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Rééquilibrer les relations commerciales tendues

Les défis auxquels sont confrontés les entreprises et leurs fournisseurs en France sont relatifs notamment au déséquilibre de pouvoir et à la dépendance dans les relations commerciales. Intégrer des solutions préventives et des mécanismes de résolution des conflits dans les contrats peut éviter les litiges et renforcer les partenariats à long terme.

Diana Dauphin. BENJAMIN LACHENAL

Il y a quelques années, un incendie s’est produit dans l’une des usines d’un fournisseur important de Toyota. La société Aisin était la seule source de production d’une pièce essentielle utilisée pour le système de freinage. Ce sinistre a failli causer d’énormes pertes en ventes et en bénéfices pour Toyota et ses fournisseurs associés. Cependant, remarquablement, la catastrophe a été évitée et les usines d’assemblage ont rouvert après seulement deux jours d’arrêt.


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La reprise a été accomplie grâce à un effort organisé par les entreprises, principalement de l’intérieur, mais aussi de l’extérieur du groupe Toyota, pour créer des sites de production alternatifs en dehors des installations d’Aisin.

Le modèle Toyota implique plus qu’un ensemble de relations à long terme entre une entreprise et quelques fournisseurs sélectionnés. C’est vrai qu’imiter Toyota n’est pas facile. Ce modèle japonais de partenariats collaboratifs à long terme entre les entreprises et leurs fournisseurs a attiré beaucoup d’attention dans le monde des affaires.

Quels sont les problèmes auxquels sont confrontés les entreprises et les fournisseurs en France ?

Certaines relations d’affaires sont plus importantes que d’autres, et certains fournisseurs de composants essentiels peuvent s’avérer irremplaçables. Un équilibre contractuel devra donc être trouvé pour maintenir cette relation clé. Par exemple, certaines entreprises qui revendiquent le « made in France » regrettent que les fournisseurs locaux pour leurs produits ne soient pas plus nombreux et que ces derniers profitent parfois de leur position de force. Rééquilibrer le rapport de force passe nécessairement par la question de la dépendance de l’un à l’autre (pourquoi pas deux fournisseurs au lieu d’un ?) et la question du temps (production « just in time » avec deux ou trois jours de stock disponibles ou pas).

Pour résoudre ce type de problème, c’est bien souvent soit le bâton, soit la carotte. Parfois, évoquer la sanction d’une partie envers l’autre ou les conséquences négatives et les coûts directs et cachés peuvent la dissuader. La mise en place d’une récompense peut inversement inciter le fournisseur à améliorer la qualité de ses produits ou à respecter les délais de livraison. La concurrence pour les contrats futurs et la pression pour maintenir leur réputation peuvent aussi motiver les fournisseurs à coopérer.

Dans le processus de négociation commerciale entre les entreprises et leurs fournisseurs, les échanges portent souvent sur des éléments comme le prix, le volume, les délais de livraison, la qualité des produits ou les modalités de paiement. Malheureusement, ces éléments ne suffisent pas pour protéger des éventuelles difficultés. Ultérieurement, lorsque les acheteurs rencontrent des difficultés et sont pris par la contrainte de la production, ils ne savent pas toujours comment les régler. Il est, à mon sens, important que les parties organisent le plus en amont possible de la relation commerciale, la résolution de ces problèmes.

À chacun sa méthode. Quant à moi, il m’arrive de réunir les managers d’une entreprise pour faire émerger l’intelligence collective sur une problématique donnée. On accepte, parfois un peu sceptique, de jouer le jeu, rien de nouveau sous le soleil. Et soudain, voilà que l’on relève le défi et que l’on aboutit au final, ensemble, à une belle réussite.

J’ajouterai que dans le contexte économique actuel, il faut être particulièrement prudent sur les conditions et les délais de paiement. La pratique de l’acompte de 50 % à la signature et 50 % à la livraison est malheureusement obsolète, car l’acheteur peut déposer le bilan avant cette échéance et le fournisseur risque de ne pas pouvoir supporter ces impayés. Un effet domino peut se produire dans la chaîne d’approvisionnement, du fournisseur de premier rang au fournisseur de deuxième rang, et ainsi de suite.

Quels sont les risques pour l’entreprise et ses fournisseurs qui négligent la possibilité de désaccords lors de négociations commerciales ?

Lors de négociations commerciales, la dernière chose à laquelle les acheteurs veulent penser est la possibilité qu’un désaccord sérieux survienne. Pourtant, nous savons également que de tels conflits sont courants : problèmes de qualité, non-respect des délais d’approvisionnement, générant des pertes de temps et d’énergie pour les équipes et des clients insatisfaits. À cela s’ajoutent les pertes financières et les impacts sur l’image de la marque. En tant qu’acheteur tentant de renégocier un contrat avec un fournisseur, la pire chose qui pourrait arriver serait de ne pas trouver de fournisseur alternatif et que votre chaîne d’approvisionnement soit rompue, temporairement ou durablement.

Pourquoi est-il important d’intégrer des solutions préventives dans les contrats ?

Il y a des situations où un procès avec son fournisseur n’est pas économiquement envisageable par son co-contractant. Parfois, des difficultés économiques dues à une baisse des ventes, les délais et les coûts de procédure découragent les acheteurs d’assigner leurs fournisseurs pour obtenir réparation des pertes financières. Souvent, ces litiges peuvent être tout simplement évités si les parties ou leurs conseils pensent à intégrer des solutions préventives dans leur contrat. Lorsque vous êtes impliqué dans des négociations contractuelles, vous devez imaginer une série de scénarios possibles, y compris la possibilité qu’un litige surgisse et se transforme en procès. Parce que personne ne souhaite se retrouver devant un tribunal, il existe plusieurs précautions que vous pouvez prendre pour améliorer vos chances de résoudre les conflits rapidement et de manière plus ou moins amiable.

Quels sont les moyens efficaces pour prévenir les conflits entre une entreprise et ses fournisseurs ?

Incluez une clause de résolution des conflits qui pourrait obliger les parties à recourir à des modes alternatifs de résolution des différends (MARD), comme la médiation ou la négociation, avant de déposer une action en justice. En médiation, un tiers neutre aide les parties à parvenir à un consensus par elles-mêmes. En négociation raisonnée, ce sont plutôt les avocats des parties, souvent formés à cet outil, qui vont essayer de trouver des solutions satisfaisant les intérêts de leurs clients respectifs. En revanche, vous pourriez réserver l’arbitrage aux conflits contractuels plus sérieux, au vu des coûts importants de ce type de justice privée.

Incluez des clauses de dommages-intérêts prédéterminés dans votre contrat, précisant le montant à payer en cas de violation. Par conséquent, si vous convenez à l’avance qu’un fournisseur vous versera par exemple 1 000 euros pour une livraison manquée, cette clause rendra tout effort futur de résolution des conflits ou toute audience judiciaire beaucoup plus simple.

Envisagez aussi les conditions spécifiques en cas de survenance d’événements ou de circonstances futures incertaines : pénalité pour retard, récompense pour performance, plan d’urgence (« accord de contingence » dans le jargon juridique)… Pourquoi ne pas combiner la prévention des conflits et un accord de contingence ? Par exemple, vous pourriez négocier une clause dans votre contrat qui promet un bonus financier à l’autre partie si elle évite les litiges pendant toute la durée du contrat. Une telle clause pourrait inciter les deux parties à rester en contact tout au long de la phase d’exécution et à impliquer une équipe conjointe dédiée qui va travailler sur la résolution des problèmes, un médiateur ou des avocats formés aux MARD dès le premier signe de difficulté.

Comment optimiser les chances de trouver une solution amiable en cas de désaccord ?

Les entreprises se demandent souvent comment faire affaire avec des partenaires qui connaissent leur caractère stratégique et profitent de ce rapport de force à leur avantage. Renforcez votre MESORE (meilleure solution de rechange). Essayez de calculer votre MESORE probable, comme un éventail complet des possibilités si la négociation échoue et les probabilités associées à chacune. Combien cela coûterait-il d’introduire un autre fournisseur ou de sourcer un produit de substitution ? Si les avantages d’avoir une meilleure alternative dépassent le coût pour l’obtenir, investir dès maintenant pour créer de la concurrence pour la prochaine négociation devrait s’avérer payant. En général, il existe bien des moyens d’améliorer votre MESORE et, grâce à une bonne préparation, on peut arriver à trouver un bon accord.

Mieux connaître votre fournisseur est également crucial. Comprendre qui est le décideur final et qui devrait prévalider ou approuver l’accord au sein de l’organisation de votre fournisseur est essentiel. Ensuite, procédez à une analyse d’opportunité : comment l’autre partie serait-elle affectée si elle ne recevait pas cette commande ? Pourrait-elle facilement remplacer le volume d’affaires ? Peut-elle facilement recruter des salariés complémentaires nécessaires pour fabriquer les produits à commander ? Tout cela peut aider à renforcer votre posture en négociation.

Conclusion

En fin de compte, pour assurer des relations commerciales durables et équilibrées, il est essentiel de préparer soigneusement vos négociations et d’intégrer dans vos contrats des mécanismes proactifs de résolution des conflits.

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