Comment a été créée Pilgrim Technology ?
L’entreprise est née de ma rencontre avec Frédéric Chesnin, un professionnel de l’inspection industrielle. Il était responsable de projets offshore au sein de Réel, un groupe qui a fait appel à l’entreprise de conception de logiciel sur mesure que j’avais à l’époque pour créer un logiciel de suivi. Une fois cette mission terminée, nous avons décidé de nous associer en 2012 pour monter Pilgrim Technology (pilgrim signifie pèlerin en anglais, NDLR), une start-up qui associe deux univers : l’inspection industrielle et l’innovation.
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Quel est le métier de l’entreprise ?
Au départ, c’était exclusivement de l’inspection industrielle, activité consistant à vérifier la conformité des réalisations et installations. Concrètement, on fournit des inspecteurs, techniciens et spécialistes à nos clients pour assurer ces inspections mais aussi de l’audit qualité, de l’assistance technique ou de la surveillance. Nous avons ensuite élargi notre activité en développant des drones et robots pour assurer ces missions, tout en proposant à nos clients de traiter les données collectées. Nous assurons désormais aussi de l’ingénierie non récurrente avec de la fabrication de machines sur mesure.
Justement, qui sont vos clients ?
Nous travaillons uniquement en BtoB pour des grands comptes, principalement dans le domaine des énergies, oil & gas, mais aussi un peu dans le nucléaire et de plus en plus dans les énergies renouvelables. Nous travaillons aussi pour la sécurité et la défense à travers des clients comme Thales et Naval Group. Mais également le maritime, le transport et plus récemment d’autres secteurs comme l’adduction d’eau.

Le plus gros drone de la gamme mesure 4,20 m d’envergure et est capable de transporter 30 kilos pendant 30 minutes. PILGRIM TECHNOLOGY
Pourquoi ces grands comptes font-ils appel à vous ?
Dans le domaine de l’inspection industrielle, nous sommes tierce partie. Cela signifie que si Total veut construire un gros navire d’installation de pipes en mer, l’entreprise va lancer des appels d’offres, notamment sur le volet inspection. Ces marchés vont être remportés par des grands groupes de contrôle comme Lloyd’s ou Bureau Veritas. Si ces derniers n’ont pas les ressources en interne, ils vont faire appel à des entreprises comme la nôtre pour leur fournir les spécialistes recherchés et signer les inspections en leur nom.
Comment avez-vous été amenés à utiliser des drones ?
Comme nos inspections sont souvent dangereuses, complexes et dans des environnements inaccessibles, nous avons commencé à nous intéresser à leur utilisation dès 2012. Ça a été le cas à Singapour sur un bateau où nous n’avions pas les habilitations pour effectuer nos inspections en hauteur. Cela nous a fait perdre le marché. Néanmoins, comme le navire disposait d’un héliport à l’arrière et d’une station pour les robots sous-marins à l’avant, nous avons eu l’idée de les utiliser comme base de lancement. C’est là qu’on a décidé de créer notre premier drone pour effectuer nos inspections en hauteur.
Comment avez-vous procédé ?
Nous avons recruté deux jeunes en BTS CIEL (cybersécurité, informatique, réseaux, électronique) au lycée nantais St Félix-La Salle, car leur projet de fin d’année était de faire voler un drone programmable et le rendre autonome. Notre objectif était de s’appuyer sur eux pour créer un bureau d’études dédié. Dans le même temps, j’ai pris mon bâton de pèlerin pour obtenir des autorisations de vol pour nos machines. Ça a porté ses fruits : l’arrêté est sorti en 2012 et il nous a ouvert de nombreuses perspectives.
Créer des briques technologiques que l’on va empiler comme sur un Lego
Pouvez-vous présenter votre offre de drones ?
Dans notre catalogue, ils sont catégorisés en fonction du poids qu’ils peuvent transporter : le « petit », de 1,70 m d’envergure, est capable d’emporter 10 kg, et le « gros », de 4,20 m d’envergure, 30 kg pendant 30 minutes. Comme obtenir le label permettant de commercialiser un drone dans l’UE coûte cher, nous avons récemment réduit notre gamme de six à deux modèles.
Pourquoi avoir ensuite développé des robots ?
Voler ne suffisait pas dans certains sites industriels. Il nous fallait plutôt des machines capables d’aller dans des endroits où l’homme ne peut pas accéder, comme sous les quais du métro parisien. C’est comme ça qu’est né le robot Furia, qui est destiné aux interventions en espaces contraints : cuves, citernes, couloirs d’évacuation… Mais sans eau !
Et pour les interventions dans l’eau ?
Nous avons développé une gamme de robots aquatiques. D’abord le Skipper, un appareil flottant qui ne travaille que dans les eaux propres. Grâce à un laser, il navigue en autonomie au milieu d’une canalisation d’eau potable tout en évitant les obstacles. Il est capable de modéliser l’espace où il se trouve et parcourir des dizaines de kilomètres.
Plus récemment, nous avons créé l’Amphibot, un robot spécialement dédié aux inspections de canalisations d’eaux usées. Sa propulsion avec un système de vis sans fin lui permet de naviguer dans les parties en eau mais également d’avancer dans des zones encombrées de sable, cailloux, graisse…
Vous travaillez également sur des machines encore plus originales, non ?
Oui, notamment une basée sur le biomimétisme : l’Hexapode, que l’on développe depuis cinq ans. Il ressemble à une araignée mais n’a que six pattes. C’est un petit bijou en termes de mécanique, mathématique mais aussi d’algorithme. Par exemple, il est capable de faire de la reconnaissance post-accident de manière autonome. En cas de séisme, on lui ouvre la porte d’une usine et on le laisse effectuer le diagnostic à la place des humains. Grâce à ses capteurs et l’IA, il est capable de modéliser son environnement, détecter des flaques au sol, points de chaleur, fissures… Quand il revient à la porte, l’opérateur récupère un rapport détaillé présentant les choses anormales ou dangereuses repérées.
Quels autres marchés vos compétences en modélisation vous ont-elles permis de décrocher ?
Comme nous évoluons dans des secteurs où le secret industriel est omniprésent, nous avons décidé d’aller chercher des clients dans d’autres domaines qui ont des besoins similaires en termes de précision. On a ainsi remporté un appel d’offres du Musée Dobrée, pour qui on a modélisé l’ensemble des œuvres en 3D.
Ce savoir-faire, on le décline également dans des lieux d’exception habituellement fermés au public que l’on va entièrement modéliser en 3D pour les faire visiter à nos prospects et leur montrer de quoi on est capables. Mais aussi sur des épaves, comme le Fetlar au large de Saint-Malo. Ça nous a ouvert de nouveaux marchés comme l’éolien offshore et les plateformes pétrolières où notre mission est de surveiller l’évolution des parties immergées. Grâce à nos inspections réalisées à partir de ROV (véhicule sous-marin contrôlé à distance, NDLR), on est capables de déterminer quand intervenir pour stopper la colonisation des coquillages et préserver la structure. En évitant à des plongeurs d’assurer cette surveillance, on limite le risque humain, l’industriel économise et la qualité des données captées permet une meilleure prédiction des risques.
Comment arrivez-vous à entrer dans ces lieux fermés au public ?
C’est lié à ma formation initiale : j’ai un doctorat en archéologie. De plus, la responsable de la data chez nous est également archéologue. Donc grâce à d’anciens collègues, on a encore nos entrées pour accéder à certains lieux d’exception.
Et pour le secteur culturel ?
Pour la modélisation d’œuvres, c’est en lien avec le travail que j’effectuais en parallèle de mes études d’archéologie. Je travaillais à la Cité des sciences et de l’industrie à La Villette avec pour mission de photographier l’ensemble des collections pour créer une base de données interconnectable. Pour y arriver, j’ai développé toute la partie logicielle et j’ai appris de nombreux langages informatiques en autodidacte.

Basé sur le biomimétisme, l’Hexapode est un robot araignée à six pattes capable d’assurer de la reconnaissance post-accident en autonomie grâce à des capteurs embarqués et de l’IA. PILGRIM TECHNOLOGY
Comment êtes-vous passée de l’archéologie à la création de logiciels ?
Alors que j’avais consacré ma thèse à l’émergence de l’écriture en pays de Sumer, une zone de l’actuel Irak, la guerre menée par Bush père dans le Golfe a détruit le site archéologique qui m’intéressait. J’ai alors été contrainte de sérieusement réfléchir à mon avenir et j’ai choisi de m’installer en province pour créer des logiciels sur mesure.
Comment concevez-vous vos drones et robots chez Pilgrim Technology ?
Comme il s’agit avant tout d’outils de travail, ils ne doivent pas savoir faire qu’une chose. Du coup, nous travaillons avec l’idée de créer des briques technologiques que l’on va empiler comme sur un Lego. Toutes nos machines ont donc la capacité d’embarquer différents accessoires que l’on va pouvoir clipser et déclipser en moins de cinq minutes grâce à un système de rails. Par exemple un pod lumineux, des caméras, des lasers 3D, un bras manipulateur pour prélever des échantillons…
Un peu comme Frankenstein, on va déplacer le cerveau du robot dans un corps différent
Quelles sont les autres particularités de vos machines ?
Le cerveau de nos machines est le même pour toutes. C’est juste l’enveloppe qui change en fonction des besoins du client. Un peu comme Frankenstein, on va déplacer le cerveau du robot dans un corps différent en fonction de l’environnement à inspecter. Nos machines ont également la capacité à travailler de manière synchronisée. Nous sommes ainsi capables d’aller déposer un robot terrestre avec un drone. Puis d’utiliser nos drones comme relais radio avec les machines au sol.
Où sont-elles fabriquées ?
Aujourd’hui, elles sont fabriquées dans notre atelier de La Chevrolière et à 70 % made in France. Nos batteries sont européennes mais nous sommes encore contraints d’aller chercher certains composants en Chine et aux États-Unis. Mais ça a vocation à changer : on espère réussir à faire du 100 % made in France à horizon 2030.
Côté tarifs, nos machines sont affichées à des prix légèrement au-dessus de ceux de la concurrence chinoise pour des niveaux de qualité largement supérieurs. Par exemple, notre « petit » drone coûte environ 15 k€ et le « gros » moins de 40 k€. Le made in France n’est donc pas forcément hors de prix. C’est le plus gros cliché qu’on combat au quotidien et auquel on rêve de tordre le cou.

Anne-Marie Haute.BENJAMIN LACHENAL – IJ
Quel est votre modèle économique ?
Notre chiffre d’affaires 2024 est d’environ un million d’euros pour un effectif de dix-huit personnes. Il progresse de 15 à 20 % par an depuis cinq ans et est réalisé à 60 % à l’international. Il se répartit équitablement entre l’inspection industrielle et la robotique. Les machines que l’on fabrique sur mesure représentent 35 % de notre activité robotique et les ventes de drones et robots de série les 15 % restants.
Pour ce qui est de la production, une quinzaine de drones sortent de notre atelier chaque année et on est capables de fabriquer cinq robots par mois. Enfin, on remet environ 20 % de nos bénéfices dans la R&D et on génère un crédit impôt recherche de 150 k€ par an en moyenne.
Comment travaillez-vous à réduire l’empreinte de vos machines ?
On voulait se débarrasser du carbone dans nos drones et investir dans des presses pour le remplacer par du lin . Mais grâce aux études d’analyse de cycles de vie réalisées en partenariat avec le pôle de compétitivité EMC2, on a découvert que le véritable problème était les cartes électroniques et certains composants comme les batteries. Du coup, notre priorité a été de trouver un fournisseur européen. Ça a considérablement amélioré nos notes. Aujourd’hui, on travaille avec l’Association des fabricants de drones français (Adif) sur les cartes électroniques en tentant de regrouper nos commandes avec d’autres membres auprès d’un fournisseur sur un seul et même modèle. Et pour nos moteurs, nous essayons de sourcer un fabricant français. Le souci, c’est que la filière française est encore un peu à la traîne… Même si elle progresse.
Vous comptez investir 2,5 M€ dans une nouvelle usine et de nouvelles machines. Où en est ce projet ?
Malheureusement, nous n’avons pas obtenu le financement « première usine » de France 2030, notre projet n’ayant pas été considéré comme « suffisamment ambitieux ». C’est également difficile pour nous d’aller chercher des financements bancaires traditionnels, car notre modèle n’entre dans aucune case. C’est pourquoi nous cherchons des financeurs ou des partenaires. Car nous sommes ouverts à la mutualisation d’une usine avec d’autres entreprises qui fabriqueraient des produits similaires aux nôtres ou même des AGV (véhicules à guidage automatique, NDLR).
Considérez-vous le soutien à la R&D et à l’innovation suffisant en France ?
Le soutien à la recherche est parfait, notamment grâce au crédit impôt innovation. En revanche, le financement de l’innovation en France est nul, en particulier sur toute la partie industrialisation, développement, communication, publicité et mise en vente… On se sent vraiment lâchés alors que c’est une étape clé qui est très complexe à financer. C’est la raison pour laquelle aujourd’hui la plupart des entreprises françaises du secteur finissent par partir aux États-Unis.
Quels sont vos enjeux ?
Aujourd’hui, on nous achète les machines au compte-goutte. Tant qu’on n’aura pas de commande massive, on ne pourra pas grandir, car on a avant tout besoin d’investir. Vu qu’on travaille régulièrement pour la défense, on est également confrontés à un gros dilemme : trouver l’équilibre entre discrétion et réputation. D’ailleurs, on est actuellement mieux reconnus à l’étranger qu’en France, car on n’y est pas audibles ni visibles.
Quelles sont vos ambitions d’ici 2030 ?
Sortir du prototypage pour aller vers une véritable production en série. L’objectif serait d’être capable de fabriquer une quinzaine de machines par mois et ce sur nos quatre modèles. Cela implique d’investir au moins 4 M€ dans une nouvelle usine.
J’aimerais d’autre part devenir leader de l’inspection industrielle robotique et rafler la première place à Boston Dynamics, notre concurrent américain. Pour y arriver, on déploie une stratégie R&D extrêmement dynamique. On essaye d’aller plus vite qu’eux tout en restant une entreprise à taille humaine.
Vos plus grosses perspectives de développement sont-elles en France ou à l’étranger ?
Nous avons une plus grosse marge de progression sur le marché français car on a étonnamment plus de mal à l’adresser qu’à l’international. C’est à la fois à cause du cliché sur le prix et au fait qu’on n’arrive pas suffisamment à se faire connaître. Depuis six mois, on a donc décidé de s’inscrire à tous les concours et de réaliser un gros effort de communication sur LinkedIn car c’est le réseau social professionnel le plus utilisé par les industriels français.
Quels sont les prochains temps forts ?
Le premier sera le SOFINS 2025, qui est le salon des forces spéciales à Bordeaux en avril. Énormément d’industriels s’y déplacent et toutes les forces armées ont des problèmes d’inspection et des problèmes similaires aux industriels. On sera également présents au salon du Bourget en juin, le plus grand salon aéronautique de France. Enfin, en octobre prochain, on participera à l’UAV Show à Bordeaux, le salon européen du drone professionnel. Ce sont trois moments clés où l’on va potentiellement engranger des commandes.
Le marché mondial des drones devrait atteindre 260 Mds$ d’ici 2030. Quelles sont les principales avancées que vous avez constatées depuis la création de votre entreprise ?
La plus grande, c’est l’avancée vers l’autonomie des machines. Au cours des dix dernières années, on est passé de modèles radiocommandés à de véritables robots capables de prendre des décisions, même en incluant des événements inattendus. Donc, c’est un nouvel univers qui s’ouvre à nous et ce n’est que le début. Ça fait un peu peur aussi parce qu’on ne sait pas où sont les limites. En même temps, c’est ce qui fait que ces technologies sont aussi excitantes… Toute la question de l’évolution des drones tournera donc autour du niveau d’autonomie et du niveau de contrôle qu’on va réussir à garder sur eux.
C’est l’IA qui a permis aux drones et robots de devenir proactifs ?
Oui, l’IA est au cœur de cette évolution, car c’est ce qui fait que les machines ont acquis cette capacité de décision. Il y a dix ans, une machine s’appuyait sur des mathématiques pour prendre une décision. Aujourd’hui avec l’IA, elle est capable de se dire « je n’ai pas suffisamment d’informations » et d’aller la chercher ailleurs. On a donc effectivement basculé dans un tout nouveau référentiel. Là encore, c’est super excitant mais aussi un petit peu inquiétant en même temps.
Le seul ingrédient qu’il manque, c’est le financement de l’innovation
Quel regard portez-vous sur la filière française de drones et robots ?
Elle est ambitieuse mais encore très jeune et fragile. Elle se caractérise par son énorme capacité d’innovation et a presque tout ce qu’il faut pour devenir fantastique. Le seul ingrédient qu’il manque, c’est le financement de l’innovation.
Avec le conflit ukrainien, le monde a pris conscience que les drones étaient tout sauf accessoires. On a tous vu des images de soldats se faire tuer par des drones russes. Du coup, la défense nous a accompagnés pour essayer de structurer notre filière. Ça nous a permis de constater qu’elle n’est pour l’instant que composée de PME. La seule entreprise qui est en train de basculer vers l’ETI, c’est Delair à Toulouse. C’est beaucoup trop peu. La filière a besoin qu’on lui fasse confiance. Mais pour l’instant malheureusement, on n’a pas de commandes d’État ou de grands groupes…
C’est selon vous la clé pour que la filière française puisse rivaliser avec la filière chinoise ou américaine ?
Tout à fait. Si on regarde les succès des leaders que sont DJI en Chine ou Skydio aux États-Unis, ce sont des entreprises qui ont bénéficié à un moment charnière du soutien de leur gouvernement à travers des commandes qui ont permis de massifier les entreprises, les stabiliser, leur donner des moyens de recruter, former et fidéliser. C’est exactement ce qu’il nous manque en France. Les Allemands l’ont compris, ils sont en train de le faire. Ils ont choisi un champion et sont en train de le faire grandir. En France, on est en train de rater le coche. C’est d’autant plus triste que la France a été le premier pays au monde à avoir autorisé l’usage des drones à des fins professionnelles !
Les dates clés de Pilgrim
• 2012 Création de Pilgrim
• 2018 Premières ventes de drones et début du développement des robots terrestres
• 2020 Premier robot aquatique développé
• 2023 Vente des premiers robots terrestres
• 2024 Test du robot aquatique pour eaux usées