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Pénuries de matières premières : Quels impacts en Loire-Atlantique ?

Construction, électronique, métallurgie… Les professionnels de plusieurs filières alertent sur des flambées de prix importantes pour nombre de matériaux. Qui se transforment pour certains en pénurie. Quelle est la situation en Loire-Atlantique ? Éléments de réponse.

Logistics Transportation

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La question de la flambée des prix des matières premières est macroéconomique. « Impossible d’y échapper, commente Chiara Danieli, vice-présidente de la CCI Nantes St-Nazaire et directrice générale de la Fonderie Bouhyer. Le phénomène a commencé fin 2020, cela s’accentue et concerne tous les matériaux. » Caoutchouc, Terres rares, verre… Jusqu’à 150% de hausse de prix pour l’éthylène au dernier trimestre, +35% pour le brent, pétrole brut utilisé comme standard dans la fixation des prix… La liste est très longue. En cause, de nombreux facteurs explique Chiara Danieli : « Notamment, une difficulté logistique grandissante avec des flux de containers perturbés. Certains ont été coincés aux États-Unis, ce qui a causé une explosion des coûts de transport. La forte reprise de la Chine, aussi, couplée à de la spéculation sur les métaux, les produits pétroliers… »

Pour l’UIMM 44, « il est trop tôt pour dresser des conclusions », indique son président Alain Allaire. « On constate des retards de livraison et des prix qui augmentent. C’est une situation dommageable, alors que la demande est là. » Pour autant, l’UIMM 44 n’a pas eu vent de fermeture de lignes de production sur le territoire, contrairement à d’autres régions. Pour la Fonderie Bouhyer, pas d’inquiétude : « Nous sommes indexés sur le cours des achats. Nos clients acceptent les hausses de tarifs, mais ça n’est pas le cas de tout le monde », indique Chiara Danieli.

UNE VISIBILITÉ TRÈS RÉDUITE

Patrice Berthe, dirigeant associé d’ABC Pliage, spécialiste dans la fabrication d’urgence de pièces principalement pour le bâtiment, évoque « une pénurie sur certaines références en termes de couleur ou de matière ». Résultat, des délais de livraison allongés, de trois à quatre semaines. Le dirigeant est inquiet sur l’évolution des prix de l’acier galvanisé (+30 à 40% depuis janvier déjà) ou encore de l’inox (+20%). « Là où j’avais une visibilité des tarifs au trimestre sur le prix d’achat des fournisseurs, aujourd’hui, personne ne s’engage à plus de quinze jours… Pour l’aluminium, je ne sais pas combien je vais acheter au mois de mai donc j’ai des difficultés à m’engager auprès des clients… » ABC Pliage répercute quasi à l’instantanée ces hausses de prix : « Tout le monde fait pareil, les clients n’ont pas le choix et je n’aimerais pas être à leur place. » La société dispose encore de stocks mais « cela devient compliqué sur certaines références. On prévient les clients des retards. Soit ils choisissent d’attendre, soit ils s’adaptent et changent de matière pour être livrés dans les temps. » Pour l’instant, la production fonctionne en rythme classique mais Patrice Berthe craint des arrêts.

Dans le bâtiment, effectivement, l’heure est à l’inquiétude. Mais surtout sur le bois. La taxe sur le bois canadien décidée par l’ancien président Donald Trump a conduit les entreprises américaines à se fournir sur le marché européen. « Cela crée des tensions, d’autant qu’en général ils achètent à prix fort, tout comme les Chinois, indique Luc Depré de la CMA Pays de la Loire. Donc nos scieries leur vendent en premier… » Et on a par ailleurs « une forte demande des particuliers en aménagement intérieur. Sauf que les scieries européennes, même si elles fonctionnent à plein régime, n’ont pas rattrapé le retard pris pendant les confinements », explique Luc Depré. Ainsi, les délais des menuiseries sont passés de 3-4 semaines à 12… « On ne trouve plus de bois de charpente pour les maisons individuelles, insiste Jean-Marc Pernot, président de la Capeb 44. Si on ne peut pas construire la charpente, on ne peut pas faire la toiture… Donc le chantier n’est pas hors d’eau et toute la chaîne des métiers est impactée. » D’autres matériaux sont pénuriques, ardoise, carrelage… Et les hausses de prix parfois importantes : « De 1% à 25% d’augmentation. 25%, c’est ingérable, on ne peut pas la répercuter. Les métalliers nous signalent des hausses énormes. Les fournisseurs ne veulent plus s’engager, ni sur les prix ni sur les délais », se désole Jean-Marc Pernot. Autre conséquence : le délai de validité des devis est passé à seulement quinze jours. « Impossible à tenir pour les marchés publics… » La Capeb 44 a adressé un courrier au Préfet cette semaine pour alerter de la situation. Car le syndicat patronal est régulièrement saisi par ses adhérents qui redoutent de devoir placer des salariés en chômage partiel alors que les carnets de commande sont pleins.

FERMETURE DE LIGNE

Sur un tout autre secteur, le dirigeant de 4Mod Technology, spécialiste des télécommandes et objets connectés, Laurent Stephan évoque, lui, la pénurie de semi-conducteurs. En partie liée à une explosion de la demande en matériel informatique à cause du télétravail. « Des entreprises comme Apple ou Samsung réservent des capacités de fonderie. Donc, si TSMC (le plus gros fondeur de silicium, basé à Taïwan, NDLR), passe de 40 à 60% de matières réservées à ces géants, cela créé un bouchon chez les autres… Aujourd’hui, on a des délais de livraison de fournisseurs qui dépassent les 50 semaines ! Or, dans l’intégration électronique, s’il manque un composant, c’est tout le système qui est bloqué. » Ainsi, 4Mod Technology a réduit le nombre de lignes de production de son usine en Tunisie pour les objets connectés (40% du CA), avec seulement 40% d’activité en février et mars. Autre phénomène : l’augmentation des tarifs affecte la rentabilité. « On ne peut pas toujours répercuter les hausses. Avec les USA, on a des contrats-cadre sur trois ans qu’on ne peut pas modifier. » D’autant que, pour pouvoir s’approvisionner, 4Mod Technology travaille parfois avec des brokers, des entités qui achètent à l’avance des stocks dont personne ne veut pour les revendre à prix d’or lors d’une pénurie. Ainsi, un régulateur de tension, qui coûte initialement 0,44 $, est aujourd’hui revendu à 5,8 $ par un broker américain. « Cela nécessite un accord avec les donneurs d’ordre et engendre un temps de latence incompatible avec la production industrielle. »

La CCI Nantes St-Nazaire estime, à l’instar du gouvernement, qu’il est crucial d’investir dans les filières de recyclage pour éviter les pénuries et maîtriser les prix. Le 14 avril, après une réunion avec les représentants des principales filières affectées, la ministre déléguée à l’Industrie, Agnès Pannier-Runacher, a indiqué que la crise allait durer et qu’un déblocage n’interviendrait pas avant le second semestre 2021.

VERS UN INDEX OFFICIEL EN LOIRE-ATLANTIQUE ?

La CCI Nantes St-Nazaire planche sur un projet d’indices « plus neutres et officiels, sur le modèle de ce qui existe dans les CCI italiennes », explique Chiara Danieli. « Cela permet de réduire la spéculation car il y a plus de transparence sur les prix d’achats. Cela prendra du temps à voir le jour, c’est certain, mais nous sommes très investis sur le sujet. Il est urgent d’avoir un système d’index fiable. » Il s’agirait pour la CCI de récolter les informations des prix des matières premières achetées pour obtenir un prix moyen, qui servirait de référentiel accessible à tous.

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