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Jeunes et employeurs : de la friture sur la ligne

Pas toujours simple pour les employeurs de comprendre les jeunes, entre évolutions des attentes, représentations fondées ou au contraire fausses croyances. Pour y voir plus clair, une étude publiée par la CCI Nantes St-Nazaire, en partenariat avec Nantes Université, fait le point.

CCI

(De g. à d.) André Ndobo, responsable scientifique de l’étude pour le laboratoire de psychologie des Pays de la Loire (Nantes Université), Laurence Vernay, première vice-présidente de la CCI Nantes St-Nazaire et Véronique Quéré, responsable technique du projet pour la CCI, ont dévoilé les résultats de l’étude le 4 octobre dernier à la CCI Nantes St-Nazaire. © IJ

Alors que le territoire de la Loire-Atlantique connaît une situation de quasi-plein-emploi, accompagnée de tensions de recrutement touchant un grand nombre de secteurs, la CCI Nantes St-Nazaire vient de publier avec Nantes Université une étude[1] visant à favoriser la rencontre entre jeunes et employeurs. À travers un questionnaire miroir, l’étude croise les regards des entreprises et des jeunes au sujet du rapport de ces derniers au travail. Objectifs, selon Laurence Vernay, première vice-présidente à la CCI Nantes St-Nazaire : « Partager les résultats avec un maximum d’entrepreneurs pour qu’ils puissent mieux s’organiser dans leurs entreprises, mieux accompagner les jeunes, trouver les mots clés dans leurs recrutements, mais aussi trouver les bons leviers de motivation pour les fidéliser. Et peut-être aussi enlever certaines croyances. »

Des jeunes pas si indécis

Un premier décalage est identifié par les auteurs de l’étude entre la représentation du travail des chefs d’entreprise et celle des jeunes. Si les premiers y associent davantage des dimensions plus “sociales“ (épanouissement personnel, relation, engagement), des considérations pragmatiques comme le salaire et les notions d’effort et de contraintes sont plus présentes chez les seconds. Autre enseignement : l’idée reçue des chefs d’entreprise selon laquelle « les jeunes ne savent pas ce qu’ils veulent faire comme métier », avec 91 % d’entre eux qui pensent que l’indécision caractérise la jeunesse, s’avère à côté de la réalité. Ainsi, 54 % des jeunes interrogés indiquent savoir précisément le métier qu’ils souhaitent exercer. Face à cette discordance, Laurence Vernay préconise : « Il faut qu’on réinvestisse les stages de 3e et les stages de façon générale, car si l’apprentissage et l’alternance se développent très bien, l’orientation des jeunes se joue encore en amont. L’autre sujet important pour la fidélisation et le recrutement, c’est l’image que va laisser l’entreprise au moment de ces stages. »

À la recherche de l’authenticité

« Sur le sujet de l’entreprise idéale, nous n’avons pas noté de divergence importante, poursuit Laurence Vernay. On retrouve de chaque côté des notions de bien-être, de conditions salariales favorables, d’un management positif, qui vont permettre un épanouissement, une reconnaissance, une bonne évolution. » Le critère d’une entreprise soucieuse de l’équilibre vie professionnelle/vie personnelle ressort également dans les deux populations, et les jeunes indiquent par ailleurs attendre des engagements sociétaux forts de la part des entreprises, au premier rang desquels l’égalité hommes/femmes, devant le développement durable et la diversité sociale. En tous cas, selon l’étude, les deux groupes s’accordent sur l’idée que l’entreprise doit jouer un rôle sociétal.

Dès lors, comment faire en sorte que la rencontre entre jeunes et entreprises s’opère ? D’abord en prenant acte du nouveau paradigme en matière d’embauche. Les auteurs de l’étude pointent ainsi la remise en question du process de recrutement des entreprises, et notamment de la sacro-sainte lettre de motivation. Selon l’étude, cette dernière apparaît pour de nombreux jeunes comme « fausse », « insincère ». « C’est une liste de mensonges en fait. Je n’imagine pas écrire : “J’ai tellement envie de travailler pour vous parce que j’adore faire la caisse toute la journée, demander à chaque fois la carte de fidélité…“ J’ai l’impression que c’est hypocrite », rapporte une participante à l’étude. « Le jeune, y compris dans sa lettre de motivation et dans sa rencontre avec l’employeur, ne pardonnera pas quelque chose qui n’aura pas eu sa congruence ou qui n’aura pas été sincère et authentique dans la démarche », éclaire Laurence Vernay. Une donnée à avoir en tête côté entreprises, particulièrement à l’heure où ChatGPT peut produire une telle lettre en quelques secondes, structurée et sans faute…

CDI : la fin d’un Graal ?

Si l’étude confirme l’intérêt des jeunes pour le CDI, elle fait néanmoins état d’un malentendu. « Dans les verbatims, ce contrat est associé à la notion d’enfermement alors que les générations précédentes s’accrochaient absolument à leur CDI qui représentait un Graal », souligne l’élue de la CCI. Les employeurs rappellent quant à eux à juste titre qu’un CDD est plus difficile à rompre qu’un CDI, pour lequel ils ne comprennent pas le manque d’attrait.

Par ailleurs, tensions de recrutement obligent, si la culture du diplôme reste bien enracinée, les entreprises indiquent que la personnalité et le savoir-être du candidat deviennent prioritaires. Une façon pour elles d’assouplir leurs exigences.

En matière de fidélisation, c’est notamment la question du temps de travail qui entre en jeu. Et contrairement à certaines croyances côté employeurs, « ce que recherchent surtout les jeunes, c’est l’équilibre vie professionnelle/vie personnelle, et pas forcément les quatre jours à tout prix », constate Laurence Vernay. Autre facteur qui apparaît de manière marquée : « Les jeunes sont très exigeants vis-à-vis des managers », dont ils attendent la création des conditions d’une relation de confiance. Un phénomène que la première vice-présidente interprète comme « un besoin d’expression, de participer à un certain nombre de sujets et l’envie d’être reconnu dans sa capacité à intervenir ».

Enfin, les notions d’engagement et d’implication constituent un point de différence notable entre jeunes et employeurs. « Les jeunes nous disent qu’un salarié impliqué est quelqu’un qui respecte les horaires et fait bien son travail, note Véronique Quéré, chargée de développement emploi à la CCI et responsable technique du projet. Les employeurs associent beaucoup plus la notion d’implication à la notion d’engagement. Il y a une dimension émotionnelle, un attachement plus fort à l’entreprise. » D’où l’enjeu, côté entreprises, de mener un travail permettant de « trouver les leviers pour passer de l’implication à l’engagement », conclut Véronique Quéré.

 

[1] “Jeunes et entreprises : La rencontre (im)possible. Ce que veulent les jeunes, ce que pensent les entreprises“. Questionnaire en ligne réalisé auprès de 1 665 jeunes de 15 à 30 ans (via universités, écoles, lycées…) et 341 chefs d’entreprise de Loire-Atlantique, complété par des groupes de discussion.