Couverture du journal du 26/04/2024 Le nouveau magazine

Jacques Couturier, PDG d’Artifices JCO : « L’émotion avant la technique »

Il aime les challenges un peu fous et raconter des histoires. Il y a 35 ans, le Vendéen Jacques Couturier quittait son métier d’instituteur pour vivre sa passion pour les feux d’artifice. Autodidacte complet, il rencontrait rapidement le succès en imaginant des spectacles thématiques avec texte et musique. S’il a embarqué sa famille dans l’aventure, ses enfants choisissent aujourd’hui d’autres voies. C’est donc à ses salariés que le président d’Artifices JCO envisage de transmettre une partie de son patrimoine.

Jacques Couturier, artifice, Vendée

Jacques Couturier. ©Benjamin Lachenal

D’où vous vient votre passion pour les feux d’artifice ?

Honnêtement, je n’ai pas d’explication, à part le fait, peut-être, d’être né un 14 juillet. Les feux d’artifice ont quelque chose d’assez magique qui captive les foules. C’est lorsque j’étais instituteur que je suis vraiment tombé dedans. Entre 1976 et 1986, avec les écoles du secteur, nous organisions en effet une grande fête d’école devenue au fil du temps un événement populaire : les Fêtes de la Limouzinière. Elles ont réuni jusqu’à 500 bénévoles et 30 000 spectateurs. Les bénéfices servaient à financer des projets d’école, du matériel, des activités… En guise de bouquet final, il y avait un feu d’artifice et moi, j’aimais passer le maximum de temps avec les artificiers, émerveillé comme un gamin.

Comment avez-vous décidé d’en faire votre métier ?

En 1988, à 41 ans, j’ai démissionné de mon poste d’instituteur. Non que je n’aimais plus ce métier, mais simplement pour vivre ma passion pour le feu d’artifice. Je me suis lancé avec l’inconscience la plus totale et, paradoxalement, avec la conviction profonde que si je ne le faisais pas immédiatement, je ne le ferais jamais. J’étais certain de réussir. Je suis parti en Espagne pour me former. En deux mois, j’avais tout compris. C’est donc confiant que je suis allé voir le banquier pour lui expliquer que je voulais monter une société de spectacle. Il s’est moqué de moi : ce fut humiliant. Alors, fin octobre 1988, c’est avec le soutien financier d’anciens parents d’élèves et de copains que j’ai créé la société Jacques Couturier Organisation. Le 1er janvier 1989, avec mes amis espagnols, nous avons réalisé notre premier spectacle pyrotechnique pour le bicentenaire de la Révolution, place Napoléon, à La Roche-sur-Yon : une grande réussite.

Quels ont été vos atouts pour ce premier succès ?

J’aime les challenges un peu fous et, à l’époque, j’avais déjà un solide sens de l’organisation et une bonne connaissance du monde du spectacle. Fort de mon expérience des Fêtes de la Limouzinière, j’avais en effet créé en 1987 l’association yonnaise Artifices qui proposait des spectacles musicaux pour le troisième âge, où l’on recevait jusqu’à 3 000 personnes. Et puis, ça a vite dérivé vers le feu d’artifice. En parallèle, avec l’association Le Pays de Rochereau, j’avais monté le spectacle “Baudelaire enflamme la nuit”, qui a eu un bel écho et pour lequel nous avions de grands partenaires médias et entreprises comme Fleury Michon, le Crédit Agricole, le Crédit Mutuel… Sans ces expériences, sans ce réseau, jamais je n’aurais pu créer et développer mon entreprise.

Ne pas être issu du monde des artificiers a été, selon vous, une chance pour vous démarquer. Pourquoi ?

Comme je ne connaissais pas le métier, je n’en avais pas les codes. Donc ce que je faisais ne ressemblait à rien d’autre. Dans les années 1980, les feux d’artifice étaient techniquement très structurés, sans mise en scène ou musique pour les accompagner. Je trouvais ça ennuyeux. Moi, j’aime raconter des histoires. Alors j’ai imaginé des spectacles thématiques avec des textes et de la musique. À partir de là, une fois que la bande-son était aboutie, nous allions créer les visuels. La technique était au service de l’émotion, jamais l’inverse. C’est toujours le cas aujourd’hui. Ce format inédit correspondait aux attentes du public de l’époque et a marqué un tournant dans l’histoire du feu d’artifice.

En 1990, un certain Michel Drucker donne un coup de pouce au destin de la jeune société. Comment ?

Un jour, nous avons reçu un appel de Productions DMD, la société de Michel Drucker qui produit toutes ses émissions. Ils cherchaient un prestataire pour assurer les effets spéciaux et réaliser le spectacle pyrotechnique de la dernière émission de Champs Elysées, dont le tournage était prévu au Futuroscope. Au départ, j’ai cru à un canular. Puis, j’ai appelé le Futuroscope à qui je venais de proposer mes services. Tout était vrai. C’était surréaliste. Je n’ai jamais trop su comment Michel Drucker était arrivé jusqu’à nous. Sur place, l’équipe nous a fait entièrement confiance, alors que ce nous proposions étaient parfois très artisanal et audacieux. Cette expérience nous a ouvert des portes et conféré une crédibilité régionale, puis nationale.

Sur un coup de tête, j’ai envoyé une invitation au directeur des fêtes de Monaco.

La reconnaissance internationale, elle, est venue cinq ans plus tard grâce à un autre heureux hasard. Lequel ?

En 1995, nous avions monté un salon professionnel à La Roche-sur-Yon intitulé “Salut l’artiste”. Le principe ? Des organisateurs de spectacles venaient découvrir pendant sept minutes des artistes de renommée régionale pour remplir leurs programmations. Sur un coup de tête, j’ai envoyé une invitation au directeur des fêtes de la principauté de Monaco. Il était ravi car il cherchait des spectacles pour les écoles et les commerçants. Quand il est venu, nous tirions un feu d’artifice place Napoléon pour les 100 ans du cinéma. Il a été bluffé. Il nous a invités à représenter la France à Monaco Art en ciel, l’un des plus grands festivals d’art pyrotechnique au monde.

À l’époque, le concours était réservé aux fabricants de feux d’artifice et pour des spectacles pyrotechniques sans bande-son et histoire. Le règlement a changé pour que nous puissions y participer. Et c’est ainsi que nous avons réalisé le premier spectacle pyrotechnique musical de l’histoire de Monaco autour de Verlaine et Rimbaud. J’avais un stress énorme. À la fin, il y a eu un concert de cornes de brume des bateaux de la baie de Monaco. Et nous avons gagné. C’était la première fois que la France remportait cette compétition en 30 ans de festival. Ce fut le début d’une carrière internationale. Quatre ans plus tard, on était à Rio au Brésil pour le passage à l’an 2000.

Couturier, artifice, Vendée

Monaco en 2016©JCO-Arja Hyytiainen

Cette relation avec Monaco a duré puisqu’en 2006, la principauté a invité les anciens vainqueurs à participer à une compétition spéciale que nous avons gagnée. C’est à ce moment-là qu’ils nous ont proposé de devenir consultants artistique et sécurité pour le festival Monaco Art en Ciel. Notre rôle : étudier le projet artistique des pays candidats, soumettre notre avis aux organisateurs pour sélection et accompagner les équipes pendant le festival pour vérifier la sécurité. Cette collaboration s’est arrêtée avec le Covid.

En France, qui dit feu d’artifice, dit forcément 14 juillet. Quelle part représente la saison estivale dans votre activité ? Comment évolue ce marché ?

Depuis 15 ans, le marché s’est élargi. Avant, 75 % des feux d’artifice avaient lieu entre le 14 juillet et le 15 août. Aujourd’hui, seulement la moitié se déroule au cœur de l’été. Le métier s’est modernisé, devenant un spectacle multimédia, ce qui lui a permis de se démocratiser et de s’ouvrir à l’événementiel privé – anniversaire d’entreprise par exemple – ou autres temps forts organisés par les collectivités. Désormais, dès qu’il y a une grande occasion, on pense davantage feu d’artifice. En ce moment, par exemple, on travaille sur un spectacle pour le passage de la flamme olympique en France. Notre cible : les collectivités. Son nom : “Les Étoiles d’or pyrolympiques”.

Les feux d’artifice sont un secteur de niche. Quels sont les enjeux en termes de concurrence ?

À ce jour, il y a cinq à six acteurs majeurs sur le marché français, dont nous. Certes, il y a de la concurrence, mais aussi de la place pour tout le monde. Nous sommes en concurrence sur les grandes villes, moins sur le reste du territoire. En effet, certains de nos confrères ont fait le choix d’avoir des correspondants en région pour les représenter et développer ainsi leur clientèle. Ce n’est pas notre cas. Notre stratégie consiste plutôt à peaufiner nos spectacles pour fidéliser celle que nous avons déjà.

À côté de ces leaders nationaux, il y a aussi une centaine de sociétés pyrotechniques bien implantées localement. Ce ne sont pas nos concurrents, mais nos clients. Avec Planète Artifices, l’une des deux sociétés de la holding Artifices JCO, nous faisons en effet du négoce de produits pyrotechniques. Nous travaillons avec une dizaine de professionnels seulement, dans un souci de qualité, mais aussi parce que nous avons un autre projet pour ce vaste site de Planète Artifices, dont le potentiel est actuellement sous-exploité.

Quel est ce projet ?

Une unité de traitement de déchets pyrotechniques. C’est un projet majeur sur lequel nous travaillons depuis 2020 avec la Dreal1 Pays de la Loire, en relation avec le ministère de l’Environnement. Les déchets pyrotechniques ne sont pas uniquement ceux liés aux feux d’artifice mais aussi les systèmes de déclenchement des airbags et les signaux maritimes périmés (feux de détresse, fusées marines…). La prise en charge de tous ces déchets dangereux correspond à une urgence environnementale.

Actuellement, nous récupérons nos propres déchets pour les détruire sur le site de Planète Artifices, agréé Seveso2. Puis, nous envoyons les cendres pour enfouissement à une société vendéenne spécialisée dans le traitement des déchets ultimes.

La construction d’une unité d’élimination de déchets pyrotechniques avec lavage des fumées constituera donc un progrès important pour l’ensemble des acteurs concernés en France, voire en Europe. D’autant plus que les résidus comme les métaux et les plastiques seront triés pour être recyclés. Rien ne sera enfoui.

Selon la Dreal Pays de la Loire, la superficie disponible dans l’enceinte de ce site classé Seveso (5 ha sur 14 ha, NDLR) et sa situation géographique loin de toutes habitations font de Planète Artifices le seul site dans l’ouest de la France adapté pour accueillir cette unité de traitement de déchets pyrotechniques dans le respect des normes de sécurité et de l’environnement.

Qui va exploiter cette unité ?

C’est un métier particulier et nous n’avons ni la compétence ni les moyens financiers pour nous lancer seuls. C’est pourquoi nous avons décidé de mettre notre site et nos infrastructures à disposition de groupes spécialisés via un partenariat tout en conservant notre activité feux d’artifice. Autrement dit, la gestion du site sera conjointe. Nous sommes en contact avec deux grands groupes nationaux. Les discussions avancent bien et nous espérons voir aboutir ce projet d’ici deux ans environ. Pour être en phase avec cette nouvelle activité, la capacité autorisée de stockage de matières dangereuses passera de 190 à 340 tonnes.

Le feu d’artifice a connu plusieurs révolutions techniques (images géantes, drones…). Comment y prenez-vous part ? Quelle place occupe l’innovation ?

Innover fait partie de notre ADN. Mais cette innovation n’est pas forcément technique, elle est aussi artistique. Ce que j’aime avant tout, c’est imaginer la séquence juste pour susciter de l’émotion chez le public. Pour tout ce qui est technologique, je suis inutile. C’est toute cette équipe de jeunes autour de moi qui donne ce souffle dynamique à Jacques Couturier Organisation. Parmi eux, il y a mon fils Joseph qui travaille dans l’univers du cinéma et nous apporte cette expertise supplémentaire dans un monde pyrotechnique où les effets visuels ont pris de l’importance.

Depuis 2020, nous avons également développé nos ateliers créatifs pour trouver de nouveaux process. Il y a deux ans, nous avons ainsi imaginé JCO 3.0®, un concept de spectacle pyrotechnique interactif. Le principe est simple : le public peut gérer les effets spéciaux comme un pro, y compris les enfants. Il s’inscrit en amont. Le jour J, nous choisissons deux ou trois spectateurs. Puis, sur une bande-son de quelques minutes, chacun improvise sa mise en scène.

La sécurité est inhérente au métier d’artificier. Comment y répondez-vous ?

La sécurité va de notre centre de stockage jusqu’au pas de tir. C’est une exigence qui passe avant l’artistique. On ne transige pas là-dessus. Avant chaque feu, on fait une étude de sécurité minutieuse que nous transmettons aux communes, puis à la préfecture. On se déplace sur site, on regarde tout jusqu’aux broussailles. On ne tire pas le feu si les conditions de sécurité (barriérage, vent…) ne sont pas réunies. Et en cas de forte sécheresse, comme lors de l’été 2022, nous prenons des précautions supplémentaires, comme arroser le terrain avant le spectacle. Grâce à cette rigueur, nous n’avons jamais eu d’accident.

Votre famille est associée3 à l’aventure. Deux de vos enfants travaillent avec vous. Pourtant, il n’y aura pas de deuxième génération à la tête du groupe. Pourquoi ?

Parce que tous ont fait des choix différents. Apolline, la petite dernière, travaille dans l’informatique. Quant à Soisik et Joseph, après avoir travaillé une vingtaine d’années avec moi, ils aspirent à autre chose. Ayant moi-même changé de vie à 40 ans, je comprends parfaitement leur décision. Joseph est intermittent du spectacle et se consacre à sa passion pour le cinéma. Et Soisik, actuellement directrice générale de la holding et directrice de production de Jacques Couturier Organisation, a commencé un processus de reconversion. Longtemps, j’ai pensé qu’ils prendraient la suite. Ce n’est pas le cas et ça me va bien. Transmettre à ses enfants n’est pas une obligation et ne doit pas être vécu comme une contrainte.

Joseph Couturier, artifice, Vendée

Jacques Couturier entouré de ses enfants, Joseph et Soisik. ©Benjamin Lachenal

C’est à une autre famille que vous passez le relais puisque vous avez choisi de transmettre à vos salariés. Comment cela s’organise-t-il ?

Pour la société Jacques Couturier Organisation, rien n’est encore formalisé. À 76 ans, je suis toujours actif et j’ai encore besoin de mettre mon grain de sel. Mais progressivement, je me retire de l’opérationnel. L’entreprise fonctionne très bien sans moi car les compétences et l’envie sont là. C’est pourquoi je réfléchis à la transmettre à mes salariés, peut-être sous forme d’une Scop4. Reste à se mettre autour d’une table pour en discuter. Le projet de reconversion de Soisik pourrait accélérer le processus.

Quant à Planète Artifices, c’est un site industriel qui ne peut se transmettre sous forme coopérative. Tout va donc dépendre de l’accord trouvé avec le partenaire industriel retenu pour le traitement des déchets pyrotechniques, mais on peut imaginer une gestion conjointe avec les salariés. Une certitude : la famille Couturier en restera actionnaire.

1. Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement.

2. La directive Seveso impose aux États membres de l’Union européenne d’identifier les sites industriels présentant des risques d’accidents majeurs pour y maintenir un haut niveau de prévention.

3. Sa femme, son ex-femme et ses trois enfants ont des parts dans la holding.

4. Société coopérative et participative.

Le groupe Artifices JCO, c’est :

  • 2 sociétés : Planète Artifices (stockage et négoce de produits pyrotechniques, exploitant du site Seveso) et Jacques Couturier Organisation (spectacles pyrotechniques, licences d’organisateur de spectacle, centre de formation)
  • Chiffres d’affaires (2022)
    • Jacques Couturier Organisation : 2,40 M€
    • Planète Artifices : 1,80 M€
  • Effectifs : 20 permanents + entre 200 et 300 occasionnels selon la saison (CDD, intermittents)
  • Superficie de Planète Artifices : 35 ha. Dont :
    • 14 ha pour le site pyrotechnique (stockage et de destruction)
    • 21 ha pour les essais et les contrôles qualité
  • 400 feux d’artifice créés et tirés par an par ses équipes.
  • 1 000 spectacles prêts pour la mise à feu (sans équipe) vendus aux collectivités, soit via l’intermédiaire d’un artificier professionnel, soit en direct en formant les agents territoriaux.