Pouvez-vous me présenter votre formation et votre parcours professionnel avant Idea ?
Après une formation d’ingénieur généraliste, j’ai débuté chez L’Oréal sur plusieurs sites industriels avec des missions autour de la production, la logistique et l’organisation. J’ai beaucoup apprécié même si j’ai dû participer à la fermeture d’un site allemand à vingt-quatre ans. Ça m’a interpellé sur la place de l’humain dans le poids de nos décisions, mais aussi sur la notion de résilience face aux aléas. Au bout de neuf ans, j’ai eu envie d’intégrer un projet à taille plus humaine, participer à la globalité des enjeux d’une entreprise et devenir associé.
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Comment avez-vous concrétisé ces envies ?
Avec Bruno Hug de Larauze, que j’ai rencontré en 2000 alors qu’il venait d’être nommé PDG de Manutention Transport Transit Magasinage (MTTM), une PME de cinquante collaborateurs basée à Saint-Nazaire spécialisée en manutention portuaire. Il craignait que l’entreprise ne disparaisse, car elle n’avait qu’un seul métier, le vrac, et que 80 % de son chiffre d’affaires était assuré par trois clients. Il a donc cherché à en diversifier les activités.
J’ai autant été emballé par l’homme, plein d’énergie, fourmillant d’idées et sensible à l’humain, que par le projet. Parallèlement, nous avions avec mon épouse comme projet familial de rejoindre Nantes. J’ai sauté sur l’opportunité et intégré l’entreprise fin 2000.
Pouvez-vous retracer l’histoire du groupe avant votre arrivée ?
La Scop (société coopérative et participative, NDLR) La Fraternelle a été créée en 1919 sur les quais de Saint-Nazaire par huit manutentionnaires qui souhaitaient être indépendants. Montoir-Saint-Nazaire étant le premier port français d’importation de vrac agroalimentaire, l’équipe a grandi au fil des années.
En 1945, année où Saint-Nazaire avait été totalement ravagée, La Fraternelle décide de participer à la reconstruction de la ville et se lance dans le bâtiment. Si bien que l’effectif passe d’une trentaine à trois cents collaborateurs. À l’issue de la reconstruction, les membres de la Scop cèdent leurs activités dans le bâtiment pour revenir exclusivement à de la manutention portuaire.
Dans les années 1980, La Fraternelle devient MTTM et s’oriente alors vers le stockage. Elle investit dans des silos et infrastructures importantes. Avant de se positionner les années suivantes sur de nouveaux flux de vrac, comme la tourbe et le ciment.
Quelle stratégie de diversification avez-vous déployée en intégrant l’entreprise ?
J’ai commencé par réunir les premières activités de logistique industrielle et profiter de la dynamique locale tirée par les Chantiers de l’Atlantique et les nouveaux programmes d’Airbus. C’est comme ça que j’ai initié la création d’une filiale, Idea logistique, en 2001. Sa vocation était de garantir et fiabiliser les approvisionnements arrivant à l’entrée des usines, jusqu’à une livraison au compte-goutte sur leurs lignes de montage. Avec un engagement qui est de travailler sur le dernier kilomètre pour livrer à temps les chaînes de production.
Cette activité a rapidement pris le dessus sur l’activité historique de MTTM. Si bien qu’en 2012, nous avons choisi de réunir l’ensemble de nos activités au sein d’un groupe baptisé Idea (idée en latin, NDLR). Un moyen de proposer une offre complète, des activités portuaires jusqu’à celles industrielles.
Nous avons poursuivi avec l’ajout de métiers comme l’emballage industriel de pièces à forte valeur ajoutée et le transport industriel. Cette stratégie nous a amenés à intégrer régulièrement de nouvelles compétences : l’assemblage, la découpe, la mise en longueur de biens, de profilés, de câbles…
Travailler sur le dernier kilomètre pour livrer à temps les chaînes de production
Comment s’est passée la transmission avec Bruno Hug de Larauze en février dernier ?
Très bien, car elle était préparée de longue date. Cela s’est traduit il y a dix ans par la mise en place d’une codirection du groupe et l’évolution de notre gouvernance. D’abord pour répondre à notre développement, mais aussi pour intégrer un certain nombre d’enjeux, comme la durabilité. Cela a ensuite conduit à ma nomination comme PDG du groupe en février 2024. Moment où j’ai également pris une participation majoritaire dans notre holding.
Quels sont vos objectifs en tant que nouveau PDG du groupe ?
En termes de projet d’entreprise, il n’y a pas d’avant et d’après. C’est une continuité bâtie autour de trois piliers : s’adapter et apprendre un nouveau métier chaque année, tout en intégrant un client qui puisse demain devenir majeur, et se positionner sur un nouveau marché tous les cinq ans.
C’est sur ces bases bien ancrées que j’ambitionne aujourd’hui de maintenir la culture de l’initiative, de développer l’autonomie de nos équipes pour créer de la confiance auprès de nos clients, de privilégier le temps long et de donner de l’importance au collaboratif pour un maximum de sens à nos actions. Sans oublier d’intégrer les enjeux de durabilité, de gagner en résilience et de faire en sorte que le projet d’entreprise reste bien une aventure humaine.
Où en est le groupe aujourd’hui en termes de chiffres ?
Le chiffre d’affaires du groupe fin 2023 est de 215 M€, avec une croissance moyenne annuelle de 15 % depuis vingt-cinq ans. Côté effectif, nous étions un peu plus de 2 000 collaborateurs fin 2023 et nous serons près de 2 300 fin 2024.
Idea est implanté sur plus de 70 sites sur l’ensemble du territoire français. Nous opérons au plus près des chaînes de production de nos clients, et aussi depuis des plateformes logistiques en propre implantées partout en France.
Notre plan stratégique 2020-2025 envisage quant à lui près de 100 M€ d’investissements. Dont près de 30 % dans les énergies renouvelables pour accompagner notre transition énergétique. D’autre part, 10 M€ seront destinés à nous développer autour du numérique. Le reste servira à améliorer nos infrastructures et notre matériel ainsi qu’au financement de notre croissance externe.
Qui sont vos clients ?
Ils sont majoritairement industriels. Aujourd’hui, l’aéronautique représente 25 % de notre activité, la défense 20 %, l’énergie 20 %, les télécoms 10 %, les multi-industries comme les Chantiers de l’Atlantique ou Manitou 15 %, le vrac 10 %. Idea se diversifie également en logistique de chantier et logistique hospitalière.
En quoi le groupe se démarque-t-il dans le secteur de la logistique ?
D’abord par sa capacité à proposer une logistique sur mesure grâce à l’ingénierie de projet que nous avons développée au fil des années. Ensuite, par notre capacité à accompagner nos clients en termes d’investissements dans leur transformation. Nous avons la résilience et l’agilité nécessaires pour aider un client à se développer, mais également à gérer son repli ainsi qu’un certain nombre de risques par délégation. Et nous savons aller au-delà d’un contrat si besoin.
Idea est également reconnue pour sa proactivité à innover, expérimenter et intégrer de nouvelles technologies. Nous pouvons enfin parler de « l’Idea touch », car la relation humaine est essentielle dans le groupe et qu’elle est portée par l’ensemble de nos collaborateurs.
Quels sont vos enjeux actuellement ?
Trois enjeux me semblent déterminants pour nos métiers aujourd’hui : la digitalisation, l’automatisation et la décarbonation. Réussir à les combiner en proposant une nouvelle idée de la logistique à nos clients, c’est ce qui fait notre différence : des solutions sur mesure, qui soient performantes, innovantes et vertueuses.
Prendre soin de nos collaborateurs est aussi essentiel pour rester une entreprise désirable. Améliorer leur employabilité via la formation et réussir à intégrer les plus fragiles en favorisant l’inclusion font aussi partie de nos engagements.
Sur l’aspect environnemental, comment comptez-vous tendre vers la neutralité carbone ?
L’objectif est majeur. Nous avons souhaité dès 2010 l’ancrer dans notre plan stratégique avec l’ambition de réduire notre empreinte carbone de 25 % entre 2020 et 2025. Fin 2023, nous l’avions déjà abaissée de 21 %. Notre premier poste d’émissions étant le déplacement des marchandises, donc le transport, nous avons travaillé en priorité sur des moteurs moins énergivores et l’optimisation du chargement de nos camions. Ensuite, nous passons à une motorisation biogaz, 16 % de notre parc (200 tracteurs, NDLR) en est désormais équipé et nous prévoyons de poursuivre le déploiement.
Nous avons également expérimenté le rétrofit de camions et nous allons recevoir d’ici peu un premier camion électrique. Nous utilisons aussi sur un biocarburant, le PurXTL. Et pour les véhicules légers, nous utilisons depuis cinq ans des véhicules hybrides et électriques.
Enfin, nous nous attaquons depuis peu aux déplacements domicile-travail. Nos sites industriels n’étant pas toujours accessibles en transport en commun, nous expérimentons le covoiturage, notamment inter-entreprises, via la plateforme Karos. Entre mars et juillet 2024, les cent quatorze collaborateurs qui l’ont testée ont permis d’éviter 1 909 kg d’émissions de CO2.
Quand et comment le groupe a-t-il pris le virage numérique ?
Il y a une quinzaine d’années, nous avons commencé à digitaliser nos process et initier des offres numériques pour apporter plus de fiabilité à nos clients dans le pilotage de leurs flux. Nous avons aussi expérimenté l’automatisation pour gagner en productivité. Et depuis 2020, nous misons beaucoup sur l’intelligence artificielle pour améliorer nos process et mieux appréhender l’avenir.
En quoi le numérique constitue-t-il une opportunité pour le groupe ?
Le numérique participe beaucoup à l’automatisation. Il nous permet de sécuriser nos process tout en les faisant gagner en productivité. Depuis que nous nous sommes initiés à l’intelligence artificielle, nous constatons que le champ des possibles est énorme. Pour un logisticien dont la mission est d’organiser des flux, l’analyse des datas est un levier considérable. En matière de recrutement, nous intégrons de nouveaux talents sur ces métiers : data analystes, développeurs, codeurs IA pour avoir une autonomie plus grande sur ces sujets.
Quels sont les bénéfices de l’utilisation de l’IA en logistique ?
Concrètement, elle améliore notre capacité à mieux livrer en juste à temps une usine, à optimiser un entrepôt, à le densifier et à faire en sorte que nous artificialisions moins les sols. Elle donne à nos opérateurs un maximum d’informations en temps réel pour devenir un précieux outil d’aide à la décision.
Par exemple, quand nos opérateurs logistiques arrivent dans une zone à risques, ils vont recevoir des alertes pour vérifier qu’ils disposent du bon équipement de protection ou qu’ils sont habilités à utiliser tel engin. L’IA constitue donc un très bon moyen de prévention, notamment en matière de sécurité. En termes de productivité, elle peut permettre de réduire jusqu’à 18 % les temps de déplacement de nos opérateurs. Un gain énorme !
L’IA devient un précieux outil d’aide à la décision
L’utilisation des robots en logistique, mythe ou réalité ?
Nous avons été les premiers en France à développer l’usage des robots Scallog « Goods to Person » sur le champ industriel, pour répondre à la montée en cadence de la production aéronautique sur notre centre logistique nantais. En 2016, nous avons investi dans ces robots pour optimiser le stockage et la préparation des commandes en amenant automatiquement les articles à l’opérateur. Ces robots, testés chez nous, ont été déployés chez Airbus sur le nouveau programme A350. Là encore ça marche et c’est fiable : ils permettent des gains de 30 % de surface et de 25 % de productivité.
À quand les véhicules autonomes chez Idea ?
C’est déjà une réalité. Notre équipe innovation y travaille depuis plus de cinq ans dans son schéma d’automatisation. Cela s’est traduit par la création d’un « automated guided vehicle » (AGV) indoor et outdoor, opérationnel depuis 2021. Nous sommes partis d’un drone terrestre pour l’Armée de Terre de la société ECA (aujourd’hui Exail, NDLR). Notre objectif était de simplifier ce véhicule pour l’adapter à la logistique, en toute sécurité. C’est chose faite : cet AGV est capable d’aller chercher une palette dans un lieu pour la déposer dans un autre de manière totalement indépendante. Un projet lauréat du pôle EMC2 et de France Relance.
Comment travaillez-vous à réduire votre empreinte sur le foncier ?
À la suite de la loi climat et résilience, nous avons cherché comment continuer à grandir en consommant moins de foncier. Nous avons donc travaillé sur des optimisations de remplissage de nos infrastructures, avec plus de hauteur mais aussi de la mutualisation de stockage. Nous avons également été précurseurs dans la revitalisation d’anciens sites industriels en réhabilitant des friches industrielles comme le site Caravelair de Trignac. Ou plus récemment avec la création de l’éco-parc de La Barillais, qui héberge une centrale de méthanisation alimentant aujourd’hui plus de 2 000 foyers alentour, ainsi qu’un site à Brest ou des locaux militaires à Cherbourg.
Quels sont les avantages de la société coopérative et participative ?
Le statut de groupe coopératif se traduit surtout par un état d’esprit, un management et une envie de pérennité dans nos actions. C’est pour cela que nous avons souhaité ouvrir le capital du groupe à l’ensemble de nos collaborateurs via un fonds commun de placement d’entreprise. Une première fois en 2018, avec trois cents salariés qui ont abondé, et une seconde cette année en juin avec plus de 40 % des collaborateurs éligibles qui ont investi. Ce type de démarche participe à développer l’adhésion au projet d’entreprise, à avoir un participatif et un collaboratif plus fort et à permettre aussi un actionnariat incessible et indépendant.
En quoi entretenez-vous un rapport privilégié avec les Chantiers de l’Atlantique ?
Fin 2000, ils ont été les premiers à nous confier leur activité de logistique industrielle qui consistait à livrer en flux tiré tous les profilés métalliques qui constituent la coque d’un bateau. Depuis cette date, ils ont continué à nous faire grandir en nous confiant de plus larges périmètres. Si bien qu’aujourd’hui, Idea intervient sur tous les bateaux.
Pourquoi avoir choisi de positionner le groupe en tant que plateforme logistique sur le marché des clubs de golf de seconde main ?
C’est un moyen d’expérimenter le marché du reconditionnement et de titiller notre réactivité sur un marché BtoBtoC. Nous souhaitons apprendre à travailler dans l’immédiateté comme lors d’une commande en ligne, alors que dans l’industrie, nous fonctionnons avec des commandes planifiées… C’est une expérience qui nous permet là encore d’apprendre un nouveau métier : le polissage des clubs.
Jusqu’où va le périmètre de rayonnement de la logistique industrielle ?
Il est sans limite. Pour certains, cela comprend la peinture. Pour d’autres, l’assemblage. Parfois, cela inclut la découpe de l’ensemble des câbles qui rentrent dans un sous-marin ou des profilés d’avion. Souvent, nous avons l’image de « stockistes » et de « pousse-palettes ». Aujourd’hui, notre ingénierie fait bien plus que ça ! Sans être un cabinet d’ingénierie pur, ce qui nous importe, c’est de mener des études complètes des approvisionnements usine, depuis l’organisation, la transitique, la traçabilité, jusqu’à l’ergonomie des manutentions.
Transformer nos infrastructures en outils régénératifs pour qu’elles deviennent productrices d’énergie
Quelles caractéristiques aura selon vous la logistique de demain ?
Nous réfléchissons à la manière de transformer nos infrastructures logistiques en outils régénératifs pour qu’elles deviennent aussi productrices d’énergie. Car demain, au-delà de viser l’autoconsommation, nos sites seront capables de mettre le surplus d’énergie à disposition de nos clients, qui sont de forts consommateurs. Mais une chose est sûre, nous ne ferons pas ça tout seuls… Demain, la logistique sera donc encore plus collaborative.