Le Royaume-Uni ne fait officiellement plus partie de l’Union européenne. Mais une nouvelle phase de transition, pour tenter de trouver un accord commercial, s’est ouverte selon un premier « deal » conclu entre les deux partenaires. Pour l’instant, rien ne change pour les entreprises françaises. Les règles communautaires continuent de s’appliquer. Jusqu’au 31 décembre 2020, voire pour un an ou deux supplémentaires, comme le prévoit l’accord de transition, si Boris Johnson demande, d’ici le 1er juillet 2020, de prolonger cette phase de transition. Pour l’instant, le chef du gouvernement britannique refuse catégoriquement cette option, affirmant ne pas voir d’inconvénient à un Brexit dur. Bluff ou pas ? Difficile à pronostiquer. Boris Johnson avait déjà brusquement adouci son discours fin 2019 au moment de négocier la sortie de l’UE malgré le ton tranchant qu’il avait adopté quelques jours plus tôt. Les négociations, qui vont rouvrir le 1er mars, s’annoncent tendues.
« Un quotidien trop chargé »
Dans ce contexte pour le moins incertain, les entreprises ont du mal à se projeter. Selon une enquête, réalisée en décembre 2019, auprès de 1770 entreprises, par TMF Group, les entreprises françaises présentes à l’international s’inquiètent des conséquences du Brexit mais peu ont pris des mesures pour s’en protéger. Un attentisme que l’on retrouve dans notre territoire.
Fabrice Lelouvier, directeur international à la Chambre de commerce et d’industrie Pays de la Loire, déplore le peu de présence des entreprises aux ateliers et séminaires organisés avec la douane. « Peu d’entreprises s’y intéressent. Leur quotidien est très chargé. Il ne s’agit pas de désinvolture. Ces réflexions sur la stratégie nécessitent pour l’entreprise d’être staffée en conséquence. Pour les petites structures, le responsable de l’international, c’est souvent le patron et il prend les problèmes les uns après les autres. Ce dossier les fatigue un peu. On les a mis sous tension en octobre dernier lorsque, déjà, on craignait la mise en œuvre d’un Brexit dur dès cette échéance, mais finalement il ne s’est rien passé. Difficile d’être crédible dans ces conditions… »
6e pays d’exportation
Pourtant, l’anticipation est la clé dans un tel dossier. La région Pays de la Loire compte 5000 entreprises exportatrices vers les voisins anglais, nord-irlandais, écossais ou gallois, dont près de 3000 en Loire-Atlantique. Pour le département, le Royaume-Uni représente, en 2019, 5,1% de ses exportations pour une valeur de 536 M€, soit le 6e pays d’exportation. « Nous sommes assez exposés », prévient Fabrice Lelouvier.
Pamir les secteurs les plus à risque à l’export : la pêche, le vin, l’agroalimentaire, le pétrole et les machines industrielles et agricoles. À l’importation, ce sont ceux du matériel de transport, des machines agricoles, des cosmétiques et des produits pharmaceutiques. Sur les produits agroalimentaires, le Royaume-Uni est le premier client de la région (12% du chiffre d’affaires), et en particulier pour le secteur viticole (20% du CA pour le Val de Loire) pour lequel le Royaume-Uni est le deuxième marché à l’export après les États-Unis. « Mais ils ne sont pas très inquiets car les importateurs ont fait du stock pour gérer la transition. »
« Se préparer à tous les scénarios »
Selon que le Brexit sera dur ou qu’un accord commercial sera trouvé, les conséquences seront bien différentes et nombre de questions restent en suspens. Y aura-t-il un rétablissement de la frontière commerciale ? Quel sera le niveau des taxes douanières ? Est-ce que la pêche française pourra poursuivre son activité dans les eaux britanniques ? Les informations sont à Bruxelles, les États membres n’en disposent pas. « Il y a des fuites, mais on ne peut rien construire sur ces bases », déplore encore Fabrice Lelouvier.
« Il faut se préparer à tous les scénarios », martèlent de concert la CCI Pays de la Loire, celle de Nantes St-Nazaire, la direction régionale des douanes et le Conseil régional qui travaillent ensemble à la préparation des entreprises du territoire.
Au niveau des formalités douanières d’abord. La première démarche est d’obtenir un numéro EORI pour être habilité à commercer à l’international dans un contexte de rétablissement des frontières douanières. Une formalité simple. Au dernier pointage des douanes, fin 2019, la majorité des entreprises concernées l’avaient rempli, mais 400 PME des Pays de la Loire n’étaient pas à jour. « Certaines entreprises n’ont jamais eu à faire de déclaration d’importation ou d’exportation car elles ne commercent qu’avec le Royaume-Uni, elles n’ont donc pas l’habitude. Nous les appelons les primo-exportateurs et nous avons du mal à les atteindre » explique Michel Marin, directeur régional des douanes.
La question des réglementations sanitaires « sera secteur par secteur et pour l’instant c’est le grand flou », souligne Fabrice Lelouvier. Il convient là aussi de bien vérifier le niveau d’impact sur son entreprise. Michel Marin explique que, « par exemple, des jouets achetés par une entreprise au Royaume-Uni ne seront pas, demain, considérés comme étant aux normes de l’UE ».
Les flux de transport sont un autre sujet d’importance. « Pour les industries qui travaillent à flux tendus, il y a un risque ; certaines stockent des volumes de composants pour passer la période de KO » explique Fabrice Lelouvier. D’ailleurs la douane travaille pour éviter un congestionnement du trafic à la frontière : c’est le dispositif Frontière intelligente. (lire l’encadré ci-contre).
Des aides financières de la Région
L’impact économique concerne surtout les entreprises qui importent des sous-composants d’outre-Manche. Notamment Airbus dont l’écosystème est composé de nombreuses PME qui subiront les conséquences du Brexit, mais « ces entreprises prévoient des difficultés d’approvisionnement et stockent déjà depuis plusieurs mois des composants pour parer au pire », selon la CCI Pays de la Loire.
Enfin, parmi les enjeux essentiels mais qui n’est pas toujours perçu comme tel par les entrepreneurs, on observe celui de la propriété intellectuelle. Les marques de l’Union européenne (MUE) devraient voir leur reconnaissance changer au Royaume-Uni ; ce qui pourrait modifier la protection de ces brevets et les droits qui leur sont liés.
Pour accompagner les entreprises dans leurs démarches, le Conseil régional propose des aides financières, notamment en cas de dépenses d’adaptation aux formalités douanières, pour faire appel à un expert externe sur la propriété intellectuelle ou le dédouanement…
« Des entreprises vont souffrir, analyse Fabrice Lelouvier. Certaines parce qu’elles ont mis tous leurs œufs dans le même panier et n’avaient pas prévu une réorganisation de leur secteur au Royaume-Uni ; d’autres parce qu’elles vont croire que leur chaîne d’approvisionnement est sûre mais cela ne sera finalement pas le cas. D’autres, au contraire, vont tirer leur épingle du jeu et chasser des talents qui voudraient venir chez nous… »
Pour contrecarrer d’éventuels impacts négatifs sur l’économie ligérienne, Paul Jeanneteau, vice-président du Conseil régional des Pays de la Loire en charge des entreprises et du développement international rappelle les missions de prospection organisées pour séduire des investisseurs. « Nous allons y retourner au second semestre pour approcher des entreprises britanniques ou étrangères tentées de délocaliser vers la France. On espère qu’elles choisiront notre territoire », explique-t-il.
Autres leviers d’action du Conseil régional : un soutien apporté au Grand port maritime de Nantes Saint-Nazaire, notamment dans son projet de développer de nouvelles liaisons vers l’Irlande ; un travail pour attirer les talents sur le territoire ou encore tenter de capter les replis de capitaux destinés au Royaume-Uni vers des investissements à destination des entreprises régionales via International Companies Solutions.
« Aujourd’hui, nous n’avons pas d’inquiétudes majeures, mais nous gardons une vigilance. Des choses se mettent en place, il ne faut pas baisser la garde », analyse Paul Jeanneteau. Si les actions de communication sur le sujet sont ralenties pour le premier semestre, la CCI prévoit de les relancer à l’automne avec l’International Week du 22 au 25 septembre. La direction régionale des douanes incite les entreprises à contacter sa cellule de conseil aux entreprises pendant cette période de transition.
Le plan de bataille des douanes
« Le sujet est au cœur de nos préoccupations depuis le dernier trimestre 2018 », rappelle Michel Marin, directeur régional des douanes Pays de la Loire. Sur le plan national, le dispositif Frontière intelligente a été mis au point pour fluidifier le trafic au maximum avec un rétablissement de la frontière, « même si, forcément, cela ne sera pas comme avant ». Le dispositif consiste dans l’anticipation des formalités de déclarations douanières avec un système entièrement automatisé : la déclaration douanière sera dotée d’un code-barres que le transporteur devra détenir afin de lier la plaque d’immatriculation du camion avec sa ou ses déclarations douanières à son arrivée au port. Avec comme objectif de réduire le plus possible le temps d’arrêt du poids-lourd à l’arrivée, la déclaration étant identifiée et traitée pendant le trajet. Le transporteur pourra repérer sur des écrans à bord des navettes ou à la sortie du ferry dans quelle file il devra se mettre, c’est-à-dire s’il devra passer un contrôle physique ou pas. Parmi les mesures prises dans le département, une borne supplémentaire PABLO, pour les détaxes sur certains produits, a été installée à l’aéroport Nantes Atlantique. Par ailleurs, 22 effectifs douaniers supplémentaires ont été affectés pour la zone Bretagne Pays de la Loire pour le dédouanement et la surveillance sur les points de frontières : à l’aéroport Nantes Atlantique, à Angers, à Nantes, à Roscoff et Saint-Malo.