Couverture du journal du 26/04/2024 Le nouveau magazine

Acquisition : entre danse et séduction

Innover par la croissance externe, c’est d’abord réussir le process d’acquisition, qui relève d’une véritable “danse de séduction” si l’on s’en réfère aux témoignages recueillis lors du dernier petit-déjeuner des décideurs du NAPF.

Croissance externe, innovation

François Vigneau, senior vice-président d’Eurofins et Clémence Baron, avocate associée chez Racine, ont apporté leur témoignage et leur expertise pour réussir une acquisition dans le cadre d'une stratégie d'innovation. © Eric Cabanas - IJ

Avec la croissance organique, la croissance externe est l’une des deux possibilités de développement de l’entreprise. Innover par la croissance externe, c’est racheter des brevets, des compétences, des technologies. « C’est compliqué et l’on enregistre plus de 50 % d’échec. Comment être dans les 50 % qui gagnent ? », interroge Christian Le Cornec, président de l’association NAPF, Place financière du grand Ouest qui, avec le cabinet Racine avocats et Atlanpole, a organisé un petit-déjeuner sur le sujet le 16 février dernier à la CCI de Nantes.

« On voit de plus en plus de PME qui rachètent des start-up ou y prennent des participations. L’enjeu est de réussir sa croissance externe pour se consolider. L’un des plus beaux exemples est celui d’Eurofins. Il y a beaucoup d’enjeux, juridiques, financiers, organisationnels et humains », reconnaît Samuel Bachelot, chargé de l’accompagnement des entreprises innovantes au sein d’Atlanpole.

50 % d’échecs

« La difficulté pour une entreprise acquéreuse est d’intégrer, sur la durée, la cible et ses hommes et femmes. Ce constat est d’autant plus prégnant lorsqu’il y a une différence forte de culture et de maturité entre l’entreprise acquéreuse et la start-up. Malheureusement, dans un cas sur deux au moins, dans l’innovation, cela se solde par le départ des hommes. Or l’innovation sans les hommes, cela vaut beaucoup moins quelques années après… », constate Clémence Baron. Avocate associée du cabinet Racine, elle cite une étude de Bpifrance selon laquelle 81 % des dirigeants de PME ont déjà envisagé un projet d’acquisition d’entreprise au cours des cinq dernières années et 83 % estiment qu’à long terme, ce rachat participe à la pérennité des PME. Paradoxalement, la crise du financement actuelle accélère les acquisitions innovation à court terme auprès de start-up qui ont déjà bridgé1, sans certitude de parvenir à la série B. En moyenne, 50 % des opérations de croissance innovation se solderaient par un échec et 75 % des entreprises ayant réalisé une opération de M&A2 font face à des difficultés d’intégration (source Patrick Amiel dans l’Opinion « L’innovation par l’acquisition, un leurre ? »). Les principales causes de ces échecs sont identifiées : acquisition trop chère, mauvaise évaluation des activités et des synergies potentielles. La première étape pour la réussite passe par l’identification de la cible, des synergies, des personnes clés repérées en amont pour mieux les garder, l’analyse juridique, les clients, les process…

« Chez Eurofins, nous avons un process rodé et très internalisé. En matière d’identification de cibles et d’audit, nous screenons (passer au crible, NDLR) en permanence notre marché, notre concurrence directe et les marchés connexes, pour voir sur le plan géographique et sur le plan métier là où cela ferait sens de croître », explique François Vigneau, senior vice-président d’Eurofins. Pour ce dernier, « la phase d’audit est extrêmement importante, aussi bien pour nous acquéreurs que pour ceux qui vendent leur affaire. Le M&A, c’est comme un mariage, il faut bien se connaître avant pour ne pas avoir de surprise après. Le plus important, c’est de comprendre le business model de l’entreprise que l’on va acquérir : c’est bien les profits passés, c’est encore mieux le profit futur. Si on ne comprend pas le business model que l’on va acquérir, notamment si c’est une entreprise innovante, on risque d’avoir des mauvaises surprises ».

« Comprendre l’ADN de l’acheteur »

Pour François Vigneau, le vendeur doit bien « comprendre l’ADN de l’acheteur » : « Il faut s’assurer que cet ADN est compatible avec le sien. Nos meilleurs succès l’ont été quand les deux conditions étaient réunies : nous avions compris le business model quand c’était de l’innovation et quand le vendeur avait adhéré et compris. Et c’est dans ce cas plus simple de le garder de nombreuses années au sein de l’entreprise. Nous sommes un réseau d’entrepreneurs, nous essayons donc de donner un maximum d’autonomie aux entreprises dont on a fait l’acquisition. Cette autonomie est d’autant plus grande qu’elles performent bien ».

Que ce soit chez Eurofins ou chez Sercel, cette phase d’acquisition est totalement internalisée. « Nous fonctionnons toujours en binôme », souligne François Vigneau. « C’est une règle absolue : on a une équipe M&A interne, avec une personne qui va toujours être accompagnée d’un business leader. Ils auront des visions complémentaires de la cible. Le processus d’audit peut durer quelques semaines ou quelques mois, tout dépend si on se met vite d’accord sur le prix. » Il ajoute : « Dimension importante : il ne faut pas créer de frustration sur le prix, si on a l’impression d’avoir payé trop cher, on va évidemment essayer d’avoir un retour sur investissement plus rapide. Si le vendeur a l’impression de ne pas avoir vendu au bon prix, on risque d’avoir un investissement insuffisant de sa part dans la durée. Un bon accord au départ des deux parties, c’est le meilleur gage d’une réussite ensuite. En général, c’est le business leader, opérationnel, qui va suivre l’entreprise achetée après. Ce qui est un facteur important d’intégration ».

Benoît Cadeau, directeur financier du groupe Sercel (Carquefou), concepteur et fabricant mondial de solutions de hautes technologies pour l’exploration du sous-sol, confirme : « Nous avons une phase de screening importante pour identifier des potentialités, tant des technologies que des marchés. Nos équipes internes sont très impliquées pour étudier ces cibles et aller sur place à la recherche de ces potentialités, compléter notre gamme de produits et notre technologie et voir comment aller plus loin que ce que l’on fait aujourd’hui. Les inventaires sont revus par nos responsables et commercialement, c’est la même démarche, tout comme au point de vue des finances. »

Une “danse” qui peut durer plusieurs années

Pour Benoit Cadeau, « avant le mariage, il y a une phase de séduction, une danse. On essaie chacun de se présenter le mieux possible. Mais il faut aller au-delà quand on rentre dans des discussions plus concrètes sur les contrats. On a beaucoup d’acquisitions à l’étranger, dans des contextes très spécifiques, certaines mauvaises nouvelles peuvent mettre potentiellement en question le périmètre de la négociation. C’est en cela qu’il y a une danse, car en fait, on va souvent travailler en marguerite, effleurer des sujets et revenir, changer les thèmes de base, et cela va faire évoluer parfois les prix d’acquisitions et les discussions autour des business plan, car c’est là que l’on va rajouter ou enlever des activités et prévoir ce que va être le futur. Il y a toujours, dans le processus, des hommes ou femmes opérationnels qui partagent les éléments avant la structure finale ».

Cette notion de « danse » est reprise par François Vigneau : « Pour les deals les plus simples, cela a pu se faire en quelques semaines, mais parfois la danse dure quelques années, car on n’arrive pas à convaincre tout de suite l’entreprise de céder. Souvent, quand c’est un créateur, il a du mal à céder son bébé, il peut avoir des attentes très élevées. L’étape initiale peut donc être très longue, jusqu’à deux ou trois ans. »

Pour que le couple se connaisse bien, il ne faut pas hésiter à « aller dans tous les coins, qu’ils soient financiers ou opérationnels », soutient François Vigneau. « Il n’y a pas d’inhibitions à avoir dans le cadre d’un processus de rapprochement sur l’ensemble des questions. Et cela dans les deux sens. On incite beaucoup les cédants que l’on veut garder, surtout dans le cadre de l’innovation, à regarder en profondeur comment fonctionne notre entreprise, visiter notre site, rencontrer notre opérationnel, voir comment cela fonctionne, et s’il y a matière à se marier ».

« Finalement, l’histoire qui s’écrivait à plusieurs, entre la société acquéreuse et les sociétés acquises, nous plaisait davantage que l’histoire solo. Cela a été très long chez nous. Cette danse-là est nécessaire. On s’est posé beaucoup de questions. Il ne faut pas négliger le fait que l’on puisse se projeter, car quand viennent les définitions des aspects juridiques, le doute s’installe. Il faut bien s’assurer qu’avant tout cela, il y a cette phase de séduction et de propositions de valeurs communes », conclut Léa Ozaneaux, fondatrice et directrice générale de Tembo Tool (solutions RSE pour entreprises), rachetée par le groupe R3 dont elle est devenue, depuis, directrice du pôle digital.