Dans le paysage complexe de l’entrepreneuriat, le statut matrimonial du chef d’entreprise est souvent adopté longtemps avant d’embrasser celui d’entrepreneur, et sans l’anticiper. Or, non seulement le régime matrimonial détermine la répartition des biens entre époux, mais il a aussi des implications significatives sur la gestion et la protection des actifs professionnels.
En régime de communauté réduite aux acquêts, des liens étroits
En vertu de la « présomption de communauté », cœur de ce régime légal, tous les biens acquis en cours de mariage constituent des biens communs et tel est donc le cas de toutes les participations acquises ou les sociétés créées en cours d’union.
Pour se soustraire à cette qualification, une seule voie, celle de la clause d’emploi ou de remploi. Ce mécanisme consiste à faire constater que l’époux associé utilise des fonds propres pour souscrire au capital social, de sorte que les parts reçoivent la même qualification que les fonds employés : propres. D’ici à parler de « blanchiment » lorsqu’on utilise des fonds opportunément donnés pour souscrire au capital d’une société, il n’y a parfois qu’un pas.
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La qualification emporte une conséquence importante sur le gage des éventuels créanciers professionnels, mais aussi sur les pouvoirs des époux. Si le bien est propre, l’étanchéité est presque parfaite entre la société et le régime matrimonial. En revanche, si le bien est commun, une attention particulière doit être portée aux interactions entre les règles du droit des sociétés et celles du régime matrimonial.
Les enjeux ne sont pas les mêmes en fonction de la forme de la société. On distingue ainsi les titres « non négociables » (traditionnellement SARL, Société civile, Société commerciale) et les titres librement négociables, concrètement les actions d’une Société anonyme (SA), par exemple.
Pour les parts sociales non négociables, on distingue encore entre « le titre » et « la finance ». Concernant « le titre », l’époux qui fait l’apport ou réalise l’acquisition reçoit la qualité d’associé. L’autre conjoint doit nécessairement en avoir été averti, et il peut d’ailleurs notifier son intention d’être personnellement associé, à hauteur de la moitié des parts.
Sans renonciation expresse, le conjoint pourra revendiquer cette qualité d’associé à tout moment, ce qui survient parfois au moment le moins opportun, celui du divorce. En toutes hypothèses, les parts sociales sont soumises à la règle de la cogestion, c’est-à-dire que l’accord des deux époux (même celui qui n’est pas associé) est requis pour leur cession.
Pour ce qui est de « la finance » : la valeur des parts est commune. Une singularité non négligeable dans l’évaluation : la Cour de cassation refuse de tenir de la fiscalité latente, considérant qu’il s’agit d’une dette future et hypothétique. La conséquence est lourde pour l’époux-chef d’entreprise, contraint, pour conserver son outil professionnel, d’indemniser son conjoint à hauteur de la valeur brute de la société…
Pour toutes les autres formes de société (SA), les titres négociables appartiennent à la communauté avec ce tempérament que le droit de vote est exercé par celui qui est titré.
En régime de participation aux acquêts, des subtilités techniques à ne pas négliger
Ce régime matrimonial, qu’on a tendance à résumer à un régime de séparation de biens, avec une vocation communautaire au moment de la dissolution, présente en réalité des particularités bien plus spécifiques.
En théorie, il est particulièrement attractif pour le chef d’entreprise : il permet une réelle indépendance sur la propriété et la gouvernance de la société, mais assure aussi protection du conjoint, dont le patrimoine est exclu du gage des créanciers professionnels, mais qui profitera du partage de la valeur de la société au moment de la dissolution du régime matrimonial.
Il est fréquent néanmoins que le contrat contienne une clause d’exclusion des biens professionnels du calcul de la créance de participation. C’est une précaution utile quand l’outil professionnel constitue une part importante de la valeur du patrimoine de l’époux, lequel pourrait, comme on l’a vu en régime de communauté, mettre en péril la pérennité de son entreprise pour indemniser son conjoint.
En 2020, émoi chez les professionnels du droit (il nous en faut peu, certes), après que la Cour de cassation a qualifié cette clause d’exclusion des biens professionnels d’avantage matrimonial, la privant de toute efficacité au moment du divorce… Le législateur, sensible à l’agitation que la jurisprudence de la Haute Chambre avait suscitée, est intervenu à l’occasion de la loi du 31 mai 2024, permettant désormais aux époux de prévoir, dès leur contrat de mariage, que l’avantage matrimonial stipulé ne pourra pas être révoqué au moment du divorce. Ouf ! Sauf pour les contrats déjà rédigés ?
Une autre jurisprudence récente est venue nous faire encore douter de la pertinence de ce régime matrimonial pour le chef d’entreprise. Une épouse, propriétaire d’une officine de pharmacie (dès avant le mariage), a dû partager, au moment de la dissolution du régime, la plus-value de sa société survenue au cours du mariage, dès lors que celle-ci résultait de son industrie personnelle.
La participation aux acquêts peut ainsi se révéler plus communautaire que le régime légal, puisqu’en régime de communauté, ce bien aurait reçu la qualification de bien propre, et l’époux propriétaire n’aurait rien eu à partager de ce chef.
En régime de séparation de biens, une meilleure imperméabilité
Il semble qu’il n’y ait que le régime de séparation de biens qui assure une séparation réelle entre l’outil professionnel et la vie matrimoniale : protection du patrimoine du conjoint, totale autonomie dans la gestion en cours d’union, pas de partage de valeur au moment de la dissolution.
Attention néanmoins, la valeur de l’entreprise de l’un des époux peut avoir un effet notable, lorsqu’il s’agit d’apprécier un éventuel droit à une prestation compensatoire, et ce, quel que soit le régime matrimonial des époux.