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Stéphanie et Arnaud Cado, gérants de la Faïencerie Nistar : « Continuer de défendre le made in France »

Véritable madeleine de Proust et souvenir de vacances incontournable, l’iconique bol prénom a enchanté de nombreuses générations d’enfants depuis sa création. Contrairement aux idées reçues, ce n’est pas en Bretagne, mais bien en Vendée qu’il a vu le jour il y a près de 90 ans. Dirigeants de la Faïencerie Nistar, Stéphanie Cado et son frère Arnaud Cado, perpétuent aujourd’hui ce savoir-faire artisanal. Ils nous ont ouvert les portes de leurs ateliers à Saint-Gilles-Croix-de-Vie.

Stéphanie Cado, Arnaud Cado, Faïencerie Nistar

© Benjamin Lachenal

Quelle est l’origine de la faïencerie ?  

Arnaud Cado : L’entreprise a été fondée en 1936 (au moment de la création des congés payés, NDLR) par deux frères céramistes, Yves et Marcel Boutain. Après l’installation de leur atelier dans le centre de Saint-Gilles-Croix-de-Vie (dans l’arrière-boutique de cadeaux-souvenirs de leur grand-mère Adeline Boutain, NDLR) ils ont eu l’idée de créer un bol avec un prénom. Le tout premier bol que nous a légué la famille porte le prénom « Ninette ». Il a été fabriqué à partir d’argile rouge provenant d’un terrain familial dans le secteur de Brétignolles-sur-mer. À ce moment-là, il n’y avait pas encore d’industriels qui vendaient de la terre. L’épongé bleu et les petites oreilles sont venus plus tard, dans les années 1950. D’abord collées à la main sur le bol, les oreilles ont ensuite été intégrées directement dans le moule dans les années 1980-1990.

Comment votre famille a-t-elle été amenée à reprendre l’entreprise ?  

Stéphanie Cado : En 2002, alors qu’aucun descendant des frères Boutain ne voulait reprendre la faïencerie, nos parents ont décidé de la racheter, sans rien connaître au métier de céramiste même si notre mère, (Nelly, NDLR) qui était à l’époque propriétaire d’une boutique de souvenirs dans la rue piétonne de Saint-Gilles, vendait déjà les bols prénoms. Passionnée de belle vaisselle, elle possédait plusieurs pièces fabriquées par la faïencerie Henriot à Quimper. Notre famille est d’ailleurs originaire du Finistère. Nous sommes arrivés en Vendée, en 1981, lorsque notre papa (Claude, NDLR) qui travaillait à la BNP a été muté à La Roche-sur-Yon. Il a fait toute sa carrière à la banque et c’est notre maman qui a véritablement pris les commandes de la faïencerie, et a choisi le nom Nistar en référence à ses trois enfants, “Ni”, pour Nicolas, “St”, pour Stéphanie et “Ar” pour Arnaud. 

A.C : Nos parents ont racheté uniquement les machines, et se sont installés dans des locaux en location, route de La-Roche-sur-Yon. Ce n’est qu’en 2011, qu’ils ont acheté le terrain sur lequel nous sommes aujourd’hui, pour y construire les ateliers ainsi que la boutique. 

Que faites-vous précisément au sein de la faïencerie ? Avez-vous suivi une formation particulière ?

S.C : Arnaud et moi avons intégré l’entreprise dès la reprise. J’ai assez naturellement pris en charge la comptabilité et la relation clients aux côtés de ma maman. À l’époque j’avais 26 ans, mon frère 21 ans. Nous nous sommes formés tout seuls. Il n’y a pas vraiment eu de transition avec la famille Boutain même si le dernier propriétaire, Claude Boutain a un peu aidé mon frère à l’atelier. De mon côté, j’avais fait des études de langues, donc pas grand-chose à voir avec la faïencerie. Il a aussi fallu apprendre à gérer des salariés. Il y avait à l’époque trois peinteuses1 et un artisan qui connaissaient bien la maison puisqu’ils travaillaient ici depuis une vingtaine d’années.  

A.C : Moi je suis responsable de la fabrication des bols et du contrôle qualité des produits avant l’expédition aux clients. Au moment de la reprise de la faïencerie, j’ai laissé tomber mon BTS de comptabilité qui ne m’intéressait plus, pour partir à l’Institut national de la céramique à Sèvres, afin de suivre pendant deux ans, un CAP-BEP en production de matières céramiques.  

Pouvez-nous nous expliquer en quelques mots le processus de fabrication d’un bol ?

A.C : Le procédé n’a pas beaucoup changé au fil des années. Il faut d’abord commencer par prendre un pain de faïence et le mettre dans un moule, le sortir avant de le laisser sécher entre quinze jours et un mois selon la saison. Puis, première cuisson à 1000 degrés dans un four qui peut recevoir jusqu’à 1400 bols. Il est indispensable de retourner chaque bol un par un, durant les quatre heures de cuisson. Une fois cuit, le bol part en atelier décoration où il est peint à la main2, avant d’être émaillé puis cuit une seconde fois. Pour l’étape d’émaillage, nous avons fait faire une machine sur-mesure par une entreprise de Challans, qui nous permet d’automatiser cette étape. Dans notre métier, les gestes répétitifs peuvent entraîner des troubles musculaires tels que des tendinites. Moi-même, je porte des bracelets magnétiques qui me permettent de calmer un peu la douleur. Il y a quelques années, nous avons également investi dans des chariots élévateurs qui nous évitent de nous baisser et de porter les plaques en fibrociment sur lesquels nous posons jusqu’à 25 bols humides. Nous avions alors bénéficié d’une aide de la Sécurité sociale, dans le cadre des mesures de prévention des maladies professionnelles. Progressivement, nous avons investi pour améliorer nos conditions de travail.  

À quelles difficultés avez-vous été confrontés au tout départ ? Et qui étaient vos clients à l’époque ? 

A.C : En 2002 l’entreprise était dans un état assez catastrophique, proche de la faillite. On ne lui donnait pas plus de deux ans d’existence supplémentaires. En plus, le bol prénom était devenu “has-been”, plus personne ne voulait en entendre parler. Dans un premier temps, nous avons récupéré les clients historiques, principalement des commerçants de boutiques de cadeaux souvenirs qui, pour certains, étaient proches de la retraite.  

S.C : Il a aussi fallu aller chercher une nouvelle clientèle. Nous avons donc beaucoup communiqué, en envoyant des mails, des courriers, en passant des coups de téléphone.

A.C : Nos parents organisaient des “vacances-démarchages”. Ils partaient l’été en Bretagne, mais aussi dans le Sud pour rencontrer les commerçants. Ils sont notamment allés sur la Côte d’Azur, mais ça n’a pas fonctionné parce que là-bas, le bol prénom n’est pas connu. Nous avons en revanche des clients à Biarritz, à Rocamadour, un autre à Collioure. Ce dernier nous avait contactés juste après la diffusion durant l’été 2019 sur TF1, d’un reportage qui a d’ailleurs engendré d’importantes retombées pour nous, avec de nombreux appels de particuliers et de quelques professionnels. 

“Le Covid nous a vraiment fait prendre conscience que la boutique ne suffisait plus et qu’il fallait renforcer notre présence digitale.” – Stéphanie Cado 

Vos clients sont-ils toujours les mêmes aujourd’hui? 

S.C : Oui, mais depuis la crise sanitaire nous travaillons aussi de plus en plus avec les concepts stores en ligne gérés le plus souvent par des femmes qui commandent des bols, non pas avec des prénoms mais avec des phrases. Alors que la faïencerie était à l’arrêt au printemps 2020, nous nous sommes mis aux réseaux sociaux. Notre site internet venait tout juste d’être refait. Le Covid nous a vraiment fait prendre conscience que la boutique ne suffisait plus et qu’il fallait renforcer notre présence digitale. Aujourd’hui, les professionnels nous identifient plus facilement. Nous venons même de recevoir une commande de la part d’un Français expatrié aux États-Unis, qui a ouvert un hôtel en Californie. Quant aux particuliers, ils peuvent maintenant commander directement via notre site après avoir personnalisé entièrement leur bol, en choisissant le décor et l’inscription. 

A.C : Aujourd’hui, nous avons une deuxième saison. Nous enregistrons en effet beaucoup de commandes pour Noël grâce à notre site internet. Auparavant, la production de bols avait lieu essentiellement entre avril et septembre. L’hiver était pour nous une période creuse qui nous permettait d’anticiper.  

S.C : Depuis quelques mois, nous voyons également de plus en plus de sociétés faire appel à nous pour des cadeaux d’entreprise. Nous avons par exemple récemment fabriqué des bols pour Yoplait ou encore Mât de Misaine. Il est important pour nous de diversifier notre clientèle. Si nous n’avions que les boutiques souvenirs qui nous passent de moins en moins de commandes, je ne sais pas si nous serions toujours là aujourd’hui. Pour preuve, nous venons de perdre notre plus gros client, un commerce du Mont-Saint-Michel qui était le seul à proposer le bol prénom dans ce lieu touristique. Sa propriétaire nous commandait jusqu’à 4000 bols par an. Elle a vendu sa boutique à un repreneur qui ne fera plus de cadeaux souvenirs.  

“Notre force est de proposer un produit dont nous maîtrisons la chaîne de fabrication de A à Z.” – Arnaud Cado  

Ce bol prénom, que l’on pense originaire de Bretagne, vous n’êtes pas les seuls à le vendre aujourd’hui.

S.C : En effet, la famille Boutain aurait dû faire breveter le bol prénom qui a, depuis, été copié. Il est proposé par la faïencerie quimpéroise Henriot, mais cela reste très confidentiel. Nous ne ciblons pas la même clientèle. Orientée vers l’artisanat d’art, la Faïencerie de Quimper. Et depuis quelques années, ils ne le fabriquent plus et réalisent uniquement les décors. Ils nous ont sollicités par le passé pour que l’on fabrique pour eux, mais nous ne l’avons pas fait finalement. Il y a également bien sûr la faïencerie de Pornic qui écoule environ 300 000 bols par an, contre 80 000 chez nous. Mais leurs produits ne sont plus fabriqués en France depuis plusieurs années. Ils ne s’en cachent pas. Leurs décors et l’inscription sont en revanche réalisés à Pornic.

A.C : Dans le même temps, nous devons depuis quelques années faire face à la concurrence asiatique et des pays de l’Est. Mais notre force est de proposer un produit dont nous maîtrisons la chaîne de fabrication de A à Z. Nous ne dépendons que de notre fournisseur de terre basé en Italie, précisément à Florence, berceau de la faïencerie.

©Benjamin Lachenal

Vous êtes toutefois dépendants des coûts de l’énergie. Comment avez-vous fait face à la hausse de ces derniers mois ?

A.C : Depuis un an, notre facture a été multipliée par trois. Contrairement aux boulangers par exemple qui eux sont nombreux, nous ne pouvons pas renégocier nos tarifs d’énergie parce que nous sommes tout seuls sur notre créneau. Ou alors cela nous coûterait cher. Nous avons répercuté cette hausse sur nos prix, mais nous ne pouvons pas beaucoup augmenter, afin de rester compétitifs. Nous avons également été contraints de diminuer notre production. Auparavant, on remplissait un four chaque semaine, nous n’en faisons plus qu’un par mois. Le nombre de bols en boutique a ainsi été réduit. Mais la plupart de nos clients sont compréhensifs et ne se plaignent pas de nos prix, ni de nos délais un peu plus longs. 

Aujourd’hui, vos parents vous ont confié la gestion de l’entreprise. Comment s’est passée cette transmission ?  

S.C : Cette transmission s’est déroulée assez naturellement il y a un an. Notre papa passe toutefois encore nous voir chaque matin pour nous donner un coup de main. Quant à notre maman, elle a tourné la page, même si depuis le début de la saison elle gère la boutique le samedi, afin que je puisse m’occuper de mes enfants. Par ailleurs, nous avons pris la décision de fermer la boutique pendant la période hivernale, et d’ouvrir uniquement du mercredi au samedi entre avril et septembre. Pour notre mère, c’était difficile à concevoir, mais finalement elle a compris. Cela me laisse plus de temps pour la gestion des commandes et le travail administratif. Notre site internet nous permet cette souplesse. Et il y a trois mois, nous avons recruté une salariée, Anne-Sophie, qui est à la fois en boutique et dans l’atelier de peinture. 

Avez-vous des projets ? 

Pas dans l’immédiat. Nous avons fait un certain nombre d’investissements ces dernières années, dont l’achat d’un nouveau four et avons dû gérer plusieurs pannes ces derniers mois. Donc, nous faisons une pause sur ce volet-là. Après la saison estivale, nous prendrons le temps d’effectuer un travail de création, pour réfléchir à de nouveaux modèles de bols notamment. Depuis cinq-six ans, nous les avons modernisé en proposant de nouveaux motifs, des décors plus épurés. Nous proposons également un bol un peu plus grand, ou encore des coquetiers en forme de barque. Notre principal objectif est de continuer à fabriquer nos bols, même si on en vend moins que les autres, et de défendre le made in France.

©Benjamin Lachenal

En chiffres : 

Création en 1936
Reprise en 2002
4 salariés
80 000 bols fabriqués par an
CA non communiqué