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Conflits dans l’entreprise, savoir imposer la médiation

Très rares sont les entreprises qui ne connaissent pas de conflit. La médiation est un outil efficace pour les régler mais, paradoxalement, sa mise en œuvre se heurte souvent au refus des salariés concernés. L’employeur peut cependant, voire doit, l’imposer sur le fondement de son obligation d’assurer la sécurité de ses salariés.

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Conflits dans l’entreprise : quelles obligations pour l’employeur ?

Comme partout où des personnes sont en relations intenses, l’entreprise est traversée par des conflits. Ils portent rarement ce nom, au profit de « tension », « problème », « personnalité difficile », parfois « harcèlement ». Il s’agit toujours d’une situation de blocage et le qualificatif « RPS » n’est pas loin. Il appartient donc à l’employeur de pouvoir dire et prouver qu’il a mis en place les moyens de préserver la santé et la sécurité des salariés. (Art. L 4121-1 du Code du travail).

Le pouvoir hiérarchique – l’autorité – est, pour l’employeur, un premier et bon réflexe. Son effet va au-delà de la fin des hostilités par la soumission d’un ou des protagonistes : l’intervention d’un tiers hiérarchique à la relation conflictuelle peut suffire à modifier cette relation et, ainsi, apaiser la situation.

Et si l’autorité ne suffit pas ?

Mais il y a toutes les fois où « rien n’y fait », où la situation s’envenime et où le « RPS » devient plainte, insulte, harcèlement ou vécu de harcèlement, arrêt maladie, turn-over. Le coaching, qui repose sur l’idée d’améliorer, n’est pas adapté à ce type de situation caractérisée par un blocage. En revanche, imposer une « intervention inspirée de la médiation » porte ses fruits. Quelques mots d’explication. Encore aujourd’hui, les dogmes de la médiation imposent que celle-ci soit volontaire. L’effet, en entreprise, est délétère. Quand le protagoniste « A » propose la médiation, le protagoniste « B » la refuse. Quand l’employeur propose le nom d’un médiateur, le protagoniste « A » le refuse et le protagoniste « B » propose un autre nom qui n’est pas accepté par le protagoniste « A ». Bref, le conflit se déplace et se maintient. Cela place l’employeur ou la direction RH dans l’injonction contradictoire qui consiste à contraindre l’employeur à garantir la sécurité des salariés, mais avec l’interdiction de le faire sans leur accord. Seule une médiation imposée permet de sortir de cette injonction contradictoire.

En quoi consiste cette médiation imposée ?

La dénomination d’« intervention inspirée de la médiation », permet à l’employeur de contourner le dogme. Il s’agit bien, pour l’employeur, d’imposer une intervention… qui met en œuvre l’obligation de sécurité qui lui est imposée par la loi. Ce préalable résolu, comment s’y prendre ?

Le premier niveau est d’apprécier si le conflit est présenté comme résultant de faits susceptibles de recevoir une qualification disciplinaire ou non. Dans ce cas, il convient d’abord que l’employeur se positionne. Si la qualification de harcèlement apparait, l’employeur doit en plus mettre en œuvre une enquête.

Le deuxième niveau se rapporte au nombre de personnes concernées. S’il s’agit d’une équipe, le caractère obligatoire de l’intervention ne pose pas de difficulté, car le plus souvent le collectif souhaite et est en attente d’une amélioration de la situation. Au titre du cadre, l’intervenant doit principalement être transparent sur la mission qui lui est confiée par la direction et, bien sûr, respecter scrupuleusement la confidentialité. Plus que pour toute autre situation, cette intervention nécessite, en outre, une parfaite maîtrise de l’approche systémique et de l’intervention systémique.

S’il s’agit d’un conflit entre deux protagonistes identifiés, la situation est plus délicate. Souvent, lorsque l’un et l’autre sont d’accord pour une médiation, paradoxalement, les objectifs de chacun sont incompatibles avec ceux de la médiation. Pour l’un, il s’agit de faire entendre raison à l’autre et lui faire admettre son point de vue, et c’est exactement la même chose pour l’autre et il est difficile de travailler à la résolution du conflit. Lorsque l’un et l’autre ne sont pas d’accord pour une médiation, il est impossible de travailler.

Dans l’une ou l’autre situation, la solution réside dans la mise en œuvre d’un processus « méta », comme par exemple TRUST TEST®. Le propos n’est alors pas de faire une médiation, mais de faire travailler les parties ensemble, accompagnée par un tiers neutre et sans lien hiérarchique, sur l’opportunité qu’elles auraient – ou non – de faire une médiation. Sont examinés successivement les inconvénients de la médiation, la qualité de la relation nécessaire pour s’engager dans une médiation et les avantages de la médiation. Chacun parle de son point de vue et du point de vue qu’il suppose être celui de l’autre. L’effet est que les parties échangent de l’information. L’information, pour Bateson (le « père » de l’école de Palo Alto), est une différence qui crée de la différence, c’est-à-dire du changement. Autrement exprimé, incidemment, à l’occasion d’un processus très structuré, les parties échangent des informations sur leur relation qui, par le fait, génèrent du changement sur leur relation. À l’issue, soit chacun a pris sa part dans la relation, soit la relation s’est débloquée, soit l’intérêt de s’engager dans une médiation est acquis pour chacun. Régulièrement, le feed-back des protagonistes est qu’un « plus-positif » est résulté de ce travail et, en même temps, l’employeur a exécuté son obligation de sécurité. Ainsi, en sachant imposer une médiation ou une pré-médiation, l’employeur peut traiter l’injonction paradoxale dans laquelle il était pris et dispose d’un moyen de sortir tout le monde de l’ornière du conflit.

 


Jean-Edouard ROBIOU du PONT est avocat, spécialiste en droit du travail (DU clinique de la relation) et spécialiste en approche et intervention systémique et stratégique. Il est référencé par l’INTEFP (Institut national du travail de l’emploi et de la formation professionnelle) pour mener des formations communes au dialogue social. www.12saintyves.fr