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PODCAST. Carnets de la Transmission : la « précession » avec Yvon Suillaud et Magalie Giroire

La cession d’une entreprise est un moment clé dans la vie d’une société et de son dirigeant. Une période à la fois pleine d’émotions et de questionnements. Pour en parler, Yvon Suillaud, ancien dirigeant d’Abri Services, une entreprise spécialisée dans l’affichage sur mobilier urbain, et Magalie Giroire, expert-comptable chez In Extenso Ouest Atlantique, qui a accompagné Yvon lors de cette cession. Ensemble, ils partagent leurs expériences et leurs conseils sur la manière de bien gérer la précession, une étape cruciale, mais souvent négligée dans le parcours entrepreneurial.

Magalie Giroire Yvon Suillaud

Magalie Giroire et Yvon Suillaud. BENJAMIN LACHENAL

Pour commencer, pouvez-vous vous présenter ?

Magalie Giroire : Je m’appelle Magalie Giroire, expert-comptable associée chez In Extenso. J’accompagne les entrepreneurs de la création à la cession d’entreprise, à toutes les étapes.

Yvon Suillaud : J’ai soixante-deux ans. J’ai été la moitié de ma vie salarié et l’autre moitié entrepreneur.


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Justement Yvon, pouvez-vous nous raconter les circonstances qui vous ont conduit à reprendre Abri Services en 2004 ?

Yvon Suillaud : Écoutez, j’ai été durant dix-neuf ans salarié d’une entreprise qui s’appelait d’abord Dauphin et puis L’affichage grand format, qui a été repris par le groupe américain Clear Channel en 2000. J’ai été licencié en 2003. Une fin a été assez difficile, malgré des résultats qui étaient, pour ce qui concerne mon travail, de qualité. Donc, bien entendu, je l’ai mal vécu. En fait, à l’époque, on trouvait que j’étais un salarié un peu trop entreprenant. Cela satisfaisait la société familiale Dauphin, parce que c’était finalement une très grosse PME qui encourageait ce genre de comportement, avoir des idées, chercher le développement. Alors que l’entreprise américaine, elle, voulait que les salariés entrent dans des process, suivent des protocoles. Voilà, c’est très directif.

Et du coup, de fil en aiguille, je me disais, si après tout j’étais trop entreprenant pour un salarié, peut-être qu’il valait mieux que j’entreprenne. Après avoir été licencié en juillet, avoir cherché du travail en septembre, je me suis mis en quête d’une société à acheter. J’avais jeté mon dévolu sur une première dont le métier était la fabrication d’abris chariots pour la grande distribution. Après quatre mois d’études, ça n’a pas fonctionné. J’ai été coiffé au poteau par un candidat plus rapide, meilleur. Finalement s’est présentée cette petite entreprise artisanale que j’ai fini par racheter au bout de quelques mois d’étude.

Lorsque vous reprenez les rênes d’Abri Services, l’entreprise artisanale comptait trois salariés pour un chiffre d’affaires qui ne dépassait pas le 0,5 M€. Elle va enregistrer une très forte croissance pour atteindre 15 M€ et 80 collaborateurs en 2020. Comment avez-vous fait pour en faire une entreprise florissante ?

Yvon Suillaud : Alors, le premier élément c’est que je connaissais le métier de la publicité extérieure. Dans le mobilier urbain, il y a une double logique commerciale. La première, réussir à gagner des marchés publics pour installer des équipements d’affichage. Et après, c’est l’entreprise qui amène cet équipement qui se rémunère en vendant de l’affichage publicitaire. Et la vente d’affichage publicitaire, c’était mon ancienne activité. J’ai eu juste à apprendre la dimension marchés publics.

Ensuite, le terrain était propice avec peu d’opérateurs. Il y avait un grand acteur, la société Decaux et aussi Clear Channel (racheté en 2024 par le fonds d’investissement français Equinox Industries, NDLR) qui rencontrait déjà des difficultés. Du coup, j’en ai profité.

Et qu’est-ce qui vous a motivé à envisager la cession d’Abri Services ?

Yvon Suillaud : Cela faisait dix-sept ans que j’exerçais ce métier d’entrepreneur et j’étais globalement fatigué de bosser. Le marché public, c’est stressant. Sur le plan personnel, ma femme a eu un gros problème de santé et en septembre 2019, après avoir été un an présent physiquement à l’entreprise, mais absent, je suis retourné au combat.

Un ensemble d’éléments sont venus parasiter mon engagement. D’une manière générale, j’avais des idées et des projets, mais je n’avais plus l’énergie. Alors, j’ai embrayé la marche avant. Ça a commencé par un confrère situé dans le Jura. Il m’a proposé une association pour couvrir tout le territoire national. Et je suis parti dans cette idée avant de penser à lui céder. J’ai présenté cet entrepreneur aux salariés et aux membres du Codir après avoir établi un protocole, qui devait être signé le 30 mars. Et le 17 mars 2020, avec le premier confinement, la France s’arrêtait de travailler. Donc, tout a été suspendu. De fil en aiguille, les collaborateurs sont venus me voir en disant que ce n’était pas la même culture d’entreprise et qu’ils souhaitaient que j’envisage d’autres solutions. À ce moment-là, j’ai entendu parler de fonds d’investissement, de la possibilité de vendre son entreprise à des financiers. On a donc lancé un appel d’offres et on a reçu six propositions. Entre-temps l’information est arrivée aux oreilles de Decaux.


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Et alors, pourquoi avez-vous choisi la société Decaux comme acquéreur ?

Yvon Suillaud : Decaux, parce que ça sécurisait l’emploi. Les fonds d’investissement se rémunéraient sur le résultat. Or, comme c’est un métier à dominante capitalistique, comme disent les banquiers, il faut générer du résultat pour pouvoir soulever de la dette auprès des banques. Donc, je considérais que le schéma était risqué. Cette problématique risquait d’empêcher notre développement.

Rétrospectivement, quels ont été les moments les plus critiques de cette cession ?

Yvon Suillaud : C’est sans doute gérer… En fait, la dernière année a été extrêmement dure dans la mesure où vous devez gérer l’entreprise, continuer le développement. Il ne s’agit pas que l’entreprise se mette à décliner. En plus, cette opération de cession est incroyablement chronophage. Lancer un appel d’offres auprès de fonds d’investissement, même si j’avais un spécialiste qui s’en occupait, gérer les relations avec Decaux… Ça a été une année à la limite du burn-out.

Et surtout, par non-préparation. À la différence de mon démarrage, à la reprise de la société, qui était vraiment étudié, j’avais réellement bossé le sujet, je n’avais rien préparé pour la cession. Le plus compliqué, c’était de réussir à tout gérer sans péter un câble.


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