Pendant les JO, Yann Le Guyader en est déjà certain : il aura la tête sous l’eau. Au sens propre, en tant que moniteur de plongée, après l’avoir connue au figuré, comme directeur de Master Industrie. À ce titre, il baigne dans les Jeux olympiques de Paris depuis deux ans, à la faveur d’un contrat à 2,5 millions d’euros (pour un CA 2023 proche des 14 M€). Cette commande l’a tenu en apnée ces derniers mois, quand son entreprise a été autorisée à monter ses tribunes télescopiques (11 000 places au total) à l’Arena Porte de la Chapelle et au Centre aquatique olympique (CAO) de Saint-Denis. Tout simplement deux des rares sites de compétition érigés exprès pour le plus grand événement sportif au monde.
Et ce n’est pas tout. La PME d’une soixantaine de personnes, basée à Chanverrie, a également participé à la transformation de La Défense Arena. Sa mission ? Retirer les gradins, qu’elle avait elle-même installés huit ans plus tôt, pour convertir l’enceinte de rugby en bassin de natation. Soit 4 300 places à retirer, stocker, puis réinstaller.
Un plongeon dans le grand bain…
Autant dire que, trente ans après son unique participation à des Olympiades, à Lillehammer (un seul équipement à l’époque), Master Industrie n’a pas fait dans la demi-mesure pour Paris 2024. Un plongeon dans le grand bain pour un patron décidément prêt à se mouiller : « Avec les Jeux, résume Yann Le Guyader, on prouve notre capacité à intervenir sur des chantiers très en vue, réalisés sous pression, avec une date butoir incontournable, et pour des clients prestigieux et très exigeants : le groupe Bouygues, la Ville de Paris et le Comité d’organisation des JO. »
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Et il est vrai que pour les 2 655 TPE-PME impliquées dans les opérations de construction, et les quelque 1 800 autres prestataires du comité d’organisation, les marchés des Jeux olympiques tiennent plus du parcours du combattant que de la promenade de santé. Et ce, dès l’attribution des contrats : « Les organisateurs des JO ont le droit de choisir un fournisseur sans avoir à se justifier », explique Veneta Georgieva, directrice générale de l’équipementier Sportcom, à Treillières. Présent à Londres en 2012, le spécialiste des sports de combat voulait se positionner de nouveau pour Paris. « Un premier appel d’offres a été publié, puis a disparu », raconte Veneta Georgieva. « Mais on s’est dit que rien n’était joué. Alors on a travaillé comme si on avait remporté le contrat. Un mois après, on recevait un appel d’offres privé. » Affaire conclue : Sportcom a décroché l’exclusivité des équipements d’entraînement et de compétition pour la boxe.
Chez Master Industrie aussi, la phase d’appel d’offres a réservé son lot de surprises. Avec une figure imposée par la Ville de Paris : l’utilisation obligatoire de plastique recyclé pour les sièges de l’Arena Porte de la Chapelle. Pour relever ce défi inédit, le Vendéen s’est allié au francilien SAS Minimum. Le premier a apporté son savoir-faire sur la structure métallique, le second sur la matière plastique. Ensemble, ils ont fini par présenter « les seuls sièges fabriqués à partir de déchets collectés en région parisienne ». Leur prouesse leur a valu de remporter le marché du CAO. Un travail d’équipe gagnant aussi pour la suite : « Nous avons maintenant la solution technique pour proposer à nos clients cette matière », se réjouit Yann Le Guyader.

L’Arena Porte de la Chapelle a ouvert en février 2024 (sous le nom d’Adidas Arena), avec des tribunes de Master Industrie et des écrans vidéo de Stramatel. Photo Master Industrie
Une course effrénée aux innovations
Pour espérer participer aux JO, mieux vaut donc aller « plus vite, plus haut, plus fort ». Une devise olympique qu’a dû faire sienne Veneta Georgieva. « Nous avons réalisé six mois de R&D pour enlever tous les boulons de notre ring et le rendre clipsable, de manière à réduire le temps de montage de six à quatre heures », explique la dirigeante de Sportcom. Un effort déterminant pour rassurer le Comité international olympique (CIO), échaudé par de mauvaises expériences récentes.
Mais les exigences des organisateurs ne se sont pas arrêtées là. Sportcom s’est aussi trouvée aux prises avec une demande (hors contrat) de personnalisation des rings aux couleurs de Paris 2024. « On l’a acceptée, malgré les contraintes. Mais on est resté jour et nuit à côté de l’imprimante numérique avant d’arriver au résultat voulu ! »
« Le Village olympique était un endroit propice pour innover »
Déclencheurs d’innovations originales, les JO peuvent aussi servir de vitrine à des concepts préexistants. Le groupe de bureaux d’études Quarco, né l’an dernier à Saint-Herblain, a ainsi trouvé au Village olympique un terrain de jeu idéal pour la première création de son incubateur : le connecteur bois-béton (CBB). Comme son nom l’indique, cette pièce permet de relier des planchers en béton à des façades à ossature bois. Seuls 1 500 CBB ont été posés à ce jour. Dont 80 % à l’Île-Saint-Denis, sur six bâtiments de 5 000 m² au sol, destinés à héberger les athlètes.
Un « projet emblématique » à 100 k€, arrivé par hasard sur le bureau d’Angélique Lyon. « La société savoyarde Roux, avait décroché le lot gros œuvre et charpentes sur ce chantier. Elle est venue nous voir pour qu’on lui fasse ses études bois », se souvient-elle. La directrice technique souffle alors l’idée du CBB à son client. Bingo ! « Roux était content de pouvoir innover sur ce dossier. D’autant que le Village olympique était un endroit propice à ce genre de nouveautés, du fait de ses nombreux projets basés sur des mix de matériaux. »
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Une « plus grande ouverture d’esprit » qui a aussi fait le bonheur de Louineau. L’entreprise luçonnaise de menuiserie a, elle, tiré son épingle du jeu grâce à son système d’étanchéité des tableaux (ouvertures où viennent se loger les fenêtres), adapté aux façades en bois. Quelque 3 600 de ses précadres d’habillage équipent aujourd’hui quatre lots de bâtiment sur le Village olympique. Un marché à plus d’1 M€, loin d’être neutre pour une société qui a réalisé 18 M€ de CA en 2023.
« On s’est remis en question et on s’est réorganisé pour absorber cette charge », concède son PDG. Jean-François Robergeau a notamment doublé les effectifs employés aux précadres (soit une dizaine de personnes en plus). Mais, relativise-t-il, « la commande JO s’est étalée sur deux ans. Elle s’est donc naturellement inscrite dans la continuité de notre développement commercial et de notre flux quotidien. » Mieux, la réorganisation qui en a découlé « a permis d’intégrer des chantiers additionnels ».

Plusieurs bâtiments du Village olympique (ici, Les Gradins, à Saint-Ouen) sont habillés de précadres de fenêtres made in Luçon, grâce à Louineau. Photo Louineau
Un contre-la-montre parfois sans médaille
Tout le monde ne peut pas en dire autant. « Nous n’avons pas pu développer tout notre potentiel l’an dernier », regrette le directeur de Master Industrie. La faute à sa course contre-la-montre olympique. Pour franchir la ligne d’arrivée de Paris 2024 dans les temps, Yann Le Guyader a dû embaucher, sous-traiter et appeler à la rescousse les autres filiales de sa maison mère, le groupe angevin Semosia. Le tout sous la pression intense de ses donneurs d’ordres. « Ce niveau de tension, c’est la différence principale par rapport à d’autres clients… » Et pour cause, « les Jeux font partie de ces rares chantiers où la date de fin ne peut absolument pas être déplacée ! »
À enjeu mondial, stress maximal donc. Une logique à laquelle Gilles Poussier a refusé de se soumettre « pour deux bonnes raisons : les appels d’offres n’avaient pas de grand intérêt financier pour nous et ils se seraient traduits par de la maltraitance pour nos équipes », estime le fondateur de Gens d’événement. À la place, il a préféré « récupérer des miettes sur le territoire », en particulier le pilotage du « Club 2024 », la fan-zone de Nantes, un marché public d’environ 1,5 M€.

A Nantes, Gens d’événement est chargé de mettre en place la fan-zone officielle des JO, à Feydeau. Visuel Gens d’événement
Gagner peu pour ne pas tout perdre !
Mais alors, les Jeux en valent-ils vraiment la chandelle, pour tous ceux qui s’y sont frottés ? D’un point de vue purement comptable, la réponse est claire : les PME gagnent peu… quand elles ne perdent pas carrément tout. Le chiffre d’affaires de Sportcom sur ces JO ? Zéro ! « Nos équipements ne sont pas vendus, mais prêtés à Paris 2024 », précise Veneta Georgieva. Son entreprise a pourtant consenti des efforts « assez importants » en temps, énergie et euros (près de 400 k€ mobilisés). Une opération en pure perte ? Non, corrige la dirigeante : « C’est un investissement marketing pour plusieurs années. Aujourd’hui, on vit encore sur les retombées de Londres 2012. Avec Paris, on est parti pour tirer au moins dix à quinze ans de profits derrière ! », prédit-elle.
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Veneta Georgieva n’est pas la seule à faire ce pari de long terme. C’est qu’en réalité, les entreprises visent rarement l’argent aux Jeux olympiques. « On ne le fait pas pour la rentabilité, confirme Yann Le Guyader, mais pour d’autres raisons. » Pour sa part, il se réjouit d’avoir fait « grandir en compétences et en volume » son entreprise, manière de « tirer la ligne de temps vers nous ». Jean-François Robergeau se félicite, lui, d’avoir pu « valider et accentuer l’organisation de Louineau dans la gestion de ses chantiers ». Chez Quarco, Angélique Lyon en a surtout profité pour « professionnaliser notre offre sur le connecteur bois-béton ».
À cet effet « accélérateur » s’ajoute le tremplin à l’export. Pour Sportcom, Londres avait servi de déclic à son internationalisation. À l’époque, l’équipementier s’était « rendu compte du potentiel de marché, en échangeant avec les fédérations étrangères sur place ». Yann Le Guyader a emprunté la même voie avec Lillehammer. Depuis, il ne se prive pas de faire des Jeux un argument d’autorité : « A l’étranger, les JO parlent à tout le monde, bien plus que le Vendéspace », sourit-il. « Dire que l’on a fait les Jeux crée immédiatement un terrain de confiance avec nos interlocuteurs », acquiesce Veneta Georgieva.

Quarco a profité des chantiers du Village olympique pour déployer sa première innovation, le connecteur bois-béton. Photo Quarco
Les JO ravivent la flamme des entreprises
Car, de l’aveu de tous, il est bien là le secret des Jeux olympiques : le premier événement sportif au monde (4 milliards de téléspectateurs attendus cette année) représente avant tout un formidable levier de crédibilité, de visibilité et de notoriété. Une vitrine du savoir-faire autant qu’un moyen de se faire connaître. Louineau a ainsi pu rejoindre le réseau Ambassabois de Bouygues, à la suite de ses interventions au Village des athlètes. « Nous sommes désormais reconnus par les grands acteurs du secteur et intégrés aux réflexions sur le bâtiment de demain », savoure Jean-François Robergeau.
« c’est un challenge d’engagement, plus qu’un sujet financier »
Mais les JO peuvent aussi raviver la flamme d’entreprises en difficulté. À Orvault, la TPE Harmonie Formation a accompagné une trentaine de chômeurs vers les métiers de la sécurité, en vue, notamment, de couvrir les besoins en personnel sur les huit matchs de foot prévus à la Beaujoire. Une « aubaine » pour cette jeune entreprise, fragilisée par un démarrage tardif de son activité. Sa mission olympique lui a assuré 40 % de CA au premier semestre. Mais, souligne la fondatrice Carine Kouassi, « elle nous a surtout aidés à rencontrer des entreprises de sécurité qui ne nous connaissaient pas et à démontrer aux acteurs locaux que nous étions à la hauteur ».
À Nantes, Gilles Poussier espère être le prochain à capter un peu de la lumière des Jeux. Avec le Club 2024, il compte autant faire briller son agence que défendre ses valeurs. « D’habitude, on ne mène pas des projets à ce taux de marge-là », jure-t-il. « Mais j’ai pris le risque d’y aller pour faire de cette action un symbole de coopération et d’ancrage. »
Dont acte : Gens d’événement va s’appuyer sur 22 entreprises situées à moins de 100 kilomètres à la ronde. « Et on pousse toutes les questions de responsabilité à leur maximum : l’énergie, le handicap, les déchets… », insiste Gilles Poussier. « Parce que, pour nous, ce Club est un challenge d’engagement, plus qu’un sujet financier. » Comme quoi les entreprises ne sont finalement pas si différentes des athlètes. Les unes et les autres ne font pas toujours des affaires en or aux JO. Mais quelles que soient leurs motivations, l’important, pour eux, reste bien d’y participer.
Ces autres PME porte-drapeau du territoire aux JO
Louineau, Master Industrie, Quarco et Sportcom ne seront pas les seuls représentants du territoire sur les sites franciliens des JO. Au Village olympique, le Vendéen Baudet a installé 450 salles de bains préfabriquées dans les appartements des athlètes. Originaire de Cugand, MéO a, lui, équipé plusieurs bâtiments en fenêtres bois-aluminium.
Au Centre aquatique olympique de Saint-Denis, les tribunes de Master Industrie seront baignées de soleil grâce aux façades vitrées du luçonnais Mtech Build. Et à l’Arena Porte de la Chapelle, elles donneront sur les écrans et affichages vidéo de Stramatel. L’entreprise du Cellier équipe également le stade Yves-du-Manoir, à Colombes. Le tout sous l’œil des caméras du sablais AMP Visual TV, mobilisé sur les retransmissions TV de la compétition.