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Tribunal de commerce : « La prévention pour éviter le redressement judiciaire »

En Vendée, en un an, le nombre de procédures collectives a augmenté de 43 % sur les neuf premiers mois de l’année. Le bâtiment et les commerces de proximité sont les principaux concernés. Bernard Pontreau, président du Tribunal de commerce (TC) de La Roche-sur-Yon, livre pour IJ son analyse et rappelle le rôle de prévention du TC. Selon lui, mandat ad hoc et  sont les seuls outils pour limiter les défaillances d’entreprise.

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Bernard Pontreau, président du Tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon (Vendée). ©IJ

Quel est le bilan du Tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon  depuis le début de l’année ?

Du 1er janvier au 30 septembre, au sein du Tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon, 295 procédures ont été ouvertes contre 206, il y a un an, sur la même période, soit une augmentation d’environ 43 %. Parmi toutes ces procédures collectives, il y a sept sauvegardes (contre deux il y a un an), 64 redressements judiciaires (contre 52) et 224 liquidations judiciaires directes (contre 152). En tout, 589 salariés sont concernés contre 352 en 2022 (+53 %, NDLR), à période comparable.

Parallèlement, le nombre d’immatriculations au Registre du commerce et des sociétés (RCS) a fortement diminué. Depuis le début de l’année, nous avons recensé 3 957 ouvertures contre 4 640 (-15 %, NDLR). Parmi toutes ces immatriculations, nous dénombrons 1 114 personnes physiques, le reste étant des sociétés commerciales, dont 970 autoentrepreneurs. La simplicité administrative et fiscale popularise sans doute ce statut.

Pourquoi y a-t-il autant de liquidations judiciaires ?

Il y a deux phénomènes. Le premier : les chefs d’entreprise en ont assez des variations des prix des matériaux, de ne pas trouver de salariés et ils trouvent la gestion de leurs collaborateurs difficile. Alors, quand les chiffres de l’activité ne sont pas bons, ils préfèrent s’arrêter. C’est une tendance forte depuis mars-avril.

Autre phénomène observé : en 2020, avec le Covid, beaucoup de gens sont venus de grandes villes s’installer en Vendée, attirés par la qualité de vie, pour créer leur petite entreprise, certains en autoentrepreneur. Et trois ans après, ils se rendent compte que cela ne fonctionne pas comme ils l’imaginaient.

Le début de remboursement des PGE contribue-t-il à la hausse des procédures collectives ?

On ne peut pas dire ça. Aujourd’hui, le PGE est considéré comme un emprunt de trésorerie à part entière. C’est un emprunt comme les autres. Si l’entreprise n’a pas la capacité de le rembourser, la seule façon d’étaler ses mensualités, c’est de se tourner vers la conciliation.

Quel est le profil des entreprises concernées ?

Les secteurs d’activité les plus concernés sont le bâtiment et le commerce de proximité (vente de vêtements, épicerie…). En revanche, les secteurs du tourisme et de l’agroalimentaire se portent bien. La très grande majorité des entreprises en difficulté sont des TPE. Contrairement aux plus grandes, elles n’ont pas de DAF pour les aider à avancer. Face aux difficultés financières, ces patrons sont plus démunis. La grippe aviaire a par ailleurs contribué à la hausse des défaillances d’entreprise, avec une dizaine d’éleveurs de poules et de canards touchés. À chaque fois, cela concernait entre 15 et 30 salariés. En revanche, pour l’instant, nous ne constatons pas de défaillances d’entreprises liées à l’explosion des prix de l’énergie. Le bouclier tarifaire joue bien son rôle.

Que faut-il en déduire sur l’état de santé des entreprises vendéennes ?

Les dirigeants, particulièrement ceux des TPE, craignent pour l’avenir. Face à l’instabilité et la morosité ambiante des marchés, ils ne sont pas sereins et le moral n’est pas bon, surtout dans le bâtiment où la demande de devis diminue. Certains ont en marre, arrêtent, redeviennent salariés ou créent une micro-entreprise.

Quid des injonctions à payer ?

Nous avons recensé 756 injonctions de payer, un nombre en augmentation. De plus en plus, ces injonctions viennent des caisses de retraite et de la caisse des congés payés. Elles concernent principalement le bâtiment. Dans le contexte actuel, les trésoreries sont sous tension et les dirigeants ont tendance à délaisser ces charges.

 Mandat ad hoc et conciliation : où en êtes-vous ?

Nous avons eu 119 rendez-vous de prévention, contre 117 l’an passé, 122 mandats ad hoc et conciliation[1] (contre 69), soit une hausse de 56 %, qui s’expliquent par les tensions qui pèsent sur les trésoreries.

Vous insistez particulièrement sur le rôle de prévention du Tribunal de commerce. Pourquoi ?

Si les entrepreneurs viennent me voir assez tôt, avant les premiers refus de paiement, les mandats ad hoc et la conciliation  sont deux beaux outils de prévention qui peuvent éviter un redressement judiciaire. Ils se mettent en place en moins d’une semaine, et il n’y a pas de mention sur le Kbis.

Il faut démystifier les défaillances d’entreprise. Ce n’est pas une maladie. Certains dirigeants que nous rencontrons ressentent de la honte, d’autres de la peur, leur ego est parfois touché. Ils craignent d’être jugés, alors que ce n’est pas le cas. Je le dis et le redis : venez nous voir ! Nous trouverons une solution. Ce qu’il faut absolument éviter, c’est le burn-out des dirigeants. La bonne nouvelle, c’est que les chefs d’entreprises semblent s’emparer davantage de ces outils de prévention. Peut-être parce que nous allons très régulièrement à leur rencontre au sein leurs organisations patronales ou de leurs associations professionnelles.

À quoi faut-il s’attendre pour les prochains mois ?

Le niveau activité du BTP est généralement un bon indicateur de la santé générale des entreprises. Donc on peut s’attendre à une accélération du nombre d’ouvertures de procédures collectives d’ici la fin de l’année. On devrait atteindre a minima le nombre de 400 dossiers, un niveau comparable à 2018. Plus de procédures devraient aller jusqu’à la liquidation judiciaire. Je ne vois pas de lueur d’espoir avant  fin 2024. Le seul outil pour limiter le nombre de défaillances, c’est la prévention. Il ne faut pas avoir peur d’en parler autour de soi. On sauve des entreprises. Sur 122 mandats ad hoc et conciliations, j’ai deux échecs. Pour les autres, on arrive à négocier.

[1] Le mandat ad hoc permet de nommer un mandataire pour aller négocier avec les créanciers. La conciliation a pour objectif d’aboutir à la conclusion amiable entre l’entreprise et ses principaux créanciers.