Vous êtes notaire, sculpteur et, depuis peu, créateur d’un jeu de société. Le terme de slasheur vous convient-il ?
C’est une cliente de l’étude qui m’a appelé ainsi pour la première fois. Je continue d’être notaire, mais je développe d’autres cordes à mon arc car je suis persuadé que l’on peut avoir plusieurs métiers. Mais j’observe que cela en trouble beaucoup. Certains me disent par exemple : « Vous n’êtes pas notaire, vous êtes sculpteur » : ça peut être vexant.
Je me sens notaire et sculpteur et créateur de jeu et père… pourquoi faudrait-il n’avoir qu’une seule casquette ? Pour moi, être slasheur, ça ne veut pas dire faire moins bien ce que l’on sait faire, c’est se mettre en danger par rapport à une étiquette que les autres veulent vous coller. On est dans une société du changement, mais il fait peur. Je trouve que, de manière générale, on s’interdit beaucoup de choses. De mon côté, je pars du principe que lorsque ce n’est pas interdit, c’est qu’on peut le faire.
Quel a été votre parcours ?
J’ai toujours été très actif. Enfant, je faisais de la piscine, du foot, du judo, du tennis… Mes parents disaient qu’il fallait m’occuper.
Fils de notaire, après mes études de droit, je suis allée me former dans d’autres études car il était impossible de le faire avec mon père : à 20 ans, vous avez l’impression d’être le meilleur et lui de son côté avait un degré d’exigence avec moi bien plus fort qu’avec ses autres collaborateurs.
L’apprentissage a été très dur. Il fallait rentrer dans un monde, un cadre, je n’avais pas de moyen de me libérer.
Et, du coup, je comprends que pour les jeunes qui
arrivent sur le marché du travail, ce soit compliqué de mettre les mains dans le moteur. Il y a un tel décalage…
J’ai eu l’impression de ne rien savoir faire. Il m’a bien fallu six ans de pratique pour maîtriser le métier. Car ce qui est compliqué, c’est la mise en œuvre : on apprend le droit, les règles, mais après il faut les manier,
apprendre la dimension économique du droit car on touche au porte-monnaie des gens.
Avez-vous eu la tentation de faire un autre métier que notaire ?
À 20 ans, j’ai eu une idée de start-up. J’avais imaginé
une solution de géolocalisation des sites internet à une époque où cela n’existait pas, les sites étant à l’époque classifiés par thèmes. Mais je n’avais pas les moyens financiers et n’ai pas trouvé les développeurs : je n’ai jamais décollé. J’ai commencé par me planter, mais cet échec m’a beaucoup servi. Je sais depuis que les bonnes idées ne suffisent pas. Il faut beaucoup de moyens et d’énergie pour que ça marche et par ailleurs ce qui fonctionne une fois peut ne pas refonctionner… Cette expérience me permet aujourd’hui de ne pas être dans le rêve avec mon jeu.
Comment est née l’idée d’un jeu de société ?
Tout est parti d’un rendez-vous avec un couple qui
venait pour un testament. À un moment donné, je leur ai dit qu’il y aurait matière à en faire un jeu. Et lorsque je suis rentré chez moi, j’ai annoncé à mes enfants de 9 et 10 ans qu’on allait le faire. Pendant les vacances, on s’est inspiré de La Bonne paye, du Monopoly et du Jeu de L’oie et on a imaginé Maka7, un jeu de plateau.
Ensuite, pendant l’été, mon fils l’a construit puis l’a testé
avec des copains. C’est là que j’ai vu que ça marchait. J’ai alors travaillé avec des graphistes car le marketing visuel fait 80 % d’un jeu. Enfin, j’ai rencontré le fabricant, une PME implantée en Champagne.
J’ai commandé 500 boîtes. Mon idée avec Maka7, comme avec le Conseil du coin , c’est de rendre
accessible le droit. Je ne gagnerai pas d’argent, mais je n’en perdrai pas beaucoup non plus. Et surtout, je me souviens du regard de mon fils quand il m’a dit : « Tu es allé au bout du délire ! » Oui, j’y suis allé, mais pas n’importe comment, pas dans la démesure, de manière raisonnée. Pour le moment, je distribue en direct et je suis en test avec deux enseignes de la grande distribution. Si ça marche, l’année prochaine, le jeu sera dans leur catalogue.
Vous êtes également sculpteur…
Il y a sept ans, mon épouse m’a offert un cours de sculpture. Celui-ci s’est révélé un moment enchanté. Derrière, j’ai eu envie de réaliser des bustes. J’ai commencé par celui de mon père lorsqu’il m’a annoncé sa maladie. Lorsque je l’ai terminé, je l’ai posté sur les
réseaux sociaux et j’ai eu de nombreux retours. C’est ça l’art, c’est montrer qui on est et cela provoque de l’émotion alors que je trouve que le notariat
génère souvent de la colère. Aujourd’hui
j’ai des commandes, mais ce qui me manque, c’est le temps.
Photo Vincent CHAUVEAU : ©Benjamin LACHENAL