Quelles sont les grandes étapes de votre parcours qui vous ont conduit à devenir directeur général du groupe Beneteau en 2022 ?
Après une double formation d’ingénieur en génie des systèmes industriels et de gestion et management des entreprises, j’ai commencé ma carrière chez Valeo en 1998. Pendant vingt-deux ans, j’ai exercé différentes fonctions dans le domaine financier. J’ai accompagné plusieurs projets de transformation d’entreprises françaises et internationales. J’ai également eu l’opportunité de participer à trois acquisitions en Europe et en Amérique du Nord, ainsi qu’à leur intégration. En février 2020, j’ai rejoint Beneteau comme directeur financier. En juin 2022, j’ai été promu directeur général du groupe.
Lire aussi
Nicolas Derouault, PDG du groupe Idea : « Demain, la logistique sera encore plus collaborative »
Quelle a été votre feuille de route depuis près de cinq ans ?
Beneteau est un groupe nautique multispécialiste présent sur trois segments d’activité : la voile, les petites (de 6 à 14 mètres) et les grandes unités (de 10 à 24 mètres) moteurs. Cette particularité fait notre force. Avec le Covid, nous avons décidé de sécuriser notre trésorerie et de fixer un nouveau cap stratégique à horizon 2025, fondé sur une stratégie industrielle plus efficiente et sur une innovation au service de l’environnement. Le nom de ce programme ambitieux lancé en juillet 2020 est « Let’s go beyond! ». En français, « Dépassons nos limites ».
Ma première tâche a été de rendre notre organisation la plus efficace possible pour accélérer le développement du groupe dans chacun de ces trois segments avec une orientation client plus forte. L’idée était de rationaliser l’offre de chaque marque, d’éviter de surinvestir tout en étant ambitieux sur chacun des segments.
La deuxième mission a été de recentrer le groupe Beneteau sur le nautisme et de nous séparer de notre activité habitat. Annoncé il y a presque un an et demi, ce transfert d’activité avec Trigano a été validé fin octobre par l’Autorité de la concurrence, permettant la réalisation de l’opération avant la fin de l’exercice 2024.
Cette volonté de faire de Beneteau un pure player du nautisme s’est combinée avec une stratégie de montée en gamme et de croissance en valeur. Le nautisme est une activité relativement cyclique où selon les saisons, les volumes sont susceptibles d’être en forte croissance ou décroissance. L’objectif premier était d’être le moins dépendant possible des volumes, de s’inscrire dans un tunnel de rentabilité qui nous permette de franchir ces cycles, tout en continuant à investir dans notre offre produit, dans le renouvellement de nos gammes et dans la pénétration de nouveaux segments de marché.
Beneteau a cent quarante ans. Comment résumeriez-vous son ADN ?
L’ADN du groupe se résume en quatre mots : la passion, l’esprit de conquête, l’audace et la transmission. La passion, c’est celle du produit. De l’audace, il en fallait pour se dire en 1964, puisque le marché du bateau de pêche en bois était en train de s’éteindre, optons pour un nouveau matériau, le polyester. Et quand on parle de transmission, elle est évidemment d’ordre familial puisque Beneteau est une maison familiale depuis cent quarante ans et quatre générations. La transmission porte également sur les savoir-faire.
Mais au-delà de ces valeurs fortes, je retiens l’incroyable capacité de Beneteau à s’adapter aux évolutions du marché sur des périodes longues. C’est sa capacité à accélérer les processus de développement et le lancement de nouveaux modèles à un moment où le marché ou les événements vont dans le sens inverse et nécessitent de s’adapter. C’est aussi sa capacité à innover pour rendre le nautisme accessible au plus grand nombre.

Le concept boat Island Cruising de Beneteau, actuellement en test grandeur nature. GROUPE BENETEAU
L’ADN du groupe Beneteau se résume en quatre mots : la passion, l’esprit de conquête, l’audace et la transmission
Quel lien a Beneteau avec le Vendée Globe ?
Notre présence est logique et naturelle. Le siège du groupe est en Vendée et il va le rester. Les deux ont une dimension internationale : Beneteau via l’export qui représente 85 % du chiffre d’affaires, et le Vendée Globe par ses quarante skippers issus de onze nationalités. Évidemment, nous profitons de l’influence et du coup de projecteur donné sur la voile et la plaisance pour partager notre passion auprès du public et des propriétaires historiques ou en puissance. Mais le cœur de notre présence est plus patrimonial qu’économique.
Le lien le plus marquant avec le Vendée Globe se situe sans aucun doute en amont de la course. Les skippers qui participent au Vendée ont tous grandi et fait leurs classes sur des Figaro Beneteau. Ils ont souvent gagné une étape de la Solitaire. Il existe trois générations de Figaro Beneteau, fabriqués en 1990, 2003 et 2016. La troisième génération est celle dans laquelle on a embarqué les foils qui sont devenus le standard des Imoca d’aujourd’hui. D’une certaine manière, la classe Figaro Beneteau est l’incubateur du Vendée Globe.
Quel rapport Beneteau entretient-il avec la course au large ?
Il est plutôt ponctuel, mais fréquent. Il y a eu les trois aventures avec la classe Figaro Beneteau, un peu de sponsoring aussi il y a quarante ans. Et aujourd’hui, nous sommes partenaires de plusieurs grandes courses comme le Vendée Globe.
En ce moment, ce lien prend une autre forme, celle de rendre la plaisance comme la course au large plus écoresponsable. La course au large est toujours en recherche de solutions d’amélioration de la performance, soit pour aller plus vite, soit pour consommer moins, soit les deux. Dans la conception d’un bateau de course au large, il y a aussi une culture du gain de poids qui est aussi une brique d’économie d’énergie pour la plaisance. Si les utilisations sont différentes dans les deux cas, les solutions peuvent se recouper. On codéveloppe et on teste différentes innovations technologiques comme le foil et la résine recyclable sur la course au large avant de les ramener dans le domaine de la plaisance.
Quels sont vos principaux engagements RSE ?
Notre stratégie RSE repose sur trois piliers. Le premier, c’est la croissance éthique et responsable. Le second pilier, c’est l’équipage engagé. Les actions portent sur la manière dont nous protégeons et respectons nos talents, sur le respect de la parité ou encore la lutte contre le harcèlement. La parité est un point sur lequel nous avons beaucoup progressé ces deux dernières années. Au sein de toutes les organisations, nous avons mis en place des indicateurs de parité salariale. Et, au niveau de la gouvernance, notre conseil d’administration, présidée par Catherine Pourre, respecte l’équilibre homme/femme.
Notre troisième pilier est environnemental. Notre volonté est de réduire de 30 % notre empreinte carbone d’ici 2030 – le point de départ étant 2022 – à travers plusieurs briques.
Quelles sont les étapes de cette réduction de votre empreinte carbone ?
La première porte sur l’analyse des cycles de vie de nos produits. L’objectif est de savoir ce qui vient de la phase de production, de la phase d’usage du bateau et de celle de la déconstruction. La seconde brique concerne les actions de décarbonation sur l’ensemble du cycle de vie.
Commençons par la déconstruction. Notre ambition est d’optimiser cette phase pour que les matériaux utilisés aujourd’hui puissent être réutilisés demain. Sur la partie usage, il y a deux aspects à prendre en compte : comment faire en sorte que nos bateaux consomment moins et comment faire pour que l’énergie consommée soit le moins carbonée possible. Il va donc y avoir un volet architecture navale et un volet propulsion. On va ainsi concevoir des carènes optimisées pour consommer moins, notamment grâce aux foils qui leur permettent de planer au-dessus de l’eau.
Parallèlement, nous avons déployé récemment une application digitale baptisée Seanapps. Elle permet de mesurer factuellement, sur une flotte de dix mille bateaux à ce jour, comment ils sont réellement utilisés. Nous intégrons ensuite ces données dans la conception pour proposer des fonctionnalités adaptées aux différents usages. Ce que l’on constate, c’est qu’ils ne veulent pas forcément aller plus vite. Ce qu’ils recherchent, c’est plus d’espace et de confort, réduire le bruit et la consommation.
Et donc nous avons construit un bateau concept qui se situe entre le monocoque et le multicoque. Il est équipé d’une propulsion électrique et d’un générateur thermique. Des panneaux solaires lui fournissent 50 % de l’énergie nécessaire en navigation estivale. Ce cas d’usage répond parfaitement à ce que veulent nos clients. Ce prototype est testé, en location, depuis septembre et jusqu’en février, en conditions réelles par des clients en Croatie et dans les Caraïbes. C’est bien plus que l’expérience utilisateur qui est testée. C’est de savoir quels sont les axes d’amélioration, quelle est la perception de l’expérience de navigation de produit.

L’atelier de montage à Saint-Gilles-Croix-de-Vie. GROUPE BENETEAU
Quid de la phase de production ?
C’est la phase sur laquelle on est le plus avancé. Nous avons démarré il y a une quinzaine d’années avec des actions concrètes comme l’utilisation de résine moins émissive. Toutes nos usines françaises et notre chantier polonais sont certifiées Iso 14001, norme qui signifie que l’on a une démarche structurée d’amélioration continue de notre empreinte carbone.
La décarbonation du secteur nautique est un enjeu majeur. Quel est votre regard sur le sujet ?
Il y a une conscience naturelle des acteurs du nautisme. Une seule action ne suffira pas à sauver la mer et la planète. Il est donc primordial d’embarquer l’ensemble de la filière pour avoir un impact réel. Or, l’industrie nautique est un marché éclaté avec de nombreux acteurs. La filière n’est pas encore aussi bien structurée que dans l’automobile, même si, en Europe, les choses évoluent dans le bon sens. Les différentes fédérations nationales commencent à se coordonner sur l’analyse du cycle de vie des produits et font le lien avec les chantiers constructeurs.
Encore une fois, c’est important de comprendre de quoi on parle. Électrifier, ce n’est pas forcément décarboner. Une solution intuitivement décarbonante ne le sera peut-être plus en fonction du nombre d’heures d’utilisation du produit. C’est pour cela qu’il est essentiel d’analyser le cycle de vie, d’identifier l’impact d’une action en fonction des divers cas d’usage. D’où l’intérêt d’avoir une approche scientifique rationnelle, documentée. Et de parler le même langage.
Ce que je retiens, c’est l’incroyable capacité de Beneteau à s’adapter aux évolutions du marché sur des périodes longues
Comment l’innovation technologique peut-elle aider à tendre vers un nautisme plus durable ?
Pour être pertinente et durable, l’innovation technologique doit être corrélée au type de bateau, à son architecture et à l’usage qui va en être fait. Autrement dit, il faut prendre en compte l’environnement dans lequel elle s’inscrit. Par exemple, lorsque vous concevez un bateau, vous faites une coque censée aller à une vitesse déterminée, et vous propulsez. Vous mettez le moteur pour aller avec cette vitesse. Si l’utilisateur va moins vite, il pense consommer moins, mais en fait, comme il met plus longtemps, il consomme plus parce qu’il pousse plus d’eau. Il est donc essentiel de sensibiliser l’utilisateur sur les conditions optimales d’usage pour lesquelles son bateau a été conçu.
In fine, chez Beneteau, nous sommes plus des intégrateurs de solutions technologiques que des développeurs. Notre développement est dans le bateau lui-même, dans l’architecture navale, dans notre capacité à intégrer ces briques technologiques et à les rendre compatibles avec l’environnement marin.

Une accastilleuse sur le site Beneteau des Herbiers. GROUPE BENETEAU
Vous innovez aussi du côté des usages. Pourquoi ?
Le marché des petites unités (moins de 24 pieds) reste encore soumis à l’inflation et aux taux d’intérêt. Innover dans le domaine des usages a pour objectif de redynamiser la vente de nos bateaux sur ce segment. Nous avons d’abord privilégié l’option « boat club ». Ces clubs privés proposent à leurs membres des solutions de navigation à la journée ou à la semaine. En 2021, nous sommes entrés au capital de l’Américain Your boat club, qui compte plus de trente-cinq bases de navigation aux Etats-Unis. En 2023, nous avons intégré la référence de la navigation par abonnement, Wiziboat, un réseau de plus de trente boat clubs destinés à nos clients français et européens. Enfin, pour répondre à un marché de la location en plein essor, nous avons fait le choix, il y a deux ans et demi, d’entrer au capital de deux grandes sociétés de la location : Navigare Yachting et Dream Yacht Charter qui représentent 10 % du marché mondial.
L’année 2024 est compliquée pour Beneteau. Comment l’analysez-vous ?
Il y a un peu plus d’un an, nous avions publié nos résultats du premier semestre 2023 en disant que ce serait une année record et que 2024 serait une année de déstockage qui s’accompagnerait d’une réduction des commandes.
Si l’on veut être plus précis, il y a deux phénomènes qui se combinent : celui du ralentissement significatif de la demande des clients finaux sur les petites unités (en baisse de 25 à 30 % sur le premier semestre), amplifié par le phénomène de déstockage de nos réseaux de distribution. Comme ils déstockent beaucoup, nous, forcément, nous produisons moins. Concrètement, en 2024, nous avons livré entre 40 et 60 % de petites unités en moins. Le climat d’incertitude politique n’aide pas. La question désormais, c’est de savoir à quel moment les taux d’intérêt vont baisser pour rendre l’accès au stock et à la propriété à nouveau possible. En attendant, nous multiplions les initiatives pour soutenir nos clients concessionnaires et accélérons le lancement de nouveaux modèles pour être prêts lors du rebond de l’activité.
Quels ont été les impacts dans les ressources humaines et l’organisation ?
La situation a été gérée en toute transparence avec les équipes et en mettant en place des mesures d’adaptation comme le chômage partiel. Nous avons réduit le nombre d’intérimaires et mis en place un accord de modulation du temps de travail en réduisant le nombre de jours travaillés en 2024. Ces mesures varient selon les sites et les segments opérés. Elles sont réajustées régulièrement. Le but était de pouvoir préserver notre capacité de rebond en 2025-2026, quand le marché repartira. Nous avons épargné les équipes de produits nouveaux et raccourci certains plannings de développement.
Nous avons aussi tiré les leçons du passé. Avant 2019, pour sortir d’une impasse, nous lancions beaucoup de nouveaux modèles. Cela avait plutôt engorgé les usines et obéré la rentabilité par surinvestissement sans générer la croissance attendue. Ces dernières années, nous avons donc transformé notre outil industriel pour le rendre plus agile et moins orienté grande série. Cette flexibilité nous permet de lancer de nouveaux modèles sur certaines usines que l’on a agrandies sans que cela ne perturbe leur axe industriel. L’innovation reste une priorité pour rebondir.
Êtes-vous optimistes pour 2025 ?
Oui, dans la mesure où les salons nautiques de Cannes et de La Rochelle (Le Grand Pavois) ont été plutôt bons par rapport à l’an dernier, même si le marché des petites unités reste globalement encore fragile. Le chiffre d’affaires devrait repartir à la hausse à partir du second semestre 2025. Nos réseaux de distribution auront alors fini de déstocker et commenceront à aligner ce qu’ils vendent avec ce qu’ils nous commandent.

GROUPE BENETEAU
En chiffres
N° 1 mondial sur le segment des bateaux à moteur de 40 à 60 pieds, et sur celui des voiles monocoque et multicoque
N° 1 européen du moteur hors-bord
16 sites de production à travers le monde dont 9 en France (après cession de la branche habitat)
1 200 concessionnaires dans le monde
8 130 collaborateurs
1,7 Md€ de CA en 2023 dont 85 % réalisés à l’export
La famille (Annette Roux et ses enfants) détient 54 % des parts de Beneteau
Beneteau : 140 ans d’excellence