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ENTRETIEN – Ulric Le Grand, cofondateur de Gens de Confiance : « Mettre la tech au service du bien commun »

Créée à Nantes en 2014 sur le principe de la cooptation, la plateforme de petites annonces Gens de Confiance (70 salariés, CA non communiqué) ne cesse de grandir. Sa communauté vient de passer le cap du 1,6 million de membres, malgré le fait qu’il soit indispensable d’être parrainé par trois membres pour y rentrer. Un gage de sécurité et de fiabilité qui permet à la start-up nantaise de se démarquer des sites concurrents et de nourrir de grandes ambitions. Le point avec Ulric Le Grand, cofondateur.

Ulric Le Grand, Gens de Confiance

Ulric Le Grand, cofondateur de Gens de Confiance. © Benjamin Lachenal

 Qui est à l’origine du site Gens de Confiance ?

Nous sommes trois cofondateurs : Nicolas Davoust (président), Enguerrand Léger (responsable de la team Bonheur) et moi (CEO). Nous avons lancé le site en juin 2014 à Nantes. À l’époque, on avait déjà un niveau de maturité assez élevé grâce à nos expériences entrepreneuriales respectives : Nicolas avait créé une boîte qui s’appelait les Parrains, Enguerrand une agence de développement web, et moi Zenbus, une société de développement de logiciels. Nous étions voisins de bureau avec Nicolas au sein de l’incubateur de Telecom Paris (ex-Telecom Paris Tech). Étant originaire de Nantes, j’ai souhaité y revenir pour développer l’activité de Zenbus. Deux ans après, Nicolas a lui aussi déménagé à Nantes et on s’est recroisés par hasard. On a discuté de nos projets entrepreneuriaux et Nicolas a évoqué son envie de créer un site de petites annonces. Je lui ai demandé comment il ferait et c’est comme ça que l’aventure a démarré. On ne s’est jamais arrêtés de travailler sur le projet depuis.

Enguerrand cherchait du travail à ce moment-là. Il était partant pour essayer de changer la donne sur les sites de petites annonces avec nous. Même si on ne se connaissait pas, on a très vite trouvé le bon niveau d’échange pour bien travailler ensemble, mais aussi sur le plan humain. On peut même parler de rencontre providentielle dans le sens où elle a donné lieu à une grande amitié entre nous.

Quel a été votre parcours avant le lancement du site ?

J’ai toujours eu la fibre entrepreneuriale. Après un bac C (spé maths), j’ai créé dès mes 20 ans une entreprise de livraison de petits-déjeuners à domicile sur la côte à La Baule. J’ai fait ça durant une saison alors que j’étais étudiant et ça a très bien fonctionné. J’ai poursuivi mes études en école de commerce à Strasbourg et Édimbourg. J’ai ensuite travaillé dans la banque et la finance durant une dizaine d’années, avant de créer ma première start-up Zenbus, en 2011. Une société développée en parallèle à Nantes et Paris et qui emploie aujourd’hui une vingtaine de personnes. J’y ai toujours un pied en tant qu’actionnaire ainsi qu’au conseil d’administration.

Quel constat vous a poussés à créer Gens de Confiance ?

Un constat assez simple : tous les sites de petites annonces qui existaient ne traquaient pas les arnaques ni les malveillances, pourtant courantes. Les différents acteurs du secteur considéraient que cet aspect ne les concernait pas. Quand nous avons créé Gens de Confiance, nous avons pris le contrepied et décidé que notre plateforme serait responsable de la belle ou mauvaise expérience qu’elle offrirait à ses utilisateurs lorsqu’elle mettrait deux membres en relation. Un des moyens de créer de la confiance était de proposer un site où l’inscription se fait sur recommandation.

Quelle est la vocation de Gens de Confiance ?

C’est de mettre la tech au service du bien commun. On croit en l’Homme et à la solidarité. On écrit de belles histoires, basées sur des relations de confiance, qui permettent de générer des rencontres et du lien social. Ça permet d’expérimenter l’économie circulaire du bien commun et bâtir un monde plus durable et solidaire. On veut pousser dans cette direction en s’appuyant sur un climat social sain. C’est vraiment ça notre mission.

Gens de Confiance équipe réunion

© DR

Quels genres d’annonces peut-on y trouver ?

Il s’agit d’un site de petites annonces généraliste, où l’on trouve de tout. Elles sont réparties en une quinzaine de catégories : immobilier, location de vacances, services à la personne, emploi, automobile, dons, mobilier, animaux… De nouvelles catégories sont régulièrement ajoutées. À l’image de celle créée il y a quelques mois pour les locations de véhicules de collection et qui cartonne depuis.

Globalement, sur le site, ce sont les locations immobilières et les locations de vacances qui génèrent le plus de transactions. On a aussi tout ce qui concerne la maison, et notamment les meubles, qui fonctionnent très bien. Il y a enfin tout ce qui touche à l’emploi, puisque cela représente 10 % de nos annonces. Les antiquaires font également pas mal de business sur notre site.

Comment se passe l’inscription ?

Pour s’inscrire, il faut impérativement trois parrains. Pour aider les utilisateurs à les trouver, on leur propose de connecter leur compte à leur carnet d’adresses téléphonique, mais également leurs contacts Facebook ou de messagerie électronique. Ça leur indique qui est déjà membre de la communauté et peut potentiellement les parrainer. Si, malgré cela, l’utilisateur ne trouve pas de parrain, il existe aussi un annuaire en ligne pour retrouver les personnes que l’on connaît mais dont on n’a plus le contact. Aujourd’hui, avec une communauté d’1,6 million de membres, la majorité des nouveaux utilisateurs réussissent à s’inscrire en moins d’une semaine.

En quoi le parrainage vous permet-il de vous démarquer des autres sites de petites annonces ?

Le fait de se porter garant pour quelqu’un crée un lien très fort entre le parrain et son filleul. C’est ce qu’on a apporté au marché de différent. C’est vieux comme le monde la cooptation. Notre innovation, c’est de l’avoir déployée au sein d’un modèle web.

Ça présente le double avantage de créer de la confiance mais aussi d’être viral. Non seulement ça protège la communauté en empêchant les arnaqueurs d’entrer dans la communauté mais ça crée également un cadre de bienveillance, où les membres vont systématiquement se prévenir s’ils ne peuvent pas honorer un rendez-vous. Notre thèse, c’est que si on a un cadre qui nous pousse à faire attention à nos engagements et à respecter les autres membres, on tire toute la communauté vers le haut.

Est-ce que ce sentiment de sécurité fait renoncer les utilisateurs aux autres plateformes de vente entre particuliers ?

C’est difficile à établir. Ce qu’on sait en revanche, c’est qu’on a 70 % de nos annonces qui sont exclusives. Comme ce sont des annonces qu’on ne trouve pas ailleurs, les gens sont obligés de s’inscrire sur le site pour y avoir accès. C’est un vrai aspirateur à nouveaux utilisateurs. On suppose de ce fait que nos utilisateurs se tournent moins vers les autres plateformes, ou seulement dans un deuxième temps. Par exemple, pour l’immobilier, on constate que les membres publient leurs annonces pendant plusieurs semaines d’abord sur notre site pour voir comment réagit le marché. Si c’est au bon prix, ça part. Si ça ne l’est pas, ils vont se tourner vers d’autres plateformes.

Comment a démarré l’activité ?

Comme il s’agissait pour nous d’un « side project », c’est-à-dire un projet lancé en parallèle d’une activité principale, on ne s’est jamais mis la pression et ça nous a plutôt bien réussi. On n’a pas cherché à gagner de l’argent dès le départ, ce qui nous a permis de prendre les bonnes décisions sur le long terme. D’ailleurs pendant les deux premières années, on n’avait aucun business model. On faisait uniquement ça pour rendre service et écrire de belles histoires. Le site est resté intégralement gratuit durant les 24 premiers mois.

Après, l’activité a démarré fort puisqu’on a atteint en quelques semaines 2 000 membres. Le produit a fonctionné par capillarité : les utilisateurs qui s’y inscrivaient parrainaient leur famille, amis, voisins, collègues, qui en ont fait de même… Quand on a vu les gens s’inviter et déposer des annonces, on a compris qu’on tenait un bon concept. Et le bouche à oreille a si bien fonctionné que nous avons lancé le site sans aucun budget marketing.

Quel a été votre premier modèle économique ?

Au bout de deux ans, on a commencé par s’appuyer sur les dons des utilisateurs satisfaits de leur expérience sur le site. Dès le premier mois, nous avons ainsi reçu 7 000 €. C’était incroyable car, au-delà de l’aspect financier, on recevait aussi de nombreux messages d’utilisateurs reconnaissants. Ils nous remerciaient de les avoir aidés à trouver quelqu’un pour s’occuper de leurs parents, une baby-sitter ou de leur avoir permis de louer leur résidence secondaire.
La troisième année, on a commencé à monétiser certaines options, comme les autres sites de petites annonces : l’ajout de photos supplémentaires, le fait de pouvoir les faire remonter en tête de liste ou encore pour déposer une annonce de location de vacances… Aujourd’hui, nous sommes désormais 70 à travailler pour le site et avons besoin de trouver un équilibre financier, qui s’appuie désormais sur plusieurs modèles économiques.

Vous pouvez préciser ?

On a essayé plein de choses. Par exemple dans la location immobilière classique : quand on a rendu le dépôt d’annonce payant pour les propriétaires, il y a eu du jour au lendemain nettement moins d’offres publiées. Comme le marché était en tension côté locataires et pas propriétaires, on a changé notre fusil d’épaule. C’est redevenu gratuit pour les propriétaires et ce sont désormais les locataires qui peuvent choisir de payer pour avoir accès aux annonces 72 heures avant les autres.
Actuellement, nos principaux revenus sont tirés des locations de vacances et des transactions immobilières, avec notamment l’offre réservée aux agents immobiliers et mandataires. On a aussi tout ce qui tourne autour des options payantes. Un quatrième modèle a été créé autour de l’éditorialisation avec des partenaires. C’est une forme de publicité éditorialisée. Concrètement, on propose à des partenaires de les mettre en avant dans notre newsletter ou sur le site. Derrière, il y a un vrai travail de co-branding pour afficher le partenaire. On refuse d’afficher de la publicité brute, il faut que ça matche avec nos standards et ça amène de la valeur ajoutée au sein de la communauté.

Vous avez la particularité de continuer à recevoir des dons de la part de vos membres. Vous l’expliquez comment ?

80 % du site reste gratuit. Certains des utilisateurs qui bénéficient gratuitement de nos services sont donc enclins à nous aider financièrement quand ils sont satisfaits du service rendu. Le montant moyen du don est de 20 €. Aujourd’hui, les dons sont stables depuis 2021 et représentent 10 % de notre chiffre d’affaires. On reste très attentifs à cette ligne dans notre bilan, même si en volume, c’est notre plus petit modèle économique. Car c’est un très bon baromètre de la satisfaction client qui nous permet de prendre le pouls au sein de la communauté.

Comment ça se passe si un membre n’est pas satisfait de son expérience ?

Il le signale via l’appli mobile ou sur notre site web. C’est la team Bonheur, basée à Nantes, qui va étudier le litige et faire de la médiation gratuitement. Après avoir déterminé d’où vient le problème, elle va répondre à l’utilisateur par mail ou téléphone. Neuf fois sur dix, on trouve des solutions très rapidement. Mais quand un membre ne respecte pas ses engagements (baby-sitting non honoré, loyer non payé…), on contacte ses parrains pour voir s’ils sont en mesure de raisonner le fautif. Là encore, ça permet de résoudre 90 % des problèmes. En revanche, si ça n’est pas le cas, le membre est renvoyé. Normalement, ses parrains sont également exclus, sauf s’ils sont intervenus pour tenter de résoudre le problème. En 2022, on a ainsi fermé seulement 91 comptes. Cela reste une procédure exceptionnelle, mais il faut le faire pour préserver la confiance et la sécurité sur notre site.

Que répondez-vous à ceux qui considèrent votre site comme une version élitiste ou BCBG du Boncoin ?

Que c’est faux. Oui, on demande à nos membres d’être solidaires, polis et bienveillants, mais ça ne veut pas dire pour autant BCBG. Avec 1,6 million de membres, on touche désormais toutes les catégories socio-professionnelles. Géographiquement, nos membres sont répartis dans toute la France, avec quand même une forte représentation dans les grandes métropoles françaises. Et nous constatons également que notre site est de plus en plus utilisé par des expatriés français. Aujourd’hui, il y a tout le monde sur Gens de Confiance et c’est une fierté.

Depuis quand êtes-vous rentable ?

On est à l’équilibre économique depuis septembre 2022. C’est tout nouveau. On a levé 500 k€ avec un premier tour de table en janvier 2016 auprès du fonds d’investissement Partech et de Bpifrance. Cela nous a permis de commencer à constituer une équipe et prendre des locaux. On a réalisé un deuxième tour de table en novembre 2019, avec 3 M€ levés auprès du fonds d’investissement ISAI mais également de Partech. Ça nous a permis de structurer l’entreprise et d’investir plus que ce qu’on gagnait. C’est grâce à ça qu’on a réussi à se développer jusqu’ici.
Aujourd’hui, toute la question est de savoir si on continue le chemin juste en s’appuyant sur notre rentabilité et nos fonds propres, ou si au contraire on va à nouveau chercher des fonds pour accélérer notre développement.

« L’application mobile et le site web doivent continuer d’être améliorés pour apporter plus d’émotion, de rapidité, de fluidité et de simplicité d’utilisation. »

Comment comptez-vous continuer à développer votre communauté ?

Ça se fait encore naturellement, toujours quasiment sans budget marketing, grâce au bouche à oreille. Aujourd’hui, près de 80 % de notre acquisition se fait grâce à lui. Pour nous, c’est une grande satisfaction de voir que la recommandation reste notre plus grand canal d’acquisition. On est convaincus qu’il reste encore du potentiel et qu’on peut être beaucoup plus nombreux au sein de la communauté tout en maintenant le niveau de confiance à grande échelle. L’un des autres axes de développement, c’est de travailler également sur la notoriété de la marque pour être reconnu comme un acteur à part entière de la petite annonce en France.

Est-ce que vous avez des objectifs chiffrés de développement ?

Oui, on se fixe des objectifs annuels. Cette année par exemple, on souhaite continuer à doubler notre chiffre d’affaires. En revanche, on ne cherche pas à augmenter considérablement notre équipe. L’idée n’est pas d’embaucher 100 personnes supplémentaires dans l’année, mais plutôt de recruter les bons profils, qui répondent exactement à nos besoins. Notre mission, c’est aussi de mesurer l’impact des différents services rendus sur la plateforme, y compris les tonnes de CO2 économisées grâce aux transactions réalisées sur le site. Ce sera un nouveau moyen de promouvoir notre plateforme en 2023.

Quel est le plus gros challenge que l’entreprise devra relever pour continuer à grandir ? 

C’est avant tout en améliorant l’expérience utilisateur. Aujourd’hui, on sait que notre proposition de valeur est bonne parce que les utilisateurs vont rencontrer grâce à notre site des personnes avec qui ça va bien se passer et profiter d’une bonne expérience. Mais l’outil sur lequel on s’appuie pour mettre deux particuliers en contact, l’application mobile ou le site web, doit continuer d’être amélioré pour apporter plus d’émotion, de rapidité, de fluidité et de simplicité d’utilisation. Cela passe par la mise en place des bons filtres de recherche, une messagerie en temps réel ultra performante… Bref, on veut offrir une expérience utilisateur sans couture, simplifiée à outrance, s’appuyant sur le principe du “less is more“.

Gens de Confiance équipe

© DR

Envisagez-vous de dupliquer votre modèle dans d’autres secteurs ?

Cela fait partie des idées de business model que l’on a testés, notamment avec Direct Energie il y a quelques années. On avait réalisé un achat groupé, où nos membres bénéficiaient de 15 % de réduction sur les tarifs de l’électricité. On avait ainsi ouvert plus de 2 000 contrats d’un coup.

Ce sont des projets qui pourraient potentiellement voir le jour dans la banque, l’assurance, la santé ou l’éducation. Si on a une très belle offre avec un partenaire sérieux, je suis convaincu qu’on pourra faire bouger les lignes sur certaines industries. En revanche, ce sont des choses qui se feront sur le long terme. Pour l’instant, la priorité est de continuer à faire grandir la communauté. Mais une fois qu’on sera cinq millions, ce sont des sujets sur lesquels on se penchera forcément.

Selon vous, quelle place aura la vente entre particuliers dans la société de demain ?

C’est un marché qui est encore tout petit et qui est amené à se développer. Pour l’instant, il est immature. Mais il va grandir et se consolider. D’ailleurs, on le voit aujourd’hui : il y a énormément de marques dans la mode qui se mettent à promouvoir leur rayon de seconde main pour rester dans cette chaîne de valeur. L’objectif, c’est de mieux utiliser les ressources dont on dispose car elles sont limitées. Nous, on veut incarner l’entreprise qui permet de faire ça en toute sérénité et en toute confiance. Et face aux enjeux climatiques auxquels fait face notre société, on est convaincus qu’on peut apporter notre modeste contribution à la transition environnementale et sociétale.

Gens de Confiance en chiffres :

  • 500 000 utilisateurs actifs chaque mois
  • Une communauté d’1,6 million de membres
  • 100 000 annonces en ligne, dont 70 % d’annonces exclusives
  • 15 000 annonces de location de vacances
  • 11 000 profils professionnels enregistrés
  • 70 collaborateurs
  • 600 m2 de bureaux à Nantes