Couverture du journal du 02/12/2024 Le nouveau magazine

« On a envie d’être utiles ! »

Depuis que la loi Pacte a introduit la qualité d’entreprise à mission, peu nombreuses sont celles à s’être effectivement converties. Sur le territoire, l’agence de communication B Side fait donc figure de défricheur. Entretien avec ses dirigeantes, Marion Andro et Ingrid Berthé.

Quel a été votre parcours à l’agence ?

Marion Andro : J’ai intégré l’agence qui s’appelait alors Alphacoms en tant que salariée en 2002, comme consultante projet. Ingrid, elle, est arrivée en 2003. En 2008, Jean-Etienne Rime, le fondateur, nous a proposé d’entrer au capital de l’entreprise à hauteur de 10% chacune et de devenir dirigeantes. En 2012, on est devenu majoritaires et on a 100% du capital depuis 2013.

Ingrid Berthé : En 2008, on était totalement inconscientes ! On n’y connaissait rien, mais on avait des idées et on a dit oui. Il a fallu passer de salariées à dirigeantes. Tout le monde a applaudi lors de l’annonce : il y avait une perception partagée de la nécessité que l’agence bouge, en particulier au niveau du management. Et puis la crise est arrivée, il a fallu commencer à raisonner résultats, objectifs… On est vraiment rentrées dans notre fonction de dirigeantes. 

Quel a été votre cheminement vers une démarche RSE ?

IB : Alphacoms avait une forte culture du réseau et le cédant nous a poussées à y aller. Marion a intégré Réseau Entreprendre Atlantique, puis, rapidement, est devenue élue à la CCI avant de contribuer à la création de l’association Dirigeants responsables de l’Ouest. De mon côté, j’ai appris le métier de dirigeant au Centre des Jeunes Dirigeants. Nous avons découvert, dans ces cercles, la manière dont on pouvait donner à l’entreprise un rôle plus large que le simple résultat net. C’était aussi déjà dans notre culture : nous étions convaincues que l’entreprise avait un autre rôle à jouer que celui qui lui était assigné habituellement. Mais nous avons trouvé dans ces réseaux des terrains de réflexion, d’inspiration, cela nous a aidées à cheminer.

« Le piège serait de communiquer sur l’intention et de ne pas revenir sur les résultats, qu’il soient bons ou mauvais. »
Ingrid Berthé, B Side

MA : Quelques clients nous ont aussi inspirées, nourries, comme Cetih, Armor ou Rémy Cointreau.  Nous sommes rentrées de façon plus formelle dans une démarche RSE en 2011, avec une triple prise de conscience : nous avions une responsabilité vis-à-vis de nos collaborateurs, des pratiques métier et du territoire. On a alors créé des groupes de travail sur la base du volontariat sur des thématiques comme les achats, la convivialité à l’agence et ça a très bien fonctionné. Mais, au fil des années, on a ressenti une sorte d’essoufflement. On était conscientes de ne pas avoir fait le tour, mais on avait besoin de se redonner du souffle pour aller plus loin. Nous avons ouvert une nouvelle page il y a un an, à l’occasion de notre séminaire d’entreprise.

IB : On sentait aussi que les enjeux avaient bougé. Nous avions beaucoup travaillé sur les pratiques internes et on a vu monter la question de l’impact externe. On s’est dit que si on se contentait de faire du tri et de mettre des ampoules à Led, on passait à côté du sujet. On voulait être plus ambitieuses, mais comment faire ? On avait besoin d’aide. On a alors entrepris de faire notre bilan carbone 2018-2019, en se faisant accompagner par TooValu, une entreprise à mission labellisée B Corp*. Cela nous a permis de partir avec une feuille de route.

En annonçant récemment vouloir devenir une entreprise à mission d’ici la fin de l’année, vous avez franchi une nouvelle marche. Pourquoi aller jusqu’à inscrire une raison d’être dans vos statuts ?

MA : En travaillant sur notre raison d’être, on interroge le « why » de l’entreprise, à quoi elle sert, son impact, son utilité. Est-ce que la communication c’est bien utile ? Toute l’équipe s’est posé la question… Et on a envie de l’être ! Si on communique sur notre ambition, c’est parce que ça nous engage, nous force à faire. 

IB : On peut avoir une super démarche RSE, mais au cœur du moteur du business, est-ce qu’il n’y a pas des éléments qui ne collent pas par rapport aux enjeux environnementaux et sociaux ? Notre ambition se traduit à travers cette raison d’être : militer et agir pour une communication utile qui amplifie le pouvoir de transformation des entreprises au service d’une économie positive.

Le piège serait de communiquer sur l’intention et de ne pas revenir sur les résultats, qu’ils soient bons ou mauvais. Or, on peut tout à fait expérimenter des choses qui ne marchent pas, d’ailleurs ça nous est arrivé un certain nombre de fois !

Parmi vos axes de travail pour devenir entreprise à mission, vous dites viser des collaborations, avec vos clients, vos fournisseurs, uniquement positives en termes d’impact sociétal et environnemental. C’est radical, non ?

IB : On a fait le travail d’étudier la composition de notre chiffre d’affaires par secteurs d’activité avec le « Client disclosure report » et de communiquer dessus. Le résultat, c’est que l’on a moins d’un quart de notre CA réalisé avec des secteurs qui sont, par nature, en conflit avec les enjeux climatiques, comme le transport, l’industrie chimique… On peut décider d’aller vers le zéro CA sur ces secteurs ou alors n’y être que sur les projets d’accompagnement ou de promotion de leur transformation.

On se dit aussi que, forcément, en avançant dans notre démarche et en communiquant dessus, on va être de plus en plus appelés par des clients qui nous correspondent et, paral­lèlement, cela nous permet de faire le tri sur les appels entrants.

« En travaillant sur notre raison d’être, on interroge le « why » de l’entreprise, à quoi elle sert, son impact, son utilité« 
Marion Andro, B Side

MA : L’enjeu n’est pas d’aller chercher uniquement les bons partenaires ! Côté clients, par exemple, si on regarde le textile, il y a des entreprises qui se posent des questions sur leur modèle, la façon dont elles font leurs produits et qui ont besoin d’embarquer leurs collaborateurs et clients. Les entre­prises sont de plus en plus mûres pour ça, la marque employeur étant passée par là. Elles ont envie d’aller vers plus d’écoresponsabilité et parfois elles ne savent pas comment. Nous, on pense qu’on peut les aider dans cette transformation. On veut les aider à avancer et non faire du « green washing », même si on n’est pas à l’abri de se faire avoir !

Et en interne, quel est l’impact de votre démarche ?

IB : Quand vous commencez à affirmer que vous voulez une stratégie responsable, les collaborateurs vous prennent au mot et vous mettent face à d’éventuelles contradictions. On s’est donné une grille de lecture et on en a beaucoup débattu avec eux. C’est de cette manière qu’est apparu le distinguo entre les collaborations positives, appréciées et non souhaitées. Cela permet de faire un pré-tri. C’est une ambition vraiment collec­tive : ce n’est pas nous qui tirons nos collaborateurs, c’est eux qui nous poussent ! 

MA : On a posé une ligne directrice stratégique qui embarque tout le monde et on a un plan d’actions copieux. Les collaborateurs se sont organisés en quatre groupes de travail afin de définir le rôle et l’impact de l’agence envers ses différentes parties prenantes. Le groupe « Happy together » travaille par exemple sur le livret d’accueil, mais aussi le parcours collaborateur, ou encore sur la mise en place d’un baro­mètre de la qualité de vie au travail.

IB : Ce volet-là est celui sur lequel on n’a jamais lâché. On peut toujours mieux faire, mais c’est à la marge. En revanche, il y a d’autres sujets où l’on repart de loin…

MA : C’est le cas du deuxième groupe, « Be better together » qui travaille sur les pratiques de l’agence. Si on n’utilise plus de bouteilles en plastique depuis un an, en revanche, on se fait souvent livrer le midi et les Deliveroo et Uber Eats ne sont pas top, tant socialement que d’un point de vue déchets…
Le travail consiste à trouver des alternatives.

Et les autres axes de travail ?

IB : Dans le groupe « Business as unusual », on a mis le sujet du modèle de l’activité et son impact, avec le « Client disclosure report ». Ce groupe a aussi posé les bases de ce vers quoi doit aboutir notre travail sur l’éco-conception dans le print, l’audiovisuel, le web ou encore le message. On a démar­ré là-dessus dès 2011, mais on n’a pas été constants. On a la base, en particulier sur le print, mais on oublie de sensibiliser les clients et, sur le web, rien n’a été fait, donc là, on a un chantier.

MA : Le dernier groupe de travail s’intitule « Best for the
world » pour travailler sur le mécénat. On a eu des engagements avec plusieurs associations – actuellement, c’est la Fondation de France – et on a envie de structurer cette démarche, sur des thématiques qui nous tiennent à cœur, pour être moins dispersés. On travaille notamment sur l’arrondi de facture et sur la question de la compensation de nos émissions carbone.

Comment appréhendez-vous cette démarche ?

MA : On se fait parfois des nœuds au cerveau quand on tire le fil. Parfois aussi, il n’y a pas de réponse. Par exemple, on s’interroge sur les goodies : est-ce bien utile ? En s’interrogeant ainsi et en invitant nos clients à le faire, on se flingue un peu, mais si on veut vraiment être alignés… Alors, on suggère autre chose et finalement ça devient un levier d’innovation.

IB : Ce qui n’est pas simple, c’est de garder un cap. On est partagées entre l’impression qu’on fait les choses avec une certaine ambition et en même temps, il faut rester humble : sur certains sujets on est très avancés mais sur d’autres on l’est moins qu’un certain nombre d’acteurs. En tout cas, c’est une vraie conviction et une vraie ambition : on veut y aller assez vite et assez fort !

* La communauté B Corp, fondée en 2006 aux États-Unis, réunit à travers le monde les entreprises qui souhaitent (ré)affirmer leur mission sociétale au cœur de leur raison d’être.