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Entretien avec Marie Paquier, présidente d’ID Alu : « Le stock est notre plus grande force »

Après avoir repris en 2014 l’entreprise fondée par son père à Thouaré-sur-Loire, Marie Paquier a continué de la développer. À son arrivée, ID Alu comptait quatre salariés et réalisait 1,6 M€ de CA. Aujourd’hui, ils sont six pour 2,2 M€. Les clés du succès de cette entreprise qui fournit aux professionnels des pièces aluminium ? L’innovation permanente et le stock, à l’heure où la pénurie de matières premières est devenue un sujet de préoccupation dans le bâtiment.

Marie PAQUIER, ID Alu

Marie PAQUIER, ID Alu © Benjamin Lachenal

Lorsque vous avez repris ID Alu, comment s’est déroulée la transmission ?

Elle n’a pas été complètement naturelle. Au début, j’ai plutôt cherché des entreprises dans l’agencement, domaine un peu connexe à ID Alu. Pour moi, en effet, mon père n’était pas vendeur de son entreprise. Il y pensait depuis longtemps, m’en avait souvent parlé, mais entre émettre une idée et passer à la réalisation… Il s’intéressait à mes recherches, on en discutait, mais c’était plus de l’ordre de l’échange. C’est finalement quand je suis allée assez loin avec une entreprise qu’il s’est dit que c’était le moment ou jamais s’il voulait transmettre ID Alu dans la famille.

 

Le passage de relais entre votre père et vous s’est fait en seulement trois mois. Pourquoi un tuilage si court ?

C’est vrai que souvent le passage de relais entre le cédant et le repreneur dure aux alentours de six mois. Mais nous, on a décidé de le faire en trois mois. Une fois que la décision a été prise, j’ai aussi voulu passer par un protocole classique de cession, avec des dates écrites, un engagement formalisé. J’avais besoin de savoir comment on allait avancer. Je l’ai fait comme je l’ai senti. Lui aurait sans doute choisi une formule plus souple…

 

Trois mois pour s’immerger dans l’entreprise, ce n’est pas énorme. Vous aviez déjà un pied dedans ?

J’en entendais beaucoup parler, mais je ne connaissais pas les clients, et pas trop le produit non plus. Je maîtrisais plus le relationnel avec la clientèle, là où finalement je ne m’estime pas la meilleure : je suis davantage dans la technique et l’innovation. C’est aussi pour cela que j’ai embauché quelqu’un pour prendre la casquette commerciale et marketing.

 

ID Alu

ID Alu © Benjamin Lachenal

 

Quels ont été vos objectifs premiers ?

Quand on est la personne qui reprend, on se sent encore plus le devoir de ne pas décevoir, même si j’étais sûre que ça allait fonctionner et que j’allais pouvoir suivre les rails qui avaient été posés par mon père. De toute façon, quand on rachète une entreprise, il faut être d’accord avec les valeurs, les fondamentaux, la stratégie de croissance. Si on arrive pour tout remettre à plat, on a une chance sur deux pour que ça plante. ID Alu fonctionnait très bien et ce que j’avais appris lors de ma formation au CRA1, c’est qu’il ne fallait surtout rien changer au début à une entreprise qui fonctionne. On se laisse un à deux ans et au bout de ce temps-là, si vraiment il y a des choses significatives à mettre en place, on peut commencer. Mais, finalement, je ne dirais pas que c’est ce que j’ai fait. J’ai mis en place plusieurs pierres et ça nous a fait grandir et grossir, mais je n’ai pas l’impression d’avoir révolutionné ID Alu.

Dans les petites entreprises, parfois on se dit qu’innover ne sera pas possible. Mais grâce à cela, nos clients nous voient plus grands qu’on ne l’est !

Sans aller jusqu’à révolutionner l’entreprise, vous avez malgré tout misé sur l’innovation ?

Là encore, il faut bien deux bonnes années dans l’entreprise car innover pour innover ça s’appelle dépenser des sous pour rien si on tombe à côté de la plaque ! Pour nous, la politique d’innovation est basée sur les échanges avec la clientèle. Ce sont ces rendez-vous qui font émerger des besoins. Quand on a plusieurs informations qui se recoupent de plusieurs clients d’un même secteur d’activité, l’idée émerge et on la travaille. Ensuite, on en parle en clientèle et si on sent que le retour est positif, on creuse et on passe à la vitesse supérieure. De cette manière, on est un peu plus sûrs des produits qu’on lance mais je ne pense pas non plus qu’on aura l’innovation révolutionnaire. 30% de notre chiffre d’affaires est réalisé sur nos produits et on essaie au maximum de faire grandir cette part-là. Quand je suis arrivée, on était plutôt autour de 22 à 25%. Mais, finalement, à chaque fois qu’on sort une innovation, surtout en pièces, ça fait aussi grossir la gamme des produits standards, l’idée étant aussi de laisser nos clients libres. Je pars du principe que plus ils se sentent libres, plus ils auront envie de rester. Sachant que nous avons un portefeuille de 900 clients actifs sur toute la France et un peu dans les pays limitrophes via Internet mais notre objectif premier n’est pas de développer l’export. J’ai tendance à dire qu’il faut d’abord faire bien tout ce qu’on a à faire ici.

 

Diriez-vous que vous êtes en innovation permanente ?

Marie PAQUIER ID Alu

Marie PAQUIER d’ID Alu © Benjamin Lachenal

Oui, on essaie de lancer un nouveau produit ou une nouvelle gamme chaque année ou tous les deux ans. Dans les petites entreprises, parfois on se dit qu’innover ne sera pas possible. Mais grâce à cela, nos clients – des menuisiers et des agenceurs de magasins – nous voient plus grands qu’on ne l’est ! En revanche, plus l’entreprise est petite, plus l’innovation prend du temps. On avance plus vite, mais on a besoin de plus de réflexion, les équipes étant moins structurées. Je demande des études de marché quasi-systématiquement afin d’être sûrs de lancer une innovation au bon endroit : ce n’est pas parce qu’on pense que c’est une bonne idée que c’est forcément le cas. Après, on peut aussi dire qu’on a eu un coup de chance avec notre dernière gamme lancée début 2020, au bon moment. Ce qui est sûr, c’est qu’innover nous assure une croissance de chiffre d’affaires, même quand le secteur est morose.

 

Comment traversez-vous cette crise ?

Entre mars et avril 2020, plus de la moitié de nos clients étaient arrêtés, mais nous, on n’a pas fermé une seule journée. Je suis partie du principe qu’à partir du moment où l’on ne nous disait pas qu’on n’avait plus le droit de travailler, on en avait le droit : tout ce qui n’est pas interdit est autorisé ! Pour moi, fermer l’entreprise ce n’était pas possible, ça ne m’a pas traversé l’esprit. J’ai dit à mes salariés qu’ID Alu resterait ouvert et tous ont été ravis de continuer à venir travailler. Et ça a créé en plus un climat hyper convivial ! Je pense aussi que je n’aurais pas pris cette décision si on avait été 500, parce qu’alors je n’aurais pas pu échanger avec chacun.

L’idée est aussi d’être indépendants financièrement et dans les décisions autant que possible. On n’a donc pas fait de PGE, pas voulu de report de charges… Vivre avec des subventions ce n’est pas mon principe. Ainsi, je m’assure de ne pas être prise à la gorge demain. J’ai fait en sorte, par mon choix de gestion économique les années précédentes, de ne pas en avoir besoin. J’ai toujours une trésorerie largement excédentaire pour absorber les aléas. J’ai été très satisfaite de pouvoir le faire et je pense que mes salariés aussi car je les ai payés comme d’habitude et ils n’ont pas eu un jour en moins.

 

Vous avez aussi fait le choix de miser sur un stock important…

On a cent tonnes de stocks, ce qui, pour une entreprise de notre taille, est énorme. On a une logique de réapprovisionnement très régulière. En 2020, nos ventes ont baissé comme ailleurs. Ceci étant, je n’ai pas changé ma logique et on a continué à s’approvisionner, ce qui fait qu’on est montés au-dessus de la normale. Sachant qu’on parle beaucoup en ce moment de cette pénurie de matières premières, mais qu’on ne dit pas non plus que l’année d’avant les cours étaient très bas : on a pu en profiter. Ce n’était pas un pari sur l’avenir, plutôt le choix de ne pas être défaitistes. Et aujourd’hui, on constate que le stock est notre plus grande force. Les pénuries ont commencé à se faire sentir début 2021 et on vient d’atteindre un record jamais connu. On a même dépassé le pic qu’on avait connu en mai 2018 à l’époque de la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine. Malgré tout, on continue notre politique et on ne ralentit pas nos approvisionnements car notre priorité c’est de satisfaire les clients. Notre objectif, c’est de ne jamais avoir de rupture de stocks car il n’y a pas de plus grande frustration que de refuser un client parce qu’on n’a plus le produit.

Le stock coûte donc plus cher aujourd’hui et on va quand même être obligés de répercuter cette hausse sur nos tarifs à partir de juin. On l’a reculée le plus longtemps possible alors que certains ont dégainé dès février.

On parle beaucoup de cette pénurie de matières premières, mais on ne dit pas non plus que l’année d’avant les cours étaient très bas : on a pu en profiter.

Pourquoi cette stratégie, qui s’avère aujourd’hui gagnante mais qui ne date pas d’hier, à l’heure où tout le monde fonctionne en flux tendus ?

C’était déjà comme ça du temps de mon père, et comme je le disais : quand une stratégie fonctionne, pourquoi la changer ? Notre slogan c’est d’ailleurs « la force du stock » ! C’est grâce à ça que l’on gagne des clients. 70% des contacts entrants viennent à nous grâce au travail de référencement sur notre site internet. Pour le moment, il est encore un peu tôt pour savoir si ces clients vont être réguliers ou si c’est juste du dépannage à cause de problématiques de stocks avec leurs fournisseurs mais, en termes d’activité on est actuellement entre +20 et +25% par rapport à 2019-2020.

On aimerait bien faire des projets à long terme et embaucher une nouvelle personne, ce sera possible quand on aura un rythme de croisière. Pour l’instant, les mois sont tellement chaotiques que notre priorité c’est d’être présents et réactifs pour nos clients. Chez nous, les commandes sont traitées dans la journée. On ne travaille pas avec Amazon, mais on essaie de faire aussi bien !

 

Quels sont vos objectifs pour cette année et à moyen terme ?

Pour 2021, on était partis en janvier sur une projection très raisonnable à +6% de chiffre d’affaires. On s’était dits qu’on allait trouver un rythme à peu près équivalent à 2019 qui avait été une bonne année. Le premier trimestre est passé largement au-dessus de nos espérances et 2021 sera probablement au-dessus des objectifs. Le secteur du bâtiment marche bien, du coup on en bénéficie et on a lancé des innovations, donc forcément on a des retombées. Mais, quelle est la part de quoi, c’est difficile à estimer…

Par ailleurs, on manque de place. On aurait besoin d’un terrain de 8 000 m2 avec un bâtiment de stockage de 2 000 m2, c’est-à-dire le double de ce que l’on a aujourd’hui. Ça fait deux ans que je fais la demande d’un terrain à Nantes métropole, mais j’ai perdu espoir : on voit bien qu’ils préfèrent les gros et pour les quelques bouts de terrain qui restent, les promoteurs se jettent dessus et font monter les prix. L’autre solution serait de trouver un bâtiment à vendre, mais quand on achète un bâtiment construit, il n’est jamais exactement tel qu’on le voudrait. Et il n’est pas envisageable d’acheter un bâtiment supplémentaire éloigné de ce site quand on travaille sur la rapidité…

 

  1. Cédants et repreneurs d’affaires (CRA) est une association qui facilite la transmission des TPE et PME.