Sur le marché invisible de la cession d’entreprise, on estime que seul un tiers des 5000 sociétés à céder dans les Pays de la Loire trouvera effectivement repreneur. Les autres disparaîtront, emplois et savoir-faire inclus, déséquilibrant parfois des territoires.
Bien souvent, la faute revient à une anticipation insuffisante : « Ceux qui ont réussi leur cession sont ceux qui ont pris du temps pour la préparer », insiste Jean-François Manceau, responsable du département création-transmission à la CCI.
C’est dans cette optique qu’une soixantaine de cédants et une centaine d’aspirants repreneurs se sont retrouvés, ce 14 octobre, à l’invitation de la CCI et de la Chambre de métiers et de l’artisanat (CMA) de Loire-Atlantique. Avant des prises de contact sous la forme d’un « speed meeting », la soirée s’est ouverte sur des témoignages de cédants. Le succès de l’événement démontre toute l’importance d’un sujet encore trop discret car confidentiel et affectif. Sensible.
« La rencontre doit donner le rythme »
« Il faut dédramatiser la situation, faire preuve de bon sens et se donner du temps, tout en s’équipant », souligne Sébastien Ronteau, professeur en entrepreneuriat à Audencia. S’équiper, selon le spécialiste, c’est se faire accompagner par des professionnels du chiffre et du droit : experts-comptables, commissaires aux comptes, notaires, avocats, sans oublier les banques et les chambres consulaires. Mais, si essentiels soient-ils, « les experts ne doivent pas prendre le dessus. La rencontre humaine entre le cédant et le repreneur doit donner le rythme du processus. »
Encore faut-il avoir trouvé le bon successeur. « Chacun a un idéal-type du repreneur. Mais c’est moins important que d’avoir un véhicule adapté, bien préparé en amont », observe Sébastien Ronteau. Rhabiller la mariée, certes, apprendre à « marketer » ses atouts et son potentiel, mais pas seulement : « La transmission est un moment charnière pour repenser l’organisation managériale : pourra-t-elle accompagner les développements futurs
de l’entreprise ? Car une reprise, c’est une réinvention stratégique. »
« Qu’est-ce que mon entreprise si je ne suis plus là ? »
Jean-Pierre Queraud, parti à la retraite en décembre après avoir cédé à son frère la société de peinture qu’il avait créée vingt-six ans plus tôt, confirme la nécessité de « prendre du recul. Il faut se demander :qu’est-ce que mon entreprise si je ne suis plus là ? »
Dès 2013, le sexagénaire avait anticipé en participant à des réunions d’information de la CMA. Il n’imaginait pas une seconde transmettre l’entreprise à son frère, lorsque celui-ci l’a appelé : « Je l’avais eu comme apprenti, les salariés le connaissaient. Quand j’ai vu leur réaction d’apaisement, j’ai su que, oui, c’était lui. »
L’avenir des salariés figure souvent au centre des préoccupations des cédants. Il y a deux ans, Philippe Le Gall a vendu Sorcom, une entreprise de fourniture dans le secteur de l’énergie qu’il avait rachetée en 2006 : « Avec le repreneur, on s’est rapidement mis d’accord sur le prix. Nos discussions ont surtout porté sur l’après, la fusion des équipes. Cela m’a rassuré qu’il s’agisse d’un groupe géographiquement proche. Vis-à-vis des salariés, je ne voulais pas de transfert d’activité. » Et de prévenir ceux qui auraient tendance à ne pas couper le cordon : « Si on vend, on ne
revient pas. Sinon on ne vend pas. »
LA SCOP, une solution « idéale » ?
Et si les salariés eux-mêmes reprenaient leur entreprise ?
C’est ce qui s’est passé chez Delta Meca, atelier d’usinage à Couëron. Créée en 2008 par Mireille Breheret et Christian Caillé, la SARL portait déjà les germes de cette forme de reprise, de par un souhait précoce d’ouvrir le capital aux salariés et un passage en SCOP (*) dite « d’amorçage »
dès 2015. Un an plus tard, les salariés étaient déjà majoritaires, bénéficiant en parallèle de formations au management.
« On s’était donné cinq ans, on partira fin 2020.
Les salariés ont déjà eu une carte blanche totale pour créer un nouvel atelier de chaudronnerie. » Mireille Breheret ne tarit pas d’éloges sur les SCOP, « des modèles très souples et modulables. Comme outil
de transmission et de pérennisation de l’activité, c’est idéal. »
Pour la Nantaise Viviane Borne et son bureau d’études en hydrogéologie, le passage de témoin en SCOP n’avait pas été programmé jusqu’à ce que des ingénieurs se manifestent en interne, rassurant la dirigeante sur le maintien de « la même philosophie ». Le processus a pris deux ans,
sans achoppement sur le prix de vente : « Ce n’est pas l’argent qui compte, mais le devenir de l’entreprise. »
(*) Société coopérative et participative
PHOTO : Jean-Pierre QUERAUD, Viviane Borne, Philippe Le Gall
et Mireille Breheret ont témoigné de la transmission de leur entreprise.
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