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Garder la maîtrise de ses contrats dans un environnement incertain

Garder la maîtrise d’un contrat d’affaires, de fourniture, de prestation, de sous-traitance lorsque son partenaire stratégique est en sauvegarde ou en redressement judiciaire paraît mission impossible. Ces procédures, avec leurs règles, s’imposent à tous les partenaires de l’entreprise défaillante.

Erick Segret

Erick Segret. BENJAMIN LACHENAL - IJ

Lorsque le spectre de « faillites » en cascade survient

Le droit vient au soutien de l’entreprise en difficulté et les dispositifs tels que l’interdiction du paiement des dettes antérieures et l’impossibilité pour le cocontractant de se prévaloir de l’ouverture de la procédure pour rompre la relation d’affaires s’imposent.

L’avantage de la rupture est au bénéfice de l’entreprise fragilisée qui agit par la voix de son représentant, sous le contrôle du mandataire ou de l’administrateur judiciaire désigné.

La décision d’arrêter un contrat est prise sous les considérations de l’intérêt de l’entreprise fragilisée de poursuivre une relation contractuelle et de sa trésorerie prévisionnelle.


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Pour son dirigeant, le questionnement devient binaire : maintenir ou pas le contrat. Si le contrat est jugé nécessaire pour la poursuite des activités de l’entreprise fragilisée, il sera maintenu. Dans un premier temps, le cocontractant devra subir : de par la Loi, il devra exécuter ses obligations comme prévu contractuellement et, le cas échéant, déclarer sa créance.

En fait, la victoire au bénéfice de l’entreprise fragilisée est courte dès lors qu’elle le place immédiatement face à ses propres devoirs. Le contrat maintenu devra être exactement respecté pour la partie postérieure à l’ouverture de la procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire.

S’agissant du cocontractant écarté, il subira la résiliation sauf à en discuter le caractère dommageable.

Hors procédure collective, la décision du représentant légal de solliciter une procédure amiable (mandat ad hoc, conciliation) réactive l’intérêt des discussions sur le maintien des relations d’affaires.

Le bénéfice de la confidentialité attachée aux procédures amiables permet de taire, au tiers, les difficultés d’entreprise.

Un rééquilibrage des relations commerciales peut être envisagé dans un environnement sécurisé (le cocontractant ne pourra se prévaloir de la procédure pour rompre le contrat) entre les participants disposés à travailler à l’écriture d’une solution pérenne de maintien de l’activité de l’entreprise fragilisée dans le respect d’intérêts partagés.

Renforcer la relation contractuelle

Vous pourriez être en relations d’affaires avec une entreprise fragilisée sans le savoir.

Le principe de la confidentialité de la procédure de prévention (mandat ad hoc, conciliation) oblige ses intervenants à taire l’information aux tiers qui s’engagent à la respecter.

Si vous n’êtes pas dans la boucle des négociations, c’est que le partenaire a décidé de vous tenir à l’écart pour l’élaboration de la solution de sortie de crise.

On pourrait en déduire à tort que vous êtes condamné à subir.

Une solution est de demander à votre partenaire de vous tenir informé du maintien des conditions d’achats, du volume d’affaires, du niveau de prestation ainsi que des projections sur les mois à venir.

Il peut être convenu que le refus de communication conduise à une réduction des relations d’affaires dans un cadre prédéfini d’une pause, d’une adaptation, voire d’une rupture contractuelle.

L’accord entre entreprises intégrera des temps de communication sur :

  • des comptes de l’exercice passé ;
  • des prévisionnels d’affaires ;
  • la périodicité des échanges ;

Une visite sur site, une rencontre avec la direction, un point « affaires » compléteront les actions concrètes de maintien de la qualité de la relation. Dans les secteurs industriels ayant recours à la sous-traitance, ces bonnes pratiques sont largement utilisées. Par ce biais, l’entreprise partenaire s’oblige à communiquer sur sa situation sans risquer d’enfreindre la règle de confidentialité qui pourrait la concerner. Ces informations resteront strictement réservées aux parties au contrat et les modalités de maintien de la relation pourront être intégrées aux conditions générales de vente, d’achat, de prestation.

Relever le défi de la défaillance d’un partenaire stratégique

La contractualisation des échanges avec des clauses adaptées devient une force pour le partenaire de l’entreprise en difficulté. Elle lui permet d’affirmer sa position en cas de sauvegarde ou de redressement judiciaire et de sécuriser les affaires le temps nécessaire à l’élaboration de la solution de sortie de la procédure.

Le sujet devient alors la prise en compte d’un risque qu’il convient de contenir. Pour le contrat de vente, l’insertion d’une clause de réserve de propriété s’impose. L’instauration systématique d’acomptes, l’établissement de comptes de situation sur l’avancement de la prestation ou du chantier, l’ouverture de comptes de garantie sont plus que recommandés pour les contrats longs. Ici encore, ne pas subir par le jeu des clauses contractuelles ! Il convient de rappeler aux organes de la procédure les conditions conventionnelles.

Et si vous étiez sollicité par votre partenaire fragilisé ?

La philosophie de la loi sur l’entreprise en difficulté est de l’accompagner pour l’écriture de sa solution de sortie de crise et de rassurer son environnement. Si vous êtes invité à participer à une procédure de conciliation et sollicité pour fournir un nouveau bien ou service, pour assurer la poursuite d’activité de l’entreprise et sa pérennité, vous pourrez revendiquer le bénéfice du privilège de new money de l’article L611-11 du Code de commerce. Il permet un paiement prioritaire en cas de sauvegarde ou de redressement judiciaire.

Des dispositions instaurant un paiement prioritaire existent au sein même de ces procédures sous l’article L622-17 et l’art L631-14 du code de commerce. Par ailleurs, un partenaire stratégique créancier de l’entreprise fragilisée pourra (sous conditions) demander à être désigné contrôleur. Il pourra recevoir une information fiable sur l’évolution de la procédure auprès des organes en recevant leurs rapports auprès du Tribunal ; il sera présent lors des audiences et amené à donner son avis.

Vers un rapport éclairé et apaisé de la vie des affaires

Dans un contexte d’incertitudes économiques et financières susceptibles d’affecter toute entreprise, il est temps de se mettre en ordre de marche pour livrer les possibles combats de demain. Tout dirigeant a un devoir d’exigence envers lui-même, son entreprise ainsi que vis-à-vis de son écosystème. Un préalable : questionner les relations d’affaires sous l’angle de la prévention de la défaillance.

Quoi qu’il en soit, un travail primordial et salutaire s’impose à tout dirigeant :

  • identifier les contrats stratégiques ;
  • organiser une veille stratégique active de ses partenaires ;
  • suivre les indicateurs d’activité (augmentation des encours, des retards de livraison, des paiements…) ;
  • adapter et renforcer vos contrats ;
  • organiser une gestion rigoureuse et réactive de l’information en interne entre la direction et les fonctions supports en relation avec les partenaires extérieurs à l’entreprise ;
  • se mettre hors champ d’une position de dépendance : chercher des solutions alternatives ;
  • associer un mix de compétences (avocat spécialisé en droit commercial, professionnel des entreprises en difficulté, expert-comptable) pour gérer les relations d’affaires complexes.

Un maître mot : anticiper !

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