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[3] Quand la cession devient sérieuse… Les coulisses juridiques de la transmission d’entreprise

Après des mois de préparation, de valorisation, de choix stratégiques, le moment de conclure la vente arrive enfin ! C’est à ce stade que la transaction prend une forme juridique plus formelle et que les parties s’engagent dans une relation plus encadrée. Cette phase est souvent jalonnée de négociations minutieuses orchestrées par les conseils juridiques des deux parties. Les enjeux sont élevés pour l’acheteur comme pour le vendeur, et chaque étape doit être franchie avec rigueur et transparence pour garantir la réussite de la cession.

Rokia Bouhafs. BENJAMIN LACHENAL - IJ

Dans ce troisième article, nous plongeons au cœur du processus juridique de la transmission : de la lettre d’intention à l’acte définitif de cession.

1. La lettre d’intention : engager les bases d’un accord

Une fois l’acheteur identifié et les discussions préliminaires avancées, la première étape juridique de la cession est la signature d’une lettre d’intention. Il est important de rappeler que, souvent, cette lettre ne lie pas juridiquement les parties. Néanmoins, elle établit une orientation claire et commune, ouvrant la voie à des discussions approfondies et formalisées. La lettre d’intention peut, entre autres, comporter une clause d’exclusivité, offrant une certaine sécurité à l’acheteur.

2. Le protocole de cession : fixer les conditions de la vente

La signature du protocole de cession sous conditions suspensives (ou « compromis ») marque un tournant décisif, ponctué par des négociations souvent serrées. Ce protocole est traditionnellement rédigé par l’avocat de l’acheteur. Il est ensuite revu en détail par l’avocat du vendeur. Chacun des conseils s’assure que les intérêts de son client sont protégés.

Le protocole contient les éléments contractuels de la vente, comme le prix et ses modalités de règlement, les garanties et engagements des deux parties ainsi que les conditions suspensives. Ces dernières sont de véritables garde-fous. Étapes préalables à la réalisation de la vente, elles permettent de confirmer que les éléments déterminants à la réussite de la transaction sont réunis.

Parmi ces conditions suspensives, on retrouve habituellement :

  • L’obtention du financement par l’acquéreur : cette étape est cruciale, car elle garantit au vendeur le paiement effectif de la cession ;
  • Les audits d’acquisition (également appelés due diligence) : menés par des experts, les audits permettent à l’acquéreur de confirmer la santé financière, juridique, fiscale et sociale de la société. Ces audits sont essentiels pour mesurer les risques et assurer une reprise dans de bonnes conditions.

Cette phase d’audit peut être laborieuse pour le vendeur. Encore à la direction de son entreprise, il est extrêmement sollicité par l’acquéreur et ses conseils afin d’apporter des précisions sur des points spécifiques. Il ne s’agit en aucun cas d’une remise en cause de sa gestion mais uniquement de s’assurer du respect de la réglementation et de comprendre comment l’entreprise génère de la valeur. Pour ne pas être submergé et encadrer au mieux ces travaux, il est important que l’un des auditeurs, qu’il soit expert-comptable ou avocat, assure un rôle de coordinateur de l’ensemble des audits à mener.

  • L’information des salariés : la loi impose au vendeur d’informer les salariés de la vente projetée en respectant certains délais. Cette obligation est souvent perçue comme une contrainte par le vendeur. Pour autant, c’est l’occasion de réfléchir à la meilleure manière de les informer voire d’impliquer certains dans ce processus.

3. La garantie d’actif et de passif : un enjeu stratégique pour le vendeur et l’acquéreur

La garantie d’actif et de passif est un engagement que le vendeur prend vis-à-vis de l’acheteur. Son but est de protéger l’acheteur contre des imprévus ou des risques liés aux éléments de l’entreprise qui ne seraient pas apparents au moment de la vente :

  • La garantie d’actif couvre principalement les actifs de l’entreprise, c’est-à-dire ses biens, ses créances et tout ce qui génère de la valeur. Par exemple, si des créances devaient s’avérer douteuses, la garantie pourrait obliger le vendeur à indemniser l’acheteur ;
  • La garantie de passif concerne les dettes ou obligations futures qui pourraient apparaître après la vente, mais qui auraient leur origine avant la cession. Par exemple, si des litiges ou des rappels d’impôts qui concernent la période antérieure à la vente apparaissent après la cession, le vendeur pourrait être amené à indemniser l’acheteur.

En résumé, cette garantie est un filet de sécurité pour l’acheteur qui minimise les risques financiers et protège son investissement en cas de mauvaises surprises.

Cet engagement de garantie est souvent établi pour une durée limitée et son montant, après application d’une franchise ou d’un seuil de déclenchement, est plafonné et contre-garanti. La contre-garantie est une assurance pour l’acheteur, fournie par une banque (caution bancaire ou garantie autonome) garantissant que l’acheteur sera bien indemnisé par le vendeur en cas de litige ou de passif non prévu.

La garantie d’actif et de passif, bien qu’indispensable, est aussi une source de tension : le vendeur souhaite en réduire la portée, tandis que l’acheteur cherche à maximiser sa protection. L’intervention des avocats s’avère cruciale à cette étape pour trouver un juste équilibre entre les exigences des deux parties et pour adapter la garantie aux risques propres à l’entreprise en question.

4. La levée des conditions suspensives : un calendrier à respecter

Dès la signature du protocole, les parties entrent dans une période de réalisation des conditions suspensives. Cette phase est soumise à des délais stricts, qui, une fois écoulés, peuvent mettre fin à la transaction si certaines conditions ne sont pas satisfaites. C’est alors une véritable course contre la montre pour les équipes juridiques, les banques et les autres acteurs impliqués. Le non-respect de ces délais peut entraîner des pénalités voire la rupture des négociations (si l’acheteur n’obtient pas son financement par exemple).

5. L’acte définitif de cession : dernière étape pour passer le témoin au repreneur

Lorsque les conditions suspensives sont levées, l’acte définitif de cession, véritable point d’orgue du processus de transmission, est signé et le prix est versé. Le cédant remet alors les « clés de son entreprise » à l’acquéreur qui en devient officiellement le propriétaire. Si la visioconférence est devenue courante ces dernières années y compris pour la signature de l’acte définitif de cession, elle est à privilégier uniquement pendant les phases de négociation et d’audit (gain de temps).

Il semble important de sacraliser le moment où se concrétise cette transmission et de réunir l’ensemble des parties pour marquer cette étape et la célébrer. Pour autant, le processus de cession ne s’arrête pas à la signature de l’acte. Le quatrième et dernier article de la série « vendre son entreprise » portera sur cette dernière phase de la transmission.