Télétravail, stop & go, fermeture des lieux de socialisation… La crise sanitaire a un impact indéniable sur la santé mentale des Français. Une récente étude de Santé publique France est éloquente : entre septembre et novembre 2020, l’état dépressif des Français est passé de 11% à 21%.
Or, cette situation est inquiétante car, comme le rappelle Rachel Bocher, cheffe du service psychiatrie du CHU de Nantes, « il n’y a pas de santé globale sans bonne santé mentale ». Et cette santé a un coût : elle représente le premier poste de dépenses de l’Assurance maladie soit 23 Md€ par an et deux millions de patients en ambulatoire. « Une personne sur cinq est affectée par un trouble psychique au cours de son existence », rappelle le médecin.
30% DE PERSONNES ONT DES TROUBLES ANXIEUX
Que trouve-t-on parmi ces troubles ? Dépression, schizophrénie, troubles obsessionnels compulsifs, bipolarité ou encore trouble anxieux généralisé. Ce dernier est particulièrement présent dans la société aujourd’hui : le taux est passé de 10% de la population générale avant crise à 30%. « Il se traduit par une inquiétude excessive et permanente avec la sensation d’être survolté, une grande fatigabilité, de l’irritabilité, des troubles de la mémoire et de la concentration – ce qui peut être très compliqué au travail – et des tensions musculaires intenses, explique Rachel Bocher. Tout le monde est concerné, quels que soient l’âge et le sexe, avec des facteurs de prédispositions tels qu’un environnement anxiogène, une éducation rigide et le mode de vie des pays industrialisés qui recherchent en permanence performance et perfection. » Les troubles obsessionnels compulsifs (TO C), aussi, ont une plus forte prévalence à cause de la crise: 2,3% de la population avant crise, 30% aujourd’hui… Ces TOC se matérialisent par l’apparition d ‘obsessions, qui sont des images persistantes, non désirées et anxiogènes. Et provoquent des rituels compulsifs qui sont, souvent, le lavage des mains fréquents, la peur d’être contaminé par un virus et des rituels de vérification… La pandémie est donc un facteur déclencheur de TOC évident.
En 20 19, la France comptait douze millions de personnes souffrant de troubles psychiques. « Combien en 20 21 ? s’interroge Rachel Bocher. Certes, l’impact n’est pas quantifiable, mais il est réel et concerne absolument tout le monde, des tout petits aux personnes âgées, les étudiants, les chômeurs, les gens en télétravail qui ne peuvent pas sortir en semaine…
Cette absence de perspectives couplée à l’arrêt de nos habitudes sociales et culturelles pèsent. À noter qu’il existe un effet de décalage entre le moment où la souffrance est ressentie et l’apparition de troubles psychiques, ce qui peut altérer les études d’impact. » Le taux de tentatives de suicide est un marqueur parlant mais les données ne sont pas encore disponibles pour 2020. Cependant, les pharmaciens ont relevé une augmentation de la consommation d’anxiolytiques et d’hypnotiques ( +1,1 million et +480 000 respectivement) prescrits par les médecins généralistes. Elle est liée à une augmentation des crises de panique, des états anxieux, de l’hypervigilance ou encore des troubles du sommeil.
« Aujourd’hui, nous sommes figés dans un présent pessimiste. Chacun peut être confronté à ces troubles. Tout dépend des ressources de chacun. Face à un contexte équivalent, nous avons tous des manières différentes de réagir, selon sa personnalité, son environnement, sa situation personnelle… », avertit Rachel Bocher.
DÉCELER LES CHANGEMENTS D’ATTITUDE
Alors, que peut faire l’entreprise face à cette montée des situations de souffrance ? D’abord, relever les signaux d’alerte : tout changement d’attitude inhabituel doit interroger.
La médecin du travail d’Airbus Bouguenais, Sophie Sorgues, conseille, selon les cas, de formuler une demande de visite au médecin du travail Ce peut être à l’initiative de l’employeur ou du salarié. Pour les télétravailleurs, elle recommande, notamment, de bien séparer temps de travail et vie personnelle avec des horaires cadrés pour ne pas se laisser déborder. Pour les managers : adapter les objectifs et l’activité au télétravail, respecter le droit à la déconnexion, réguler les tensions, être vigilant aux signaux de mal-être de ses collaborateurs…
De son côté, le psychologue du travail Michel Cambra, ancien ingénieur, propose, outre des entretiens individuels avec les salariés, des entretiens collectifs. Il prend pour exemple deux techniques utilisées lors d’interventions chez Airbus. La première, lorsqu’un malaise est détecté dans une équipe sans en connaître les raisons, consiste à d’abord écouter chaque personne en individuel. Ensuite, le psychologue synthétise les ressentis, anonymisés, qui sont une photo de la situation, et sans en chercher les preuves. « C’est ensuite à l’équipe de s ‘approprier ce qui a été confié et d’en discuter pour trouver des solutions. » Autre technique, cette fois face à un pro jet d’entreprise mal compris : en groupe, les salariés expriment leur compréhension et leur sentiment face au projet.
« Les gens ne comprennent pas toujours les explications des managers. On a eu le cas d’une nouvelle salle de repos su per mais dont la fenêtre donnait sur les agents de maîtrise. Les ouvriers ont cru qu’il s ‘agissait en fait de les contrôler… Alors que c’était une erreur du bureau d’étude. En discuter collectivement a permis d’atténuer les tensions. »
Et de rappeler: « Les personnes ramènent au bureau les difficultés rencontrées à la maison, des enfants qui ne vont pas bien, des problèmes avec leur conjoint… Investir dans la santé mentale est important pour l’entreprise car elle est gagnante quand les gens vont bien »