Couverture du journal du 19/03/2025 Le nouveau magazine

Mathilde Cabanas entre chez les Français avec ses « bisous » créatifs

Grâce à son emblématique « bisou » décliné sur des objets du quotidien pour toute la famille et des collaborations qui cartonnent, la Nantaise Mathilde Cabanas est passée du statut de créatrice et d’illustratrice à celui d’entrepreneure à succès. Une trajectoire hors norme qui lui a permis en une quinzaine d’années de déployer son univers doux et enfantin chez de nombreux Français.

Mathilde Cabanas

Photo Benjamin Lachenal

Illustratrice, créatrice, designer, entrepreneure… Mathilde Cabanas, comment vous définiriez-vous ?

D’abord comme créatrice et ensuite comme fondatrice de ma marque d’objets du quotidien pour toute la famille. J’ai inventé mon métier et il évolue au fil des années : je fais de l’illustration, de la création, du développement de produits, de la communication, du marketing… C’est vraiment une chance de pouvoir varier les missions, d’autant que j’apprends en même temps que l’entreprise grossit.

Quels ont été vos formation et parcours avant de créer votre entreprise ?

J’ai suivi une prépa d’arts appliqués à Paris, les Ateliers de Sèvres, avant d’entrer en école de communication visuelle et graphique. Mais la perspective d’assurer la mise en page pour un magazine après cinq années d’études d’art ne me plaisait pas trop… J’ai donc décidé de me lancer en freelance sur des missions de création de logos et d’illustration.

Comme je n’avais pas beaucoup de clients, j’ai complété avec un boulot de vendeuse à temps partiel chez Bonton, un concept store pour enfants, univers qui m’avait toujours attirée. Beaucoup de clients m’y demandaient des cartes d’invitations d’anniversaire. Comme le magasin n’en proposait pas, j’ai décidé d’en créer. C’est ainsi que j’ai découvert le monde du « wholesale » (réseau de distribution BtoB s’appuyant sur des commerces indépendants, NDLR). Je suis alors passée d’une approche créative à une approche commerciale avec l’objectif de dégager des bénéfices des ventes de mes créations.

Ce qui me plaît vraiment, c’est de voir mes dessins sur des produits en volume.

Comment est née la marque Mathilde Cabanas ?

C’est en signant des illustrations sur des cartes que la marque est née en 2013. Jamais je n’aurais imaginé créer une marque à mon nom. J’ai débuté dans la papeterie, car il n’y avait pas de minimum de quantité et l’investissement était limité. J’ai développé le design « bisou », qui a aussitôt cartonné. J’ai alors eu l’idée de le décliner sur d’autres produits. Et j’ai réalisé que ce qui me plaît vraiment, c’est de voir mes dessins sur des produits en volume.

Quand avez-vous compris que le mot « bisou » avait un fort potentiel commercial ?

Dès que je l’ai dessiné sur une mini-carte avec un petit cœur en dessous, j’ai compris qu’il y avait un truc à creuser. J’avais déjà fait « bon anniversaire », « bonne année », « félicitations ». Avec « bisou », ça matchait pour toutes les occasions… Et en plus, c’était hyper doux.

Cette carte « bisou », Bonton m’en recommandait tout le temps. Comme le design ne leur appartenait pas et que tous les magasins cool du moment venaient s’inspirer chez eux, j’étais régulièrement contactée par d’autres concept stores qui voulaient la vendre. J’ai alors décidé de faire mon premier salon Maison & Objet en 2014 pour développer cette activité.

Pourquoi avoir enchaîné sur une collaboration avec Balzac Paris ?

Ce petit bisou sur la carte, je le voyais bien sur un t-shirt brodé. À l’époque, Balzac faisait des nœuds papillons et commençait les sweat-shirts. On s’est rencontrés grâce à des amis communs et on s’est dit « faisons un t-shirt ». Cette première collaboration a été un carton : tout est très vite parti. Et onze ans après, on en vend encore !

Que s’est-il passé après cette première collaboration ?

J‘ai voulu décliner ce t-shirt en version enfant. Comme Bonton n’a pas flairé le potentiel du projet, j’ai tapé à la porte de Poudre Organic, une autre marque de vêtements pour enfants, qui a été emballée. Pour lancer cette deuxième collaboration, j’ai proposé à la boutique Centre Commercial Kids à Paris, un magasin qui vendait mes créations appartenant aux fondateurs de la marque de sneakers Veja, de créer un événement « bisou ». Ça a été à nouveau un succès. À tel point que quand Sébastien Kopp, fondateur de Veja, a découvert l’installation, il m’a proposé de décliner le bisou sur des chaussures pour enfant. J’ai accepté et cela m’a véritablement permis de me lancer dans l’univers des collaborations.

 


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Pourquoi avoir choisi de vous associer avec Alexandra Remise par la suite ?

Je l’ai rencontrée chez Bonton, où elle était également vendeuse. Comme j’avais toujours rêvé de dessiner un livre pour enfants et qu’elle rêvait d’en écrire un, nous avons sorti une collection avec la maison d’édition Marcel et Joachim.

Par la suite, lorsque les ventes de mes créations ont décollé, j’ai compris que je ne pouvais plus travailler seule. Vu qu’on avait le même univers et qu’on était dans la même dynamique, je me suis dit qu’il fallait qu’on s’associe. Elle était emballée et on a rapidement établi un pacte d’associées. Ça a été vraiment génial parce qu’avoir deux personnes motivées, avec les mêmes envies créatives, a énormément porté la marque. Néanmoins, nous ne sommes plus associées depuis l’année dernière.

Pourquoi vos chemins se sont-ils séparés ?

Quand on s’associe, il est essentiel d’être complémentaires. J’avais besoin de quelqu’un de carré, qui me parle business et rentabilité. Or Alexandra était un peu trop comme moi. Ensuite, le Covid a chamboulé beaucoup de choses et la vie a fait qu’on était moins alignées… Il était temps de se séparer.

Quelle est la raison d’être de la marque Mathilde Cabanas aujourd’hui ?

Rentrer dans le quotidien des familles pour leur apporter un peu de joie à travers mes créations. Les collaborations me tiennent à cœur, car elles sont le meilleur moyen de rendre le design et la décoration accessibles au plus grand nombre. Le meilleur exemple, c’est celle avec Lotus. Pour 1,50 €, les gens pouvaient s’offrir les mouchoirs Mathilde Cabanas en supermarché alors qu’un t-shirt sur mon site coûte 50 €.

Aujourd’hui, ce n’est pas la vente qui me stimule, ni d’écouler des quantités. Mais plutôt de proposer ce petit truc différent qui va rendre la vie plus douce. D’ailleurs, tous mes projets doivent donner le sourire. Même un quart de seconde. C’est ce qui me stimule et me donne envie de continuer.

Mathilde Cabanas

Photo Benjamin Lachenal

Un autre projet dont vous êtes particulièrement fière ?

J’ai adoré relooker avec mes motifs soixante-quinze consignes Pick-up (filiale du groupe La Poste et réseau de relais et consignes, NDLR) en France. C’est un projet génial car même si ce n’est pas un produit que les gens achètent, il va égayer le quotidien des usagers pendant dix-huit mois, le temps de cette collaboration.

Je suis également très fière de celle que je viens de lancer avec Leroy Merlin et dont tous les produits sont en rupture. Elle a permis aux Français d’accéder au design. Par exemple, ma lampe tulipe y est vendue 50 € alors qu’elle coûterait minimum 250 € en magasin.

Aigle, L’Occitane, Champion et tout récemment Leroy Merlin… Comment expliquez-vous le succès systématique de vos collaborations ?

Je pense que les gens aiment la marque. Il y a un côté assez naïf dans mes dessins, qui rappelle l’enfance tout en s’adressant aussi aux adultes. Mes clients voient également que je suis une vraie personne derrière tout ça. Ça les touche d’autant plus. Il y a enfin le côté édition limitée de la collaboration qui pousse le client à l’achat, car il se dit « c’est maintenant ou jamais ».

Justement, est-ce avec le même état d’esprit que vous ouvrez régulièrement des pop-up stores ?

Non. Lorsque j’ouvre un magasin éphémère, j’y propose les produits qui sont vendus sur mon site en permanence. Il n’y a donc pas le côté exclusif des collaborations. En revanche, c’est hyper chouette que les clients puissent voir et toucher les produits, mais aussi me rencontrer. De plus, j’adore accueillir les gens dans mon univers, organiser un petit apéro, discuter… Mais j’avoue qu’en termes de rentabilité, les pop-up stores génèrent très peu de profits alors qu’ils demandent énormément d’énergie.

Quels sont les produits qui se vendent le mieux sur votre e-shop aujourd’hui ?

Il y a les parapluies, mais aussi les paillassons. Sans oublier les vêtements : t-shirts, sweats, chaussettes, bottes, pyjamas pour enfants… Mais, mon but n’est pas de produire toujours plus. Aujourd’hui, je tiens à mon indépendance et ne souhaite pas avoir d’investisseurs susceptibles de me dire « fais une collection par mois. Ensuite, tu solderas ce que tu n’as pas vendu ». C’est pour ça que je veux continuer à proposer des produits permanents afin de ne pas tomber dans ce système de soldes.

Où sont fabriqués vos produits et quelles sont vos exigences environnementales ?

Pour tout ce qui est textile, c’est fabriqué en Europe et dans la mesure du possible à partir de coton bio. L’essentiel est pour moi de proposer des produits durables, c’est-à-dire un t-shirt que les gens vont garder et cela implique qu’il soit costaud. Ensuite, pour les goodies ou produits comme les parapluies, ils sont fabriqués en Chine. Là encore, j’ai opté pour des modèles de qualité afin que les gens puissent les utiliser le plus longtemps possible.

C’est beaucoup plus durable de travailler de cette façon que de sortir une collection de fringues par mois. Et quand on me reproche de faire des parapluies en plastique en Chine, je réponds que c’est utile et qu’on s’en sert. Je préfère faire un produit qualitatif fabriqué en Chine qui reste accessible, que de le fabriquer en France, qu’il soit affiché à 100 € et que personne ne puisse se l’offrir.

Bisou Mathilde Cabanas

Photo Mathilde Cabanas

Comment sont distribués vos produits et comment s’articule votre modèle économique ?

Mes produits sont vendus dans un réseau de cent cinquante magasins et concept-stores indépendants : Galeries Lafayette, Fleux à Paris, Smallable Online… Y compris à l’international (Corée, États-Unis). Cette partie « wholesale » est celle où l’on va réaliser le plus de volume mais le moins de marges. Elle représente actuellement un tiers de mon chiffre d’affaires annuel (non communiqué, NDLR).
L’e-shop génère également un tiers de mon chiffre d’affaires. Et les collaborations, où je vends un design et cède mes droits à des marques, me permettent de réaliser le dernier tiers de mon chiffre d’affaires.

Comment faites-vous pour intégrer des considérations économiques dans vos créations ?

Un produit, on ne le fabrique quasiment que si on peut le proposer aux revendeurs. Sauf si bien sûr je peux en commander une toute petite quantité qui sera écoulée sur l’e-shop. Concrètement, il faut que le coût de fabrication d’un produit me permette de marger quand je le propose au revendeur, et que ce dernier puisse lui aussi réaliser des bénéfices suffisants sur les ventes. C’est pourquoi aujourd’hui j’ai des personnes qui m’accompagnent spécifiquement sur les coûts de production et la logistique. Mais dans les faits, c’est très difficile et il y a plein de produits qui ne passent pas l’étape du tarif.

La marque Mathilde Cabanas cartonne également sur les réseaux sociaux (80 k abonnés sur Instagram). Quelle stratégie y déployez-vous ?

Je fonctionne surtout à l’instinct. Cela nécessite naturel, authenticité, créativité, mais également de la transparence. Le côté « home made » fonctionne très bien. Si je publie une vidéo à contre-jour et qu’on m’entend mal, ça n’est pas grave car c’est l’authenticité et le message qui comptent. Pas le support. C’est d’ailleurs pour cette raison que je n’ai jamais délégué la communication.

Je ne suis pas pour autant à montrer ma vie privée en permanence sur les réseaux. Je m’appuie sur eux pour parler à ma communauté. Quand je lance une nouvelle collection, je présente les produits, j’explique comment ils ont été faits…

Cette communication sur les réseaux sociaux coûte-t-elle cher ?

Non, du tout ! Sur les réseaux sociaux, on peut faire des choses avec trois bouts de ficelle et zéro budget, à l’image des chasses aux bisous que j’ai organisées à Nantes et Paris, où l’on taguait des bisous à la craie par terre. C’est ce que j’appelle « the power of zero ». Il s’agit d’une forme de « street marketing » qui aura coûté un pochoir, quelques craies et un peu d’huile de coude, mais qui aura raconté une histoire à tous ceux qui y ont participé.

Dans le contexte actuel de fluctuation du coût des matériaux et de changement des attentes des consommateurs, comment adaptez-vous votre stratégie commerciale ?

C’est assez difficile parce que les clients veulent en permanence de la nouveauté. En 2018-2019, j’étais tentée par créer une collection de vêtements. Ce n’est plus le cas aujourd’hui : il y a des marques de vêtements partout et le marché de la seconde main explose. Du coup, je continue à faire un tout petit peu de t-shirts, mais c’est plus du merchandising qu’autre chose. Je préfère désormais me focaliser sur des produits du quotidien que l’on ne trouve pas partout : parapluies, paillassons, céramique, papier peint, néons… Des produits où le client se dit « ça, je ne peux le trouver que chez Mathilde Cabanas ». C’est d’ailleurs le test que doit passer chaque nouveau produit avant qu’on lance sa production.

Où en est la marque aujourd’hui ?

Le chiffre d’affaires de l’entreprise a une croissance à deux chiffres depuis sa création, à part en 2022 où ça a été très compliqué. J’ai créé de l’emploi : j’ai une salariée chargée du service après-vente et une autre qui s’occupe de la partie « wholesale ». Pour la logistique, je fais appel à un professionnel basé à Saint-Herblain et je m’appuie également sur des free-lances : une graphiste, une responsable de production, une responsable e-commerce, une comptable, une DAF…

Je veux continuer à rentrer chez les gens avec mon bisou.

Quel est votre enjeu principal ?

Que l’entreprise demeure rentable. Aujourd’hui, elle l’est, mais j’essaye qu’elle le reste pour continuer à être indépendante. Je me fiche de gagner des millions, je veux juste pouvoir faire ce que j’aime et continuer à rentrer chez les gens avec mon bisou.

Bisou Mathilde Cabanas

Photo Mathilde Cabanas

Et votre ambition pour la marque ?

D’être encore là dans dix ans et de réaliser au moins le même chiffre d’affaires qu’aujourd’hui parce que c’est franchement dur le commerce actuellement. Il y a plein de boîtes qui se cassent la figure autour de moi, dont des start-up lancées par des gens que j’ai connus personnellement.

Quels sont vos prochains temps forts ?

Une collaboration avec Dodie, une marque de biberons et tétines, actuellement disponible dans toutes les pharmacies. Et une autre début juin avec l’enseigne Picard, spécialisée dans les surgelés. Cela me réjouit car c’est, comme Leroy Merlin, l’une des marques préférées des Français.

J’ai réussi alors que j’avais un trouble de l’attention et que je n’étais pas du tout scolaire.

En avril, vous avez reçu le trophée « Joséphine » de la Région qui met en lumière des femmes ligériennes au parcours inspirant. Quelle a été votre réaction ?

J’ai été très flattée même si je me suis demandé « pourquoi moi ? ». Avec le recul, je trouve que c’est un vrai message d’espoir pour tous ceux qui se disent que le système scolaire n’est pas fait pour eux et se posent des questions sur leur avenir. En effet, j’interviens régulièrement dans des établissements scolaires pour partager mon parcours et montrer aux jeunes qu’on peut réussir professionnellement même si on ne rentre dans aucune case. C’était mon cas et j’aurais adoré que quelqu’un vienne dans ma classe et me dise « j’ai créé une entreprise à mon image. J’adore mon métier, je suis indépendante et j’ai réussi alors que j’ai redoublé deux fois, que j’avais un trouble de l’attention et que je n’étais pas du tout scolaire ».

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes créateurs qui voudraient se lancer ?

C’est important de se poser des questions, mais il ne faut pas attendre des mois ou des années avant de se lancer. Il faut au contraire essayer, rater, réfléchir, rebondir, voir ce qui fonctionne et ce qui ne marche pas pour avancer. Même si ça fait peur au départ, il faut se jeter dans le vide et adapter son cap dans un deuxième temps.

Jusqu’où le « bisou » mènera-t-il la marque Mathilde Cabanas ?

J’aimerais continuer les collaborations avec des marques très présentes dans le quotidien des Français comme Air France, Decathlon… J’adorerais refaire des projets comme les consignes Pick-up mais sur le tram nantais. Recouvrir le tram de bisous ou de fleurs, ce serait génial et je suis convaincue que c’est à ma portée. Que ce soit par le produit ou des interventions en ville, j’ai avant tout envie de continuer à donner le sourire aux gens.

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