En fait, votre parcours est digne d’une pièce de théâtre ?
Tout est vrai, c’est un récit où Tartarin raconte la triste vie de son copain de jeunesse Chotard qu’il a connu en 1968, puis après au barreau. C’est totalement autobiographique, à la fois des mémoires et un testament, entre roman et théâtre. Chotard va se faire juger, c’est l’occasion de se rappeler d’anciennes affaires. Je suis sans doute le seul avocat du barreau de Nantes à avoir connu les geôles, à vingt-deux ans, à l’occasion des événements de 1968. J’ai bénéficié à l’époque des lois d’amnistie généreuses qui les ont couverts. C’était avant d’être avocat !
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Comment êtes-vous devenu avocat ?
Cela m’est venu un peu tard. Dans ma jeunesse, je travaillais dans le tourisme en Bulgarie, j’avais une vie heureuse et libre. Un avocat m’avait pris en stop quand je revenais de Paris, j’étais en première ou terminale. La voiture est un espace-temps de confidence. Le conducteur était un avocat qui allait plaider un dossier en Bretagne. Il m’a dit : « Attention, c’est à trente ans que l’on devient un raté… » Bien plus tard, dans mon exil bulgare d’agent de voyages, près de la mer Noire, je pensais toujours à cette discussion.
J’avais fait des études soixante-huitardes de droit public. En 1968, j’étais passé à la révolution permanente. Je n’ai pas une heure de cours à me reprocher, même pour lire le journal. À l’époque, les étudiants salariés étaient hyperprotégés, on m’a quasiment donné les troisième et quatrième années de droit. La deuxième année, en 68, l’examen était constitué de seulement deux épreuves avec documents. C’est dire s’il était donné.
Dix ans après, à vingt-neuf ans, j’ai passé le CAPA, j’ai été reçu premier. Cela m’a ouvert pas mal de portes… qui se refermaient le soir même, quand ma participation à 68 était apprise. J’ai quand même trouvé un stage chez Michel Taupier qui venait de se lancer et qui ne me payait pas.
Vous ne regrettez pas ce choix de devenir avocat ?
C’est un métier qui m’allait très bien. Je n’avais ni chef, ni subordonnés. Une liberté où l’on choisit son style et ses clients. On gagne sa vie en étant ni exploiteur, ni exploité. Ça m’allait bien dans la suite de ma folle jeunesse. Je me suis orienté tout de suite vers le pénal, c’est pour cela que je voulais être avocat, défendre la veuve et l’orphelin. Ce qui demeure le plus précieux dans l’expérience de mon métier, c’est la large porte qu’il m’a ouverte, tous les jours, sur la vie des humains. C’est paradoxal, mais on ne voit et n’apprécie jamais mieux les trésors et les subtilités de la nature humaine que dans les marges de la société, à l’occasion des accidents qui intéressent forcément la Justice. Les gens sans histoire, ne connaissent pas les juges et les juges ne les connaissent pas.
Il y avait aussi des meurtriers !
Au chapitre où l’on parle du juge Dubigeon, il y a deux dossiers qui m’ont véritablement dépucelé comme avocat. J’étais un peu comme Zorro, j’arrivais avec mes idées. Mais j’ai vite réalisé que les gens faisaient leur boulot et que le crime est quand même le crime. Ce juge était honnête, il m’a sauvé un dossier contre sa vision idéologique des choses. Il était laborieux mais arrivait à une efficacité. Il prenait le temps de l’instruction.
En 44 ans de carrière d’avocat, on en voit passer. Votre rôle est de défendre les gens ?
On n’a pas le droit de laisser condamner un innocent. J’espère que cela ne m’est pas arrivé. Il y a plus d’erreurs judiciaires dans les acquittements que dans les condamnations. Le doute doit profiter à l’accusé et la justice pratique cette règle, qui n’était pas celle des pharaons qui pratiquaient eux la présomption de culpabilité. Je raconte cela dès le premier chapitre avec un acquittement tout à fait discutable. Chaque affaire est différente.
Avez-vous manqué à vos promesses de jeunesse ?
Je n’ai pas suivi le schéma que j’avais en tête jeune. Je joue sur deux tableaux, il y a les engagements que j’ai pris de changer le monde et la société jusqu’en 1968. C’est une foi dans la nature humaine et le jeu positif de la liberté. C’était cela nos convictions. On est bien obligé, surtout quand on est avocat pénaliste, d’être un peu plus sage. Il y en a qui ne se sont pas rangés, qui sont morts de cela. Ceux qui ont voulu conserver leurs convictions n’ont pas trouvé de places après. Cette idée de trahison s’impose comme une évidence. Mais j’ai un moyen de défense sur ce terrain-là, j’avais pris d’autres engagements avant que je n’avais pas tenus, comme en allant au petit séminaire. Dans ce roman, je dis que c’est l’expérience d’avocat pénaliste qui amène à changer.
Dans un des premiers chapitres, je raconte une histoire épouvantable et vraie. Il y a toujours un moment clé : là, c’est celui où j’ai viré ma cuti, où le jeune révolutionnaire que j’étais, qui ne voulait pas s’occuper du droit autrement que pour le combattre, mène un cheminement grâce à cette expérience.
Vous dites qu’un bon procès, c’est celui où tout a été loyalement pris en compte, qui permet de tourner la page. Peut-on faire table rase de ce qui s’est passé ?
Ce que l’on peut faire, c’est tirer au clair et comprendre. Quand on accepte un dossier, si à la fin du procès on a tout approfondi, tout a été compris : tout le monde est soulagé. Chacun peut s’en satisfaire. La victime souhaite une peine lourde et l’accusé ne pas être trop accablé. Mais sur le plan moral et existentiel, si tout a été dit, si on arrive à exprimer tout ce que l’accusé veut dire, les choses qu’il n’arrive pas à exprimer clairement, cela amène un apaisement. De même du côté des victimes, si l’on dit tout et à quel point elle est victime. C’est la vérité qui conjure mieux le désordre.
Vous abordez aussi la reconnaissance du rôle de Nantes dans la traite, avec les Anneaux de la Mémoire dont vous avez été président et la première exposition consacrée au sujet ?
Jean-Marc Ayrault m’accepte sur sa liste en 1989, plutôt à cause de mes bonnes relations avec les syndicats en souvenir de 68, mais sans rejeter mon programme. J’étais simple conseiller municipal au départ avec une modeste délégation au tourisme. C’est à ce titre que j’ai pu proposer l’exposition des « Anneaux de la Mémoire », à l’occasion des cinq cents ans de l’arrivée de Christophe Colomb en Amérique. Des dizaines d’historiens, artistes, militants, étaient mobilisés. Ils ont travaillé comme des forcenés, beaucoup d’Antillais, d’Africains avec nous. L’ensemble a permis à Nantes de sortir de sa torpeur, quelque peu sudiste, comme on pouvait le lui reprocher. L’ancien port négrier devenait l’avant-poste du travail de mémoire sur un sujet difficile. Ainsi rassuré, Ayrault voulut s’approprier le succès. On aurait pu transformer l’essai et créer, dans la foulée de l’exposition, le musée européen qui manque encore. On avait trente ans d’avance. À la place, on a eu droit aux « Anneaux de Buren » sur le quai des Antilles, ainsi qu’à un Mémorial de l’abolition de l’esclavage, comme si les négociants nantais n’avaient pas lutté à mort contre cette abolition.
C’est pour cela que je ne pouvais lui pardonner. Il m’a viré pour pouvoir faire son mémorial et ne pas faire le musée que je proposais. Il a trahi un travail important qui n’était pas que le mien. Aucun des militants des Anneaux de la mémoire ne m’a abandonné à ce moment-là, avant que je ne démissionne de la présidence.
Procès, une justice interlope
160 pages. Tome 1 : Laissez donc entrer le vieil accusé
Ed. Le Traict Libre
Disponible à librairie Coiffard à Nantes
Plus d’informations : traict.libre@orange.fr