Couverture du journal du 01/10/2025 Le nouveau magazine

René Martin, fondateur et directeur de La Folle Journée : Quand l’audace entrepreneuriale compose avec la musique classique

René Martin organise près de mille deux cents concerts par an avec l’énergie intacte de son éternelle adolescence. Fils de commerçants de la campagne nantaise, cet infatigable passionné a révolutionné le paysage musical avec des festivals emblématiques comme La Folle Journée, qui rayonne jusqu’en Europe et au Japon, et le Festival international de La Roque-d’Anthéron, devenu la référence mondiale pour les amateurs de piano. Visionnaire et gestionnaire hors pair, il a conçu un modèle économique unique où l’audace entrepreneuriale sert la culture. Alors que La Folle Journée 2025 s’apprête à célébrer les « villes phares », son créateur revient sur son parcours militant, partage sa vision de la musique et dévoile les secrets de son succès.

René Martin. BENJAMIN LACHENAL - IJ

La Folle Journée 2025 propose un voyage musical sur le thème « Villes phares ». Est-ce une façon de montrer l’entrelacement entre culture et économie ?

Chaque édition de La Folle Journée s’articule autour d’un thème, car tout projet culturel doit être pédagogique. Cette année, nous mettons en lumière les « villes phares », ces grandes capitales qui, à travers les siècles, et grâce à leur dynamisme économique, ont joué un rôle central dans l’histoire de la musique.

Prenons Venise au XVIIe siècle. C’était une ville extrêmement riche où l’on construisait des théâtres et des salles de concert, où les mécènes parrainaient des orchestres. Cette prospérité a attiré les meilleurs musiciens d’Europe. Au XVIIIe siècle, Londres a pris le relais. Même sans grands compositeurs locaux, la capitale anglaise est devenue une plaque tournante culturelle grâce à ses moyens financiers. C’est là que le génie allemand Haendel a choisi de s’installer pour vivre décemment de son art après s’être aperçu qu’il était sous-payé en Italie. Cette dynamique se retrouve au XIXe siècle à Vienne, où des figures comme Beethoven ou Brahms, venus d’ailleurs, s’établissent pour bénéficier de l’effervescence musicale.

Puis, lors de l’Exposition universelle de 1900, Paris devient la capitale mondiale. Avec cinquante-cinq millions de visiteurs, l’événement a attiré des artistes du monde entier, des Russes comme Rachmaninov ou Tchaïkovski aux Espagnols qui y ont composé certains de leurs chefs-d’œuvre, dont le Concerto d’Aranjuez. Paris a également été un lieu de formation incontournable pour les compositeurs américains tels que George Gershwin ou Leonard Bernstein. Enfin, toujours au XXe siècle, c’est New York qui s’impose. C’est là que naissent le jazz, la musique de film et les comédies musicales, portées par une incroyable diversité culturelle. Ce melting-pot, où l’on crée sans barrière, reflète l’effervescence de la ville. « Villes phares » montre comment économie et culture s’entrelacent et façonnent des lieux d’exception où l’art et la musique prennent leur essor pour marquer leur époque.


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Et si vous deviez nous conseiller un moment incontournable de cette XXXIe édition ?

La Folle Journée regorge de moments uniques et 2025 ne fait pas exception. Si je devais en choisir un, je mettrais en avant les interprétations des Quatre Saisons de Vivaldi. Ce chef-d’œuvre, connu de tous, sera revisité à travers plusieurs transcriptions. La plus originale intègre la musette, cet instrument ancien à vent proche de la cornemuse très répandu dans les régions françaises au XVIIIe siècle. Entendre une telle version, mêlant la musette à un orchestre, promet une expérience musicale rare et émouvante. Nous présenterons également des œuvres emblématiques de la musique américaine, dont une adaptation étonnante de la Rhapsody in Blue de Gershwin, interprétée par un trio jazz et un grand orchestre. Bien sûr, la musique vénitienne et baroque sera à l’honneur, avec des œuvres majeures comme le Messie de Haendel, le Requiem de Brahms ou encore les Vêpres de la Vierge de Monteverdi.

Mais, La Folle Journée c’est aussi un tremplin pour de jeunes talents. Je suis particulièrement enthousiaste à l’idée d’accueillir Sophia Shuya Liu, pianiste prodige canadienne d’origine chinoise âgée de seulement seize ans.

Concert sous les gigantesques platanes au Festival International de piano de La Roque-d’Anthéron. CRÉA

L’équilibre de La Folle Journée repose sur l’autofinancement, le mécénat et les subventions. Est-ce une approche toujours tenable dans un contexte économique difficile ?

Absolument. Ce modèle trouve ses racines dans une expérience fondatrice en Provence. À mes débuts, en tant que chargé de mission à la Drac en région Paca, j’ai constaté que de nombreux maires aspiraient à développer des projets culturels, souvent freinés par le manque de moyens. J’ai donc imaginé une structure sans murs, flexible, capable d’accompagner ces initiatives tout en recherchant des financements privés.

Ainsi est né le Festival de La Roque-d’Anthéron, à la suite d’une rencontre marquante avec Paul Onoratini, maire-patron et mécène. En visitant le parc du château de Florans, dont il était propriétaire, j’ai découvert un site de 12 hectares niché en bordure de la vallée de la Durance avec une allée majestueuse de platanes et un immense bassin circulaire. Cet écrin naturel d’une beauté inégalée, stratégiquement situé entre Aix-en-Provence et les Alpilles, réunissait le charme d’une Provence intime et le potentiel d’un site culturel exceptionnel. Dès la première édition, nous avons imaginé une scène sur pilotis au-dessus du bassin et organisé des concerts dans un cadre simple et inspirant. Le festival a trouvé son équilibre financier dès sa première année, grâce à une gestion rigoureuse et quelques partenariats. Aujourd’hui, La Roque-d’Anthéron s’autofinance à 70 %.

La Roque-d’Anthéron est donc votre premier fait d’armes. Est-ce un modèle que vous avez reproduit par la suite ?

Oui, tout à fait. Après mes études en gestion et administration des entreprises, je suis revenu à Nantes avec l’envie de créer quelque chose d’innovant. C’est ainsi qu’est né le Centre de réalisation et d’études artistiques (CRÉA). Cette association est unique : elle regroupe cent vingt personnes et repose sur un modèle de gestion de la culture qui place l’esprit d’entreprise au cœur de sa démarche.

Chaque projet que nous développons, qu’il s’agisse de collaborations avec des mairies ou de grands sites, s’appuie sur une organisation rigoureuse. L’idée est de concilier créativité et contraintes éc…