Couverture du journal du 03/05/2024 Le nouveau magazine

Immobilier – « La crise du logement va impacter l’immobilier tertiaire » 

Tendance. La demande pour l’immobilier tertiaire neuf est toujours forte, mais l’offre ne suit pas, en particulier au centre de la métropole, tandis que la désaffection grandit pour les bureaux de « seconde main" (-42 %). Christine Serra, présidente du Club immobilier Nantes Atlantique (Cina), directrice régionale BNP Paribas Real Estate, estime qu’il faut réorienter les programmes prévus sur l’île de Nantes. 

Christine Serra

Christine Serra, présidente du Club immobilier Nantes Atlantique (Cina), directrice régionale BNP Paribas Real Estate. (© BNP Paribas)

Quel bilan tirez-vous de ce premier semestre 2023 ? 

L’année 2022 a été exceptionnelle. Or, quand on compare les premiers semestres 2022 et 2023, il y a eu autant de transactions dans le neuf. Il y a donc toujours une forte appétence des entreprises pour le neuf.  Quand on a du neuf, on accélère l’obsolescence du seconde main, qui est délaissé. Actuellement, on a plus de choix dans le neuf pour des surfaces plus importantes. Comme par exemple à Saint-Herblain, avec plusieurs immeubles importants sortis avec des grands plateaux, ce que l’on ne retrouve pas dans le seconde main.  

 

Mais le neuf devient peu disponible dans le centre de Nantes ? 

C’est la catastrophe, on est en pénurie d’offre en centralité. Et cela ne va pas s’arranger car la crise du logement va impacter aussi le tertiaire. Sur l’île de Nantes, quartier République, on a des opérations enchâssées, avec des logements, des locaux commerciaux et des bureaux. Sauf que, si le logement ne sort pas, le bureau ne sortira pas non plus. En termes de prospective, le tertiaire risque donc d’être impacté. S’il n’y a pas de pré-commercialisation des logements dans le quartier République, on ne pourra réaliser les immeubles de bureaux seuls. Le message que l’on veut passer en local à la Métropole est qu’il faut être beaucoup plus souple et agile : pourquoi ne pas inverser la répartition actuelle de 70 % de logements et 30 % de tertiaire ? Car, pour l’instant, le tertiaire en centre-ville tient la route. On ne sait pas répondre à la demande de centralité, alors que le marché des transactions de bureaux en centre-ville représente 43 % du total dans la métropole. Il faudra attendre 2024, avec la livraison des programmes Aurore et Austral quartier République, pour bénéficier de surfaces neuves de taille importante sur l’île de Nantes. 

 

Faire plus de bureaux que de logements, oui, mais les programmes sont partis sur l’île de Nantes ? 

Les immeubles ne sont pas sortis de terre. Et donc, est-ce qu’à un moment il ne vaut mieux pas revoir le programme pour qu’il sorte ? Sinon cela reculera encore plus les opérations.  

 

La création de bureaux est moins touchée que le logement, est-ce que cela peut « sauver » certains promoteurs ? 

Oui, on l’a déjà vu. Mais la différence est que nous sommes sur un marché essentiellement locatif, représentant 80 % des transactions. Effectivement, on a moins le sujet du financement. On l’a sur l’investissement, mais pas sur l’occupant utilisateur des locaux de bureaux. Le promoteur peut se rabattre sur le tertiaire car les entreprises sont encore présentes, les besoins sont là et les demandes s’expriment, insatisfaites sur le centre-ville.  

 

L’attractivité est là, il n’y a donc pas assez d’offre dans le centre-ville ? 

La logique est que le centre-ville représente 50 % des transactions du marché. Ce n’est plus le cas. Le stock s’est écroulé. On est d’ailleurs en sous offre généralisée sur la métropole. Le stock de neuf a baissé de 24 % rien que sur le premier semestre. À la fin de l’année, ce sera encore plus important. 

 

Pourtant les offres sur certains secteurs ont plus de difficultés à se commercialiser. La localisation reste-t-elle le critère numéro un ? 

On fait de l’immobilier. Avant, on regardait beaucoup le bâtiment. Maintenant, c’est le bâtiment et son environnement. Il faut pouvoir montrer ce qui se passe autour, la vie et les services disponibles, les différentes mobilités. Tout cela est scruté par les directions immobilières. Sur Haluchère-Batignolles, nous avons des opérations neuves qui ont du mal à se remplir, peut-être à cause de l’environnement qui séduit moins. Le chef d’entreprise doit attirer ses employés et ceux-ci veulent une qualité de cadre de vie, de services, de mobilité, de vie après le travail. Ce qu’apporte le centre-ville. 

 

La tendance générale européenne est à une faiblesse des taux d’occupation des bureaux. Est-ce que cela se vérifie dans la métropole nantaise ? 

On est un peu moins touchés qu’à Paris. Les métiers de l’informatique sont plus impactés. Les entreprises ont envie de mieux gérer leurs bureaux, c’est le flex office. À Nantes, c’est moins prégnant qu’en région parisienne. Malgré tout, on voit bien qu’il y a moins de voitures les lundis et vendredis. 

 

Cela incite-t-il les entreprises à réduire leur empreinte immobilière ? 

Cela les incite à réaménager leurs locaux, à avoir plus d’espaces communs. Face à moins de présence et moins de tensions sur les bureaux, elles décalent leurs projets pour voir comment se positionner. Deux jours de télétravail par semaine ne changent pas fondamentalement les mètres carrés.  

 

Diriez-vous qu’une majorité de décideurs est sensible à l’empreinte carbone de leurs immeubles ? 

Il y a beaucoup d’interrogations et d’inquiétudes sur le décret tertiaire, la répartition des travaux entre le preneur et les bailleurs pour baisser les coûts de l’énergie. Pour des directions immobilières, il est plus simple de se diriger vers le neuf aux dernières normes environnementales que d’aller vers des produits qui ont entre quinze et vingt ans et qui ne permettront pas de passer les échéances de 2030. 

 

Alors que faire de l’immobilier tertiaire de seconde main qui s’accumule ? 

La solution, ce sont les travaux. Être frugal et faire du bas carbone, ce n’est pas abandonner et laisser des friches. Si l’emplacement est intéressant, avec des services et des transports, le bureau n’y sera pas mort. Il méritera d’être réhabilité en faisant des économies d’énergie. Ce qui sera mort, ce sont les bureaux avec des petits plateaux, mal placés, dans des zones industrielles sans services. Aujourd’hui, quand on vend un immeuble, on le fait avec un bilan établissant les travaux nécessaires pour répondre au décret tertiaire. Cela amène des discussions très techniques sur chaque actif.