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Patrimoine. Transmettre son entreprise sans se déposséder, une affaire de conciliation !

Si elle repose sur des concepts issus du code napoléonien, la donation en nue-propriété n’a pas pris une ride. Juridiquement, elle est utile au dirigeant souhaitant transmettre sans trop se déposséder. Fiscalement, elle présente un puissant potentiel d’économies. Tout particulièrement si elle est associée à un pacte Dutreil. L’évolution de l’espérance de vie, qui a plus que doublé depuis 1804, et la dépendance, sont des paramètres à intégrer dans la réflexion à l’heure des choix.

Iskra Freuchet, associée-gérante, Colbert Patrimoine, et Quentin Testier, ingénieur patrimonial senior, Colbert Family Office. FERSEN-SHERKANN

Transmettre sans (trop) se déposséder, un utile paradoxe

Il est possible de répartir les différentes composantes de la propriété d’un bien entre les membres du cercle familial au moyen d’une donation en démembrement :

  • Le donateur conservera généralement le droit d’user de la chose et d’en percevoir les revenus : « l’usufruit » ;
  • Le donataire recevra alors la « nue-propriété » du bien. Un droit de propriété dont il n’aura la pleine jouissance qu’à l’extinction de l’usufruit.

Les titres de société sont un terrain propice à ce type d’opération. D’une part, parce que les sociétés peuvent concentrer une part importante du patrimoine familial. Et d’autre part parce qu’un aménagement des statuts peut permettre au dirigeant bien accompagné de redéfinir, dans une certaine mesure, les règles du jeu.


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L’usufruit doit-il être systématiquement viager ?

Les donations sont traditionnellement réalisées avec une réserve d’usufruit viager. En d’autres termes, les donataires n’entrent en possession de la pleine propriété qu’au décès du donateur.

Les époux étant habituellement animés par le souhait de protéger leur conjoint, il peut être utile de prévoir une réversion d’usufruit dans l’acte de donation.

  • Cet intérêt peut être politique : assurer au conjoint-survivant un certain degré d’emprise sur les actifs donnés ;
  • Cet intérêt peut être financier : assurer au conjoint-survivant les moyens d’assurer le maintien de son train de vie (exemple : via un droit aux dividendes).

La pertinence d’une telle démarche sera à mesurer en fonction notamment de la nature du bien transmis, et du régime matrimonial en place.

Si la situation financière du donateur et de son conjoint est sécurisée, il est à notre sens opportun de s’interroger sur la nécessité d’une réserve d’usufruit viagère. En alternative, une réserve d’usufruit à durée fixe peut permettre au donateur de mieux maîtriser l’horizon de transmission complète de ses biens à la génération suivante.

La répartition des droits entre usufruitier et nu-propriétaire, un paramètre à ne pas négliger pour réussir sa transmission de titres

En règle générale, les droits politiques et financiers sont répartis entre usufruitier et nu-propriétaire, selon des règles dépendant de la forme sociale de la société, mais aussi des statuts.

Si l’on se focalise sur les structures les plus communes du tissu entrepreneurial français (SARL, SAS, sociétés civiles, SNC), le droit de vote appartient par défaut :

  • À l’usufruitier pour les décisions relatives à l’affectation des résultats ;
  • Au nu-propriétaire pour toutes les autres décisions.

Concernant les droits financiers, on considère communément :

  • Que le bénéfice appartient à l’usufruitier ;
  • Que les réserves sont acquises aux deux, mais attribuées au donateur en « quasi-usufruit ». Une modalité particulière que nous ne développerons pas dans ces lignes.

Des aménagements statutaires pourraient être envisagés pour redéfinir la clé de répartition des droits de vote et des droits financiers, dans les limites de la Loi et de la Jurisprudence.

La donation en nue-propriété, un outil précieux pour juguler la fiscalité successorale

Le dirigeant peut limiter efficacement la fiscalité successorale subie par ses enfants un jour en réalisant ponctuellement ou régulièrement des donations en nue-propriété. Une combinaison de paramètres lui permettra de bénéficier d’un levier fiscal potentiellement important :

  • 1er paramètre : en cas de donation en nue-propriété avec réserve d’usufruit viager, les titres transmis bénéficieront d’un abattement dont le taux dépendra de l’âge du donateur : 50 % en cas de donation avant ses 61 ans révolus, 40 % avant 71 ans, etc.
  • 2e paramètre : si les titres de la société sont éligibles au pacte Dutreil, l’assiette bénéficiera d’un abattement de 75 %.
  • 3e paramètre : la part reçue par l’enfant bénéficiera de l’abattement de 100 000 € évoqué ci-dessus. Au-delà, l’éventuelle assiette taxable sera soumise à l’impôt dans les premières tranches du barème fiscal (5 %, puis 10 %, puis 20 %…).

Exemple d’un dirigeant donnant 1 000 000 € de titres, en nue-propriété et sous pacte Dutreil, à son enfant avant ses 61 ans :

Valeur des titres avant la donation : 1 000 000 €

– Abattement pour donation démembrée (-50 %) : 500 000 €

– Abattement pour donation sous Pacte Dutreil (-75 %) : 125 000 €

– Application des 1es tranches du barème fiscal (de 5 % à 20 %) : 3 194 €

Taux de taxation moyen sur actifs transmis : 0,32 %, susceptibles d’être pris en charge par le donateur.

Et si je détiens ma société via une holding ?

En cas de donation de titres d’une société holding, de nombreuses questions sous-jacentes peuvent compliquer le montage. Le bénéfice du dispositif de la loi Dutreil n’est optimum que si la société holding est dite animatrice de son groupe. La jurisprudence est riche sur le sujet et les points de contrôle nombreux.

D’autre part, si la société holding a été constituée par apport des titres d’une société d’exploitation, une plus-value somnole en report d’imposition. En cas de donation de titres en démembrement de propriété, cette plus-value pourrait être transférée ou purgée en fonction des situations. Il est essentiel de s’entourer de conseils juridiques, fiscaux et financiers pour réaliser ces opérations, sans encombre et dans les meilleures conditions fiscales et juridiques.

Facilitée par la liberté contractuelle et une fiscalité favorable, la donation portant sur des droits sociaux est résolument favorable à celui qui, volontaire pour donner, n’en a pas moins l’intention de garder le contrôle de son vivant ou pendant une période définie.

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