudice subi, l’expert financier « élimine » les conséquences financières des évènements étrangers au litige. En effet, si les revenus réels sont inférieurs à ceux observés avant l’acte de concurrence déloyale, cela peut être également dû à la conjoncture économique. Ainsi, pour estimer la perte de revenus liée au préjudice, l’expert doit exclure les pertes de revenus engendrées par des faits sans lien avec le sinistre.
Pour évaluer, par exemple, le préjudice d’un restaurateur ayant subi un acte de concurrence déloyale en 2020, l’expert financier doit tenir compte, dans son estimation du chiffre d’affaires contrefactuel qui aurait été réalisé en l’absence de dommage, des conséquences négatives de la crise sanitaire sur l’activité de l’entreprise victime qui ne sont pas liées au dommage.
Pour évaluer les pertes subies, la démarche consiste à identifier le chiffre d’affaires perdu duquel sont déduites les charges variables, non supportées du fait de la non-réalisation de ce chiffre d’affaires. Est ainsi retenue la marge sur coût variable, complétée des coûts supplémentaires spécifiques supportés du fait du dommage (telles que des dépenses de restructuration), mais aussi réduite des frais fixes économisés (par exemple, des charges de loyers du fait de la baisse des effectifs).
Concernant la perte de chance, la victime ne peut obtenir la totalité du gain manqué compte tenu de son caractère incertain, mais seulement une partie de celui-ci. Le préjudice indemnisable sur le fondement de la perte de chance correspond donc au produit de la valeur totale du gain manqué par la probabilité de son occurrence.
Le préjudice d’image peut revêtir, pour sa part, un aspect externe (atteinte à la réputation ou à l’honneur), mais également une dimension interne (dégradation de la motivation des équipes, désintérêt des candidats à l’embauche). L’indemnisation de ce poste de préjudice doit être prouvée par la victime et ne peut être forfaitaire. Il relève d’une décision des juges qui peuvent décider une réparation par des mesures complémentaires telles que l’injonction sous astreinte ou la publication judiciaire de la décision.
Méthodes alternatives de réparation…
Il est à noter que, dans les rares cas où les travaux de l’expert financier ne parviennent pas à quantifier de façon certaine un préjudice financier imputable aux actes de concurrence déloyale, la victime n’est pas laissée sans recours par les tribunaux.
Elle peut solliciter dans un cadre judiciaire que le préjudice soit évalué en prenant en considération l’avantage indu que s’est octroyé le responsable des actes déloyaux au détriment de son concurrent sur la base du chiffre d’affaires réalisé illicitement par le concurrent déloyal et sur la foi d’éléments fournis par ce dernier, au besoin sous astreinte. Ou encore, à titre de réparation par équivalent, la publication du jugement à intervenir constatant la faute de concurrence déloyale aux frais de l’instigateur malveillant dans la presse et sur son site internet afin de remédier au trouble commercial subi par la victime.