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L’économie de plateforme, un modèle en constante évolution

Présentée le 19 décembre dernier, la dernière étude du Ceser Pays de la Loire s’est intéressée aux évolutions du rapport au travail depuis la crise Covid, et à ses incidences pour l'économie régionale. L’enquête de 230 pages s’est notamment attardée sur la montée en puissance de l’économie de plateforme, liée autant à l’essor des technologies numériques qu’aux changements sociétaux.

Fanny Reyre-Ménard, rapporteure de l'étude du Ceser Pays de la Loire © Ouest Médias Ceser - Pays de la Loire

La réalisation de cette étude fait suite à une saisine en octobre 2021 de Christelle Morançais, présidente de la Région Pays de la Loire sur les métiers en tension. Plus d’une quarantaine de structures et une soixantaine de personnes, issues du monde économique ont été auditionnées. « Dès le début de nos travaux durant l’été 2022, nous avons vu apparaître un certain nombre de problématiques : difficultés de recrutement, d’attractivité et de fidélisation, et avons alors estimé qu’il ne fallait plus seulement parler d’emploi, mais aussi et surtout de notre rapport au travail, qui a profondément changé depuis la crise sanitaire », commente Fanny Reyre-Ménard, rapporteure de l’étude. Selon le Conseil économique social et environnemental (Ceser) régional, l’essor du travail via des plateformes s’inscrit pleinement dans ce contexte. Leur succès réside notamment dans le souhait d’autonomie exprimé par certains actifs, qui refusent de plus en plus la subordination liée au statut de salarié. Mais dans les faits, les règles de fonctionnement de certaines plateformes contraignent les marges de manœuvre de leurs utilisateurs, en créant une forme de dépendance économique.

« Les plateformes : une réalité hétérogène »

D’après le Conseil national du numérique, « une plateforme est un service occupant une fonction d’intermédiaire dans l’accès aux informations, contenus, services ou bien édités ou fournis par des tiers ». Les plateformes sont organisées selon des modèles hétérogènes. Les plateformes de biens et services marchands ne se limitent pas à des fonctions de mise en relation puisqu’elles sont parties prenantes dans la production et la vente du produit ou du service échangé. Les plateformes de travail rapprochent une offre et une demande de main-d’œuvre rémunérée, tandis que d’autres mettent en relation des travailleurs indépendants et des clients, entreprises ou particuliers, dans les domaines du transport de personnes (Uber), de la livraison (Deliveroo), ou encore des métiers du numérique (Malt). Certaines plateformes sont également basées sur le partage (Blablacar) ou encore sur la vente de biens et de services par des particuliers (Le Bon Coin, Airbnb).

Le Ceser souligne la difficulté d’évaluer avec précision le nombre de travailleurs ayant recours aux plateformes en raison de la diversité de leurs statuts et de leur utilisation de plusieurs plateformes à la fois. Un même coursier peut par exemple être actif simultanément sur Uber et Deliveroo. D’après une enquête sur les micro-entreprises publiée en juin 2023, la CCI Pays de la Loire estime de son côté que 1,3 % des micro-entrepreneurs sont des coursiers à vélo.

Les plateformes logistiques en forte croissance

Quant aux plateformes logistiques, elles cristallisent une série de tendances qui affectent le monde du travail dans son ensemble. Elles connaissent une forte croissance sous l’impulsion des technologies de l’information et de la communication (TIC), de la numérisation et dans le contexte d’intensification des échanges à flux tendus et de boom du e-commerce. En France, le secteur de la logistique, hors transport, regroupe près d’un million d’emplois. Il s’agit de l’un des secteurs les plus en tension. Fin 2022, 22 000 postes étaient à saisir dans ces métiers selon France Travail. En Pays de la Loire, les secteurs de la logistique emploient 4,4 % des salariés (hors intérim), soit 0,2 point de plus que la moyenne nationale. Et depuis dix ans, le nombre d’ouvriers de la logistique a progressé de 0,9 % par an dans la région, témoignant du dynamisme du secteur. À l’exclusion des zones littorales, la logistique est davantage implantée dans l’ouest de la région. Elle est même sur-représentée dans le bassin d’emploi des Herbiers-Montaigu avec 8 % des salariés, soit 5 000 salariés. Les zones d’emploi de Nantes, Saint-Nazaire et Châteaubriant se démarquent également. La région nantaise concentre à elle seule 35 % des salariés du secteur en France.

La crainte d’une « limitation de l’initiative individuelle »

Au fil des ans, le secteur de la logistique s’est transformé sous l’effet des évolutions technologiques. Au milieu des années 2000, sont apparus de nouveaux logiciels reliés aux opérateurs et préparateurs de commandes, entraînant plus de répétitivité dans les tâches. D’après Frédéric Doreau, directeur de l’Aract (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail Pays de la Loire, le risque de ces formes d’organisation du travail déployées à grande échelle par le géant du commerce en ligne, Amazon, risque d’engendrer une limitation de l’initiative individuelle. Ce changement de paradigme amoindrit ainsi la possibilité de mobiliser son intelligence pour résoudre un problème.

 

Les centres d’appel face au défi de la fidélisation

Allant de la télévente au service après-vente, le secteur des centres d’appel (dont les modes organisationnels et les pratiques de travail s’apparentent à ceux de la logistique) est devenu un élément indispensable de la stratégie commerciale et de relation client des entreprises. Et alors que de nombreux emplois sont délocalisés ou créés directement hors de France, au nom d’une double logique de réduction des coûts et de recherche de flexibilité accrue, plusieurs grands groupes ont choisi d’implanter leurs centres d’appel dans la région (EDF, Groupama, MMA, Mondial Assistance… ). La Région Pays de la Loire est perçue comme une alternative pour les entreprises souhaitant rester à proximité de la région parisienne tout en bénéficiant d’un cadre attractif. Parallèlement, pas moins d’une vingtaine de formations dédiées à la relation client y sont proposées, afin d’offrir aux entreprises une main-d’œuvre qualifiée.

Il n’en reste pas moins que les processus de travail en centres d’appel sont, généralement, fortement standardisés, encadrés, voire robotisés. Même si des actions sont parfois menées au sein de certaines entreprises pour laisser davantage d’autonomie aux téléopérateurs ou pour améliorer les conditions de travail en réduisant les nuisances sonores, les acteurs du secteur peinent à fidéliser leurs salariés. Interrogée dans le cadre des travaux du Ceser, Carine Ménard, DRH chez Imatech, a constaté un taux de turn-over de l’ordre de 20 à 30 %. Filiale du Groupe Inter Mutuelles Assistance, Imatech (700 salariés), installée depuis 1999 à Nantes, reconnaît des difficultés à retenir les jeunes téléopérateurs juristes diplômés. Selon une enquête interne menée en mars 2023, les plus jeunes en alternance et les employés seniors sont les plus satisfaits de leur emploi. L’entreprise travaille à élargir ses profils de recrutement, afin de les rendre plus inclusifs.