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Odile Duvaux, cofondatrice et présidente de Xenothera

Une femme pressée - L’urgence est là, impliquant d’aller vite dans la course aux traitements contre le covid-19, face à des mastodontes mondiaux. Cofondatrice et présidente de la biotech nantaise Xenothera, Odile Duvaux est pressée… d’agir. Portrait d’une femme au parcours tout sauf linéaire Et qui marque indéniablement ceux qui la côtoient.

Odile Duvaux, xenothera

Odile Duvaux © Benjamin Lachenal

Odile Duvaux reçoit ses visiteurs dans son bureau avec vue imprenable sur la très nantaise fontaine de la place Royale. Très vite, néanmoins, on comprend qu’elle ne doit pas prendre souvent le temps de contempler les allers et venues des passants…

Habituée à aller à l’essentiel, elle commence par dérouler un CV aussi impressionnant qu’éclectique, comme elle a dû le faire des dizaines de fois devant des investisseurs. Pour autant, invitée à revenir sur certaines étapes vite esquissées de son parcours, elle se prête de bonne grâce à l’exercice, accordant ainsi un temps que l’on comprend précieux.

Premier arrêt sur image, à Pontoise, où elle a grandi. Son enfance, Odile Duvaux la qualifie de « normale », entre un père travaillant dans le conseil, une mère professeur d’espagnol et deux frères. Elle évoque un contexte familial de « stimulation intellectuelle ». Douée pour les études – « ça se faisait tout seul », observe-t-elle – la jeune Odile ne passe pour autant pas son temps le nez dans les livres. « Fondamentalement active » de par son caractère et son éducation, elle multiplie les activités sportives, en particulier la natation qu’elle pratique en compétition, ou encore le tennis. À la maison, les jeux de société font aussi partie du quotidien. « Je n’étais pas très bonne joueuse, j’ai toujours aimé gagner », reconnaît-elle. Pour elle, incontestablement, la pratique des jeux et du sport s’est révélée essentielle dans l’apprentissage d’une résilience qu’elle a depuis appris à tester. Et aussi pour connaître ses limites.

Parmi les expériences structurantes de son enfance, Odile Duvaux mentionne aussi le scoutisme, « une école de vie fondée sur la nature, le jeu et la relation ». Les valeurs d’altruisme, de protection du plus faible par le plus fort, portées par le mouvement, résonnent en elle.

BOULIMIQUE D’EXPÉRIENCES ET DE CHALLENGES

Odile Duvaux, xenothera

Odile Duvaux © Benjamin Lachenal

Son bac en poche à l’âge de seize ans et demi, Odile mène de front médecine et Normale Sup dont elle sortira major. « J’ai eu envie de faire médecine dès la classe de cinquième, pour soulager les gens qui souffrent », se souvient-elle. Qu’est-ce qui a donné naissance à sa vocation ? Elle évoque alternativement une tante pédiatre et la lecture assidue d’une revue sur la recherche pour la science mondiale qui l’a « nourrie ». « Dans ma structure de pensée, il y a l’idée que les connaissances et les progrès de la médecine se complètent, la conviction que la science fait avancer les choses », explique- t-elle.

À un peu plus de 18 ans, elle est contactée par Jean-Pierre Changeux, professeur au Collège de France. Il lui propose d’intégrer le prestigieux Institut Pasteur. Elle se paie le luxe de lui demander de patienter. Elle y rentrera finalement un an plus tard. En parallèle, elle poursuit ses études de médecine. Une époque qu’elle qualifie pudiquement de « physique », l’obligeant à mener une vie « un peu compliquée ».

Boulimique d’expériences et de challenges, ne voulant rien sacrifier, Odile n’aime rien tant que mener plusieurs parties de front. À 24 ans, elle rencontre son futur mari, médecin. « Je lui ai dit : “je rêve d’une grande famille”. Il m’a répondu : “d’accord”. » Leurs quatre premiers enfants se suivront sur quatre années, les deux derniers, quatre ans après. Quand on lui demande comment elle a fait pour concilier une carrière aussi prenante avec une famille nombreuse, elle répond avec décontraction : « Ça ne me fatiguait pas, ça me ressourçait ».

À la même époque en effet, Odile a opéré son premier changement de cap professionnel. À Lille, où la famille s’est installée, elle a passé sa thèse en Sciences et obtenu son habilitation à diriger des recherches. Elle a 30 ans et sa route croise celle du groupe Auchan qui, séduit par son profil, lui propose de mener des missions de conduite du changement. « Ce qui est intéressant quand on change d’univers, c’est que l’on insémine les autres. C’est source d’innovation », commente-t-elle. Et d’ajouter : « J’aime challenger les fondamentaux d’un métier. » Modélisant un concept calquant le fonctionnement d’une entreprise sur celui d’un organisme, elle y restera six ans avant d’ajouter une autre corde à son arc : la direction de la communication du groupe.

Ce qui est intéressant quand on change d’univers, c’est que l’on insémine les autres. C’est source d’innovation. Odile DUVAUX

En 1998, après la naissance de ces deux derniers enfants, lassée des allers-retours entre Paris où elle vit désormais avec sa famille et Lille où elle travaille, nouveau virement de bord : elle fait un détour par le conseil. Elle crée son activité, s’associe et découvre qu’elle adore « rencontrer des gens qui ont des problèmes et les aider à trouver des solutions. Plus les problèmes étaient compliqués et insolubles et plus je m’éclatais », se souvient-elle. Avec ses clients, patrons du CAC 40, elle appréhende « des univers mentaux à l’opposé les uns des autres, observe-t-elle. Je me rappelle une mission pour Coca-Cola : je suis allée dans une usine d’embouteillage, j’étais comme une dingue : je voulais tout comprendre ! » Et de préciser : « C’est rare que je dise : “ça ne m’intéresse pas”. Le monde, les gens m’intéressent ! »

En 2007, elle suit une nouvelle fois son mari, à Nantes cette fois. Elle continue dans un premier temps les allers-retours sur Paris puis, au bout de quelques années, décide de se recentrer, fait son CV et le fait circuler. Elle se retrouve en contact avec le patron d’Atlanpole, Jean-François Balducchi qui la met en relation avec Paul Soulillou, créateur de l’institut de transplantation rénale au CHU de Nantes. « On a eu un “fit” comme ça ! s’exclame-t-elle, joignant le geste à la parole. Et je me suis retrouvée à créer une entreprise de bio-tech. » Xenothera naît pendant l’été 2014. En novembre, la première levée de fonds aboutit, l’aventure est lancée.

UNE ÉQUILIBRISTE AVEC PLUSIEURS ASSIETTES

La start-up travaille à développer des médicaments dans le domaine de l’immunologie. Son premier produit, le LIS1, un immunosuppresseur dans la transplantation, est en essai clinique depuis 2019. Mais ce qui fait surtout parler de la biotech ces derniers mois, c’est qu’elle s’est positionnée dans la course aux traitements anti-Covid. Le Xav-19 a vocation à administrer aux patients des anticorps polyclonaux. Une course contre la montre ? « À un moment donné, il faut revenir au point de départ : on fait ça pour les patients, ce n’est pas une compétition. On avance solidement et ce qu’on fait, on le fait bien », argue la dirigeante. Pour autant, plus que jamais les levées de fonds s’enchaînent : Xenothera a besoin de 45 M€ d’ici la mi-2021 pour avancer vers le graal : la mise sur le marché. « Si on était aux États-Unis, on aurait déjà fait cette levée de fonds il y a deux-trois ans », constate-t-elle, regrettant que la France, l’Europe, ne se donnent pas les mêmes moyens.

Malgré un quotidien surchargé et des enjeux colossaux, la dirigeante affirme réussir à prendre du recul. « Xenothera, ce n’est pas moi, je ne me réduis pas à cette aventure », insiste-t-elle, évoquant le rôle fondamental de son couple, de sa famille. En-dehors de son travail très prenant, a-t-elle des rêves ? « Plein ! », s’exclame-t-elle : « Je rêve de parcourir la muraille de Chine, par exemple ! » Et quand on lui demande de décrire sa vie actuelle, elle la résume d’un trait qui relie « un quotidien au ras des pâquerettes et des grands enjeux ». Pour cette joueuse invétérée, l’entrepreneuriat apporte son lot quasi quotidien de victoires enivrantes et de défaites frustrantes.

Si on est aversif au risque, on ne peut pas être entrepreneur : on prend tous les jours des décisions sans être certain qu’elles soient bonnes », estime-t-elle.

De levées de fonds en levées de fond, elle se compare volontiers à une équilibriste jouant avec plusieurs assiettes : « Il faut les faire tourner et en même temps ne pas épuiser les équipes. » Et de confier : « Je suis une femme pressée… d’avoir des résultats. »