S’associer est une aventure humaine. Il y a quelques mois, j’assistais à une conférence de Nicolas Vanier, « voyageur du froid », qui exposait que l’une de ses rares expéditions en groupe a failli très mal tourner en raison des conflits entre les membres de l’équipe. Alors qu’ils affrontaient un froid extrême de -52 degrés depuis quelques jours, ils se sont posé la question de se séparer en deux groupes tellement ils mettaient en danger l’expédition.
Mais avant de se séparer, ils se sont donné une dernière chance ; alors qu’ils arrivaient dans un village sibérien, ils se sont tous rassemblés et ont fait un tableau. Dans la colonne de gauche, ils ont noté tous les défauts de leurs coéquipiers (Alain est en retard, Thomas perd ses affaires, Michel est grognon le matin, etc.) et dans la colonne de droite, ils ont noté toutes les qualités (Alain est copain avec tout le monde, Thomas est un génie, Michel est un bricoleur hors pair).
Ensuite, ils ont réfléchi et se sont demandé sur quelle colonne ils voulaient se concentrer : celle de gauche ou celle de droite ? Ils ont bien réfléchi, ont refait les groupes et ont terminé leur voyage.
Comme Alain, Thomas et Michel de cet exemple, les associés d’une entreprise se focalisent sur le projet, avant de réfléchir à la compatibilité de leur personnalité, voire de leurs buts, passé ce projet. J’entends souvent : « On n’avait pas envie de mieux se connaître avant de s’associer, on était dans le projet. »
Quelles sont les causes des divergences entre associés ?
Comme nous l’avons vu dans l’exemple de l’expédition sibérienne, les différences de styles comportementaux associés à des facteurs extérieurs stressants peuvent conduire à des conflits. Il faut alors garder à l’esprit que chaque associé réagira différemment en fonction de sa personnalité. Certaines personnes peuvent avoir tendance à adopter une position de force, tandis que d’autres éviteront les confrontations, voire minimiseront les causes potentielles du problème qui a provoqué le conflit.
Il y a aussi ceux qui chercheront à apaiser les tensions et ceux qui se concentreront sur les faits, sans affect, en restant centrés sur les données disponibles plutôt que sur les avis de chacun. Comprendre les différences entre les styles de comportement de chaque associé peut aider à reconnaître la source d’un conflit et à développer des stratégies adaptées pour le résoudre rapidement. Si ces différences ne sont pas comprises et prises en compte, le conflit peut s’enliser et créer de nombreux dégâts collatéraux plus ou moins dommageables pour l’entreprise et ses parties prenantes.
L’entreprise face à la mésentente des associés
Un conflit entre associés peut compromettre la pérennité de l’entreprise. Il peut être ouvert et les opposer frontalement. Il se manifeste par une défiance sur les décisions de gestion à l’occasion des assemblées annuelles ou de façon ponctuelle lors de décisions touchant à la stratégie de l’entreprise.
Il peut aussi se traduire par un mutisme des associés alors que la direction de l’entreprise a besoin de leur accord pour prendre une décision stratégique. Selon la répartition du capital et la définition des règles statutaires de majorité, ces situations peuvent déboucher sur des blocages dans la vie de l’entreprise.
Les conséquences du conflit entre associés
Quand l’entreprise et la relation entre associés vont mal, la cause de la chute devient difficile à isoler : est-ce parce qu’« on n’avait pas assez de fonds » ou parce que « c’est insupportable de travailler ensemble » ? Le sujet devient particulièrement sensible lorsque l’entreprise connaît des difficultés financières.
Ce mélange des genres peut d’ailleurs s’avérer difficile à gérer et laisser des séquelles. Un « ex-associé opérationnel » me témoignait ainsi récemment qu’il lui a fallu cinq années pour en finir avec son association et un an et demi de thérapie. Il me disait : « J’ai très mal vécu tout ça et j’ai beaucoup travaillé pour sortir cet individu de ma tête ». Et aussi : « J’ai fini à payer les dettes de la société le mois dernier, alors que je ne me payais pas ».
Faire la part des choses
Lorsqu’une entreprise connaît des difficultés financières pouvant la conduire à l’état de cessation des paiements, l’attention des partenaires et des créanciers se porte sur sa direction.
Il convient alors de redouter un attentisme non compatible avec la réactivité attendue du dirigeant.
Pour rappel, l’ état de cessation des paiements qui se caractérise par l’impossibilité de faire face au passif exigible avec l’actif disponible (prenant en compte les réserves de crédit et les accords échelonnés des paiements) crée des devoirs envers le représentant légal de la société.
Lorsque l’état de cessation des paiements est établi depuis plus de 45 jours, le dirigeant est tenu de le déclarer au greffe du Tribunal compétent pour demander le redressement judiciaire ; il est fortement invité à saisir le Président du Tribunal d’une demande de conciliation lorsque l’état de cessation des paiements est caractérisé depuis moins de 45 jours.
Il est de bonne gestion d’agir et le dirigeant doit être à la manœuvre sans attendre d’assentiment des associés.
La stratégie de sortie de crise crée d’autres impératifs avec une mobilisation attendue des associés autour de sa direction.
Les solutions pour dénouer les conflits entre associés
Il est schématiquement possible de classer les outils en deux grandes familles :
– à destination de l’extérieur, car elles permettant de temporiser les facteurs externes à l’entreprise : le mandat ad hoc et la conciliation peuvent être mis en œuvre.
Le cœur des procédures de prévention des entreprises fragilisées est le maintien du capital confiance de ses créanciers, de ses partenaires. Sous l’égide d’un tiers de confiance (le mandataire ad hoc, le conciliateur), elle sera invitée à exposer ses difficultés dans un cadre confidentiel et sécurisé auprès de créanciers, de partenaires d’affaires choisis. Selon ses difficultés économiques, juridiques, financières, son dirigeant demandera une aide qui pourra prendre diverses formes (suspension de l’exigibilité de dettes, pause temporaire de paiements des emprunts, réaménagement des dettes…). Les créanciers invités à aider l’entreprise seront dès lors attentifs à la participation des associés à un effort partagé. Ils devront faire bloc autour de la direction et régler leurs querelles. Le temps de construction de la solution qui s’ouvre entre l’entreprise fragilisée et ses créanciers invités à la procédure peut alors être utilement utilisé pour réunir les associés autour d’un projet fédérateur. Dans ces conditions, les procédures de prévention participent à la solution de crise entre les associés. La conduite des négociations pour sortir d’une difficulté d’entreprise avec la participation des associés oblige à en accepter les règles dont le principe de confidentialité des discussions.
– à destination de l’intérieur, car permettant de solutionner des difficultés entre associés : la médiation, la négociation et le droit collaboratif bien évidemment, ces familles ne sont pas « étanches » l’une de l’autre. La loi en a créé ou sanctuarisé certaines (mandat ad hoc, conciliation…), mais la médiation, la négociation et le droit collaboratif restent des outils pleinement efficaces.
La médiation, permettant de régler des conflits d’associés, est conduite par un médiateur choisi par les parties et soumis à la confidentialité, avec possibilité pour chacun d’être assisté par un avocat. Pour faire simple, à la suite des entretiens individuels entre le médiateur et chacune des parties, le processus de médiation se déroule en quatre étapes nécessitant une ou plusieurs séances collectives selon le calendrier fixé par les parties pour parvenir à un accord.
Le droit collaboratif se déroule entre les parties et leurs avocats spécifiquement formés à cette méthode, garantissant un processus confidentiel et structuré en cinq étapes. En cas de succès, un protocole d’accord est rédigé et peut être homologué par un juge, mais en cas d’échec, les avocats doivent se retirer et les parties peuvent saisir le juge.
La négociation est un processus de communication conçu pour parvenir à un accord lorsque les parties ont certains intérêts partagés et d’autres opposés. La négociation est aussi un processus décisionnel interpersonnel qui est nécessaire chaque fois que les parties concernées ne peuvent pas atteindre leurs objectifs seuls.
Le processus de négociation est moins structuré que les deux procédés présentés auparavant, d’où l’importance pour les avocats de maîtriser une méthode de négociation, afin de gérer le cadre et structurer les échanges pour faire gagner du temps aux parties en conflit et obtenir des accords qui satisfassent les intérêts de leur client.
Les modes amiables de résolution des différends et les procédures de prévention des difficultés des entreprises (mandat ad hoc, conciliation) peuvent amener des associés en guerre à refaire société ensemble… Il existe des solutions précontentieuses comme la mise en place d’une expertise de gestion qui ramène les associés réticents à la table de négociation. Mais plus le conflit est déclaré et moins l’amiable sera aisé à trouver… Néanmoins, il existe des solutions. Dans un cas récent, quatre associés sont en conflit au sein d’une entreprise en difficulté. Une coalition se crée contre l’un d’entre eux, qui refuse de participer à une prise de décision rapide et nécessaire pour céder l’entreprise à un tiers et éviter ainsi le dépôt de bilan.
La nomination d’un mandataire ad hoc chargé de dresser un tableau objectif de la société peut, dans ce type de cas, s’avérer d’une grande aide. Dans un cas pareil, une solution à deux intervenants peut être pertinente : le mandataire ad hoc temporise vis-à-vis des tiers, encourage les associés à trouver une solution amiable en leur apportant un sas de décompression comme dans un sous-marin, ce qui va permettre au médiateur ou aux avocats négociateurs de travailler la meilleure solution pour les associés en conflit.
Pour filer la métaphore du sous-marin, une sortie par le haut reste possible lorsque les associés et l’entreprise ont l’oxygène nécessaire pour refaire surface. La médiation, le droit collaboratif et la négociation au sens large permettent de trouver cet oxygène.
Dans ce type de situation, ces outils de résolution amiable du différend offrent de multiples avantages aux associés en conflit par rapport à un contentieux classique ; parmi les plus importants, l’on peut mentionner la rapidité accrue du processus, la réduction des coûts directs et induits, la confidentialité, une meilleure gestion du tsunami émotionnel inhérent au conflit direct…
Donc, ces outils « internes » sont beaucoup plus efficaces lorsqu’ils sont employés en conjonction avec les outils « externes ».
D’autant plus qu’il est ainsi souvent constaté que pour l’entreprise en difficulté, le temps est d’une importance vitale. D’où l’intérêt d’intervenir conjointement avec plusieurs outils qui adressent l’ensemble des sources de tension : mandat ad hoc et modes amiables de résolutions de conflit par exemple.
Notons que, pour être efficaces, ces deux familles d’outils nécessitent que le problème soit adressé le plus en amont possible. Il est en effet important de prendre le conflit à temps, car il est parfois difficile de concilier amiable et mode pompier.
Conclusion : Assurer la cohésion entre associés
- Anticiper les difficultés relationnelles et les situations de blocage : la prévention est essentielle pour éviter les conflits. Envisager les potentiels désaccords dès le départ permet de mieux les gérer.
- Se prémunir avec un pacte d’associés : un pacte d’associés est crucial. Il établit les bases de la collaboration et clarifie les rôles et responsabilités, aidant à prévenir les malentendus.
- Prendre des décisions ensemble et parler d’une seule voix : la prise de décisions collectives renforce la cohésion et assure une communication unifiée. Les modes de résolution amiables favorisent une meilleure gestion des conflits interpersonnels.
- Anticiper les difficultés économiques : prévoir les défis économiques potentiels permet aux associés de se préparer et de s’adapter aux changements du marché.
- Prévoir la sortie d’un associé : Insérer dans le pacte d’associés diverses clauses de sortie et choisir la formule de valorisation de l’entreprise vous fera gagner du temps et de l’argent au moment d’une séparation d’associés.
- Faites-vous accompagner : Le dirigeant doit s’organiser pour faire face aux difficultés de l’entreprise et ne pas rester seul en se rapprochant, selon les situations et notamment pour les situations de rupture ou de difficultés de trésorerie, de conseils avisés.