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Claire Bretton, cofondatrice d’Underdog : « Voir triompher le reconditionné »

Créée à Nantes en 2022, la start-up à impact Underdog ambitionne de devenir la référence du gros électroménager reconditionné en France. Si l’entreprise à mission compte aujourd’hui vingt-cinq salariés, elle a déjà offert une deuxième vie à plus de six mille appareils et envisage d’essaimer son modèle de centre de reconditionnement. C'est dans cette optique qu’elle a lancé un programme pour former près de deux cents techniciens d'ici 2027. Le point avec Claire Bretton.

Claire Bretton, cofondatrice d'Underdog. BENJAMIN LACHENAL - IJ

En plus d’avoir entrepris dans l’impact, vous êtes partenaire de Climate Club (club d’investisseurs à impact), cofondatrice de Climate House (agrégateur d’initiatives pour la transition écologique) et ambassadrice pour la Région du Mouvement Impact France. Pourquoi la lutte contre le changement climatique vous tient-elle tant à cœur ?

J’aimerais que mes enfants grandissent dans un monde qui tourne plus rond. Je trouve que la nature a une force incroyable et notre devoir est de la préserver. Je suis convaincue que cette période de transition environnementale peut être synonyme de projets enthousiasmants. Au lieu d’une contrainte, je la vois comme une période de créativité intense où l’on peut réinventer nos modèles et mieux travailler collectivement. C’est pourquoi ça me tient tant à cœur de m’impliquer dans différents modèles.


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Vous êtes également l’auteure de La Valise, un roman pour lequel vous cherchez un éditeur, qui dénonce le sort de nos seniors tout en dressant une fresque de l’évolution de la condition féminine à travers le regard de trois femmes d’une même famille. Pourquoi avoir écrit sur ces thèmes ?

Parce qu’ils me tiennent particulièrement à cœur ! La Valise, c’est l’histoire presque vraie de trois générations : ma grand-mère, ma mère et moi. Ma grand-mère tombe malade et je raconte comment ma mère et moi allons l’accompagner… Ça m’a effectivement permis d’aborder le rôle de l’accompagnant souvent peu mis en lumière dans notre société ; le traitement de nos seniors dans les hôpitaux de campagne ; et la distance qu’on met entre nos aînés et nous pour se protéger. Je trouve franchement dommage qu’on ne prenne pas le temps d’aller à la rencontre de leurs rêves et combats, qui ont évolué au cours de leur vie. Et le point d’orgue du roman, c’est comment on dit adieu à une personne qui nous est chère sans la pousser vers la porte de sortie, mais en l’autorisant à y aller.

Revenons à Underdog. Étiez-vous destinée à créer un business à impact ?

Pas véritablement au regard de ma formation et mon parcours… En sortie de prépa, j’ai suivi des études de management à l’École Supérieure de Commerce de Paris (ESCP). J’ai enchaîné sur quatre ans dans le conseil en stratégie dans différents secteurs. En 2016, j’ai cofondé ma première entreprise, Daco.io, une start-up développant des solutions d’analyse concurrentielle reposant sur de l’intelligence artificielle. Je l’ai revendue en 2018 à Veepee (anciennement Vente-Privee, NDLR), entreprise que j’ai intégrée en passant deux ans à la tête du pricing. Ensuite, le Covid est arrivé et j’ai choisi de me confiner à Noirmoutier.

Cette mise au vert a-t-elle été fructueuse ?

Nous en avons profité avec mon mari pour créer « Sauvons nos commerces », une association dont la vocation était de les aider à survivre pendant cette période compliquée en leur donnant un coup de pouce pour générer du chiffre d’affaires. C’est là que j’ai véritablement appris ce que cela signifiait de créer un business à impact. J’ai adoré et j’ai décidé de m’y réorienter en commençant par étudier l’économie circulaire à Cambridge.

JULIEN PATALANO

Avec quel état d’esprit êtes-vous ressortie de ce programme ?

J’ai pris conscience que l’économie circulaire me permettrait d’être beaucoup plus engagée et de donner bien plus de sens à mon métier. Au même moment, Jacques-Antoine Granjon, cofondateur de Veepee, voulait monter Re-Cycle, la branche dédiée à la seconde main de la partie textile du site. J’ai levé la main et j’ai travaillé sur cette mission de 2020 à 2022. Concrètement, nous réceptionnions les vêtements de nos membres en entrepôt, avant de les trier, laver, sécher puis les prendre en photo avant de les revendre en ligne. J’ai donc découvert la seconde main au sein de la meilleure école possible.

Quelle prise de conscience vous a amenée à bifurquer dans l’impact et en particulier le gros électroménager ?

Deux chiffres. Le premier, c’est qu’on jette chaque année dix millions d’appareils gros électroménagers en France, soit trente mille par jour ! Et le deuxième, c’est que moins de 3 % de ces machines sont aujourd’hui reconditionnées. C’est un énorme gâchis, à la fois écologique et économique.

C’est pour cette raison que vous avez opté pour le reconditionnement ?

Oui. Le reconditionnement a changé la manière dont on consomme les smartphones, le textile, la voiture… Mais certains secteurs n’étaient pas encore touchés, notamment le gros électroménager. Il y avait donc quelque chose à faire sur ce marché et c’est dans cette optique que j’ai cofondé Underdog.

Avec qui vous êtes-vous associée ?

Avec Léa de Fierkowsky et Laura Chavigny, que j’ai connues chez Veepee. Laura était COO chez Re-Cycle : elle a ouvert l’entrepôt, défini tous les process, les a améliorés et a géré toutes les opérations. Aujourd’hui, c’est précisément son rôle chez Underdog. Laura était une des directrices commerciales Europe de Veepee. Sa force était de créer des relations fortes avec les fournisseurs. Aujourd’hui, elle s’occupe de toute la partie approvisionnement d’Underdog.

BENJAMIN LACHENAL – IJ

Pourquoi avoir choisi Nantes comme base de votre start-up ?

Deux raisons. La première est personnelle. J’habitais à Paris et j’ai eu envie de déménager après avoir eu deux enfants. Ma belle-famille étant de Nantes, on a regardé de ce côté… La seconde est professionnelle : l’écosystème nantais est incroyable, avec à la fois des start-up et des industriels, ce qui nous permet d’accélérer beaucoup plus vite et d’être très bien accompagnées.

Justement comment percevez-vous l’univers green tech nantais ?

J’adore son dynamisme. Notamment grâce au vivier de start-up à impact qui le composent et aux nombreuses femmes entrepreneurs qui y œuvrent. Il y a une énergie folle qui s’en dégage, mais aussi de l’humilité et de la transparence. On y partage nos difficultés, on avance ensemble et on est avant tout très soudés.

Comment avez-vous financé au départ Underdog ?

Grâce à un premier tour de financement. Nous avons levé 3,8 M€ auprès de grands fonds comme Daphni et d’une trentaine de business angels.

« On fera du reconditionné une nouvelle norme de consommation »

Pourquoi avoir opté pour le modèle de société à mission ?

Il permet d’inscrire concrètement notre mission dans les statuts de l’entreprise : « Encourager la création d’une filière de reconditionnement de gros électroménager en France. » On veut qu’il y ait de plus en plus de produits défectueux qui soient réparés. Mais aussi plus de reconditionneurs sur le territoire. Car seules on n’arrivera pas à changer la donne. Il faut vraiment donner un élan à la filière pour convaincre plus de Français d’y aller. C’est de cette manière qu’on fera du reconditionné une nouvelle norme de consommation.

JULIEN PATALANO

Au fait, pourquoi « Underdog » ?

C’est un synonyme de challenger. Aux États-Unis, c’est beaucoup utilisé dans le sport. Et littéralement, c’est le petit qu’on n’avait pas vu venir et qu’on veut voir gagner. C’est vraiment notre état d’esprit : on arrive face aux géants du neuf et on veut voir triompher le reconditionné.

Comment collectez-vous les gros appareils électroménagers défectueux ?

Via des partenaires BtoB : des distributeurs, des marques, des transporteurs. Nous avons également un service de collecte gratuit sur Nantes et sa périphérie où chacun peut prendre rendez-vous via notre site. Un de nos partenaires va récupérer l’appareil à vélo, avant de nous le livrer dans notre entrepôt de Chantenay.

Pouvez-vous présenter votre process de reconditionnement une fois les machines livrées dans votre atelier ?

On commence par diagnostiquer la panne et identifier les pièces d’usure. Ensuite, on procède aux réparations et on change les pièces nécessaires. Puis, chaque produit est testé en conditions réelles. Si tout fonctionne, il passe à l’étape de lavage car on veut impérativement que le produit reconditionné soit vendu dans le même état qu’un neuf pour encourager le consommateur à le choisir. Chaque appareil est ensuite pris en photo pour le site web de manière à offrir au consommateur une expérience 100 % transparente. Il peut zoomer et voir les éventuels défauts esthétiques du produit. Puis on le met en stock et enfin en ligne. Une fois vendu, on l’expédie et on est capable de le livrer et l’installer partout en France.

Qui sont vos clients ?

Il y a d’un côté les personnes déjà sensibilisées à la différence d’impact qui existe entre une machine neuve et une reconditionnée. Et de l’autre les personnes convaincues par le prix, puisqu’en moyenne le reconditionné est 30 % moins cher que le neuf. Il y en aussi qui viennent à la fois pour l’impact et le prix. Et aujourd’hui, entre 10 et 15 % de nos clients sont de Loire-Atlantique.

Quelle est la durée de vie de vos appareils une fois reconditionnés ?

Grâce au changement des pièces détachées défectueuses et d’usure, la durée de vie d’un appareil reconditionné est la même qu’un neuf. C’est pourquoi tous nos produits bénéficient de la même garantie, à savoir deux ans.

Où en est la start-up actuellement ?

Aujourd’hui, nous sommes vingt-cinq dans l’entreprise : quinze en atelier et dix dans les bureaux. Nous réparons et vendons près de cinq cents machines par mois. Et nous avons offert une deuxième vie à plus de six mille machines depuis notre lancement.

Après avoir lancé l’activité avec un site de vente en ligne en 2022, vous avez ouvert en 2023 un magasin à Nantes. Quel était votre objectif ?

C’était d’abord pour rencontrer nos clients et comprendre qui consomme du reconditionné. Ensuite pour les faire entrer dans le cœur de notre atelier afin qu’ils découvrent le process de reconditionnement et nos standards de qualité. Car aujourd’hui, le reconditionné reste un peu flou pour certains qui se posent encore des questions sur sa fiabilité.

Le challenge de toute start-up est d’atteindre la rentabilité. Où en êtes-vous sur ce point ?

Nous gagnons de l’argent sur chaque machine vendue, même si l’atelier n’est pas encore au maximum de ses capacités. Concrètement, nous pouvons monter jusqu’à 45 techniciens. Nous recrutons au maximum actuellement car une fois cette montée en puissance effectuée, Underdog sera rentable. C’est dans cette optique que nous avons mis en place il y a un an avec la Région un programme de formation et reconversion pour recruter davantage de techniciens.

Justement, en quoi consiste-t-il et quel bilan en tirez-vous ?

France Travail a sélectionné des candidats à qui nous avons fait passer des entretiens. Aucun diplôme, expérience ou formation n’était requis. Nous avons retenu les profils qui avaient une appétence manuelle car c’est le cœur du métier. Puis, nous les avons formés trois mois au métier de technicien. Après quoi ils avaient le choix de rester ou pas. Tous sont encore chez nous aujourd’hui et sont devenus reconditionneurs à part entière : ils sont aussi performants et productifs que des techniciens diplômés et expérimentés. Le bilan de cette formation est ultra positif et c’est pourquoi nous envisageons de dupliquer ce modèle à d’autres métiers, comme le nettoyage des machines.

En dehors du financement et la montée en capacité de votre atelier, quels sont vos enjeux ?

D’abord réussir à aller chercher un maximum de produits défectueux pour les sauver. Ce qui implique de travailler sur l’accès au gisement. Ensuite, continuer à convaincre un maximum de Français de passer au reconditionné. Selon les dernières études, 63 % d’entre eux se disent prêts à acheter du reconditionné sur de gros électroménagers. C’est un travail de tous les jours de les éduquer au fait que c’est aussi fiable que le neuf, moins cher et que c’est la meilleure solution pour la planète.

L’approvisionnement en pièces détachées est-il problématique ?

Non, le souci, c’est plutôt le prix de certaines pièces détachées. Aujourd’hui, on sait réparer 70 % des machines qu’on reçoit. Dans les 30 % restants, il y a des pannes techniques mais surtout des « chaos financiers ». Il s’agit de produits qu’on ne peut pas réparer parce que les pièces détachées coûtent trop cher et que leur réparation ne serait pas rentable.

Comment Underdog se démarque-t-elle dans l’électroménager durable ?

Nous sommes les seuls acteurs de l’économie privée à avoir une activité 100 % dédiée au reconditionnement du gros électroménager. Sur notre site, on propose la meilleure expérience client possible avec la garantie, la livraison et l’installation. En revanche, iI existe des associations bien implantées sur le territoire comme Envie44 qui proposent de l’électroménager reconditionné. Mais elles ont un modèle de développement totalement différent du nôtre puisque leur cœur de mission, c’est l’insertion.

Quels sont vos objectifs de développement à trois ans ?

Un fois que notre atelier nantais sera au maximum de ses capacités, nous comptons le dupliquer et ouvrir un entrepôt par an en France, avec l’objectif de devenir la référence du gros électroménager reconditionné. Cela implique de former deux cents techniciens supplémentaires d’ici 2027 et nécessitera une nouvelle levée de fonds l’année prochaine.

« L’idée est d’aller essaimer notre modèle en Europe »

Avez-vous également des ambitions à l’international ?

Pour une fois, on peut dire « cocorico » car la France est en avance sur l’économie circulaire. Donc pas dans l’immédiat… Mais d’ici quelques années, l’idée est effectivement d’aller essaimer notre modèle en Europe.

En quoi la formation de techniciens constitue un enjeu clé pour la filière de reconditionnement ?

Ce nouveau métier est crucial pour l’avenir de la filière car il répond à un besoin dans un contexte de pénurie de techniciens et participe à la réindustrialisation de la France.

Comment rendre les métiers du réemploi plus attractifs ?

Montrer que la transition ne se fera pas sans ces mains et ces cerveaux-là. Ce sera d’ailleurs la clé de voûte de la transformation environnementale. C’est pourquoi il faut qu’on continue de former et d’embarquer un maximum de personnes dans cette mission. Aujourd’hui, on a chez Underdog un taux de turn-over à zéro, car nos techniciens sont pleinement investis dans leur mission et se sentent utiles. Ce sont eux qui réparent les machines et leur donnent une deuxième vie.

JULIEN PATALANO

Quels autres défis doit relever la filière pour convertir plus de Français à l’électroménager durable ?

Sur les dix millions d’appareils électroménagers jetés chaque année, 93 % sont fléchés vers le recyclage et non le réemploi. Il y a donc une logistique à mettre en place pour aller vers une « collecte préservante » et arrêter de transporter ces produits comme des déchets. Aujourd’hui, quand vous déposez une machine en déchetterie, elle est conservée dehors ou jetée dans une benne. Ensuite, il faut mettre en place une filière dédiée pour transformer l’industrie vers un modèle plus circulaire. C’est comme ça qu’on arrivera à proposer aux Français un choix plus large d’appareils reconditionnés tout en inspirant d’autres entrepreneurs et en créant des emplois.

Considérez-vous le soutien des pouvoirs publics suffisant pour aller vers une consommation plus responsable ?

Pour l’instant, le reconditionné reste dans l’angle mort des pouvoirs publics mais on travaille à le faire sortir ! Si on veut que les Français changent massivement leurs habitudes, ça passe aussi par le prix. Surtout dans un contexte inflationniste. C’est pourquoi on œuvre pour une TVA circulaire, avec un taux réduit sur les produits issus du réemploi. On pourrait aussi imaginer que ces produits deviennent éligibles au bonus réparation.

Est-ce que l’obsolescence programmée est une réalité dans l’électroménager ?

On imagine l’obsolescence programmée avec des ingénieurs qui conçoivent des pièces pour qu’elles cassent deux jours après la fin de garantie. Je pense que ça n’existe pas. En revanche, il existe bien des défaillances chroniques sur certains appareils.

Quels conseils donneriez-vous à ceux qui envisagent d’entreprendre dans l’impact ?

Allez-y ! C’est la meilleure des aventures d’allier entrepreneuriat et mission parce qu’on voit l’impact qu’on génère. Il faut oser, et petit à petit, il n’y a pas de raison qu’on n’y arrive pas. Être entrepreneur à impact est une chance énorme, car elle nous offre l’opportunité de faire bouger les lignes à notre échelle tout en mettant en place des solutions pour que ce monde soit plus juste.

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