Couverture du journal du 03/05/2024 Le nouveau magazine

L’entretien : Olivier Riom, président de Vivolum : « J’ouvre la porte aux personnes éloignée de l’emploi »

Vivolum est une entreprise de 50 personnes qui conçoit et réalise des aménagements de bureaux à Treillières, près de Nantes. Sa particularité ? Elle a accompagné une centaine de personnes éloignées de l’emploi depuis sa reprise en 2004 par Olivier Riom. Speaker à l’occasion du dernier TEDx de Nantes en juillet, ce dirigeant investi dans l’association 60 000 Rebonds, a fendu l’armure pour évoquer l’inclusion, les fragilités des autres, mais aussi les siennes. Il revient avec nous sur une expérience et un parcours riches en émotions.

Olivier Riom, président de Vivolum

Olivier Riom, président de Vivolum © Benjamin Lachenal

Comment avez-vous vécu l’expérience TEDx ?

C’est une expérience incroyable ! En préparation d’abord. Et en émotions surtout. C’est un véritable “spectacle“ !

Comment avez-vous été contacté ?

Le directeur a sélectionné 80 personnes dites inspirantes. J’avais communiqué un peu sur la notion de public éloigné de l’emploi. Je l’ai rencontré, lui ai juste raconté ce que je faisais et à partir de là il a soumis les 80 projets à un comité de choix qui en a sélectionné huit. Et ensuite le travail a commencé. Ça demande trois à quatre mois de préparation, on travaille avec des coachs et on essaie de mûrir notre réflexion…

C’était naturel pour vous de témoigner ?

C’était tout sauf naturel car on sait que ça va être beaucoup de travail, beaucoup de pression aussi. Mais j’ai accepté assez vite parce que le sujet d’un modèle économique avec un public éloigné de l’emploi et plus largement le sujet de nos fragilités sur lequel j’ai témoigné m’est cher. Et puis il y a le phénomène Ted qui est intéressant. On reçoit énormément des coachs, puis le jour J du public.

En tant que chef d’entreprise, vous avez l’habitude d’intervenir devant un public, on imaginerait que vous étiez plutôt à l’aise ?

Pas du tout! Quelques jours avant, j’avais fait l’assemblée générale de l’association 60 000 Rebonds (Olivier Riom en a été le vice-président pendant six ans, il est aujourd’hui administrateur, NDLR) devant 400 personnes, mais c’est très différent! Au TEDx, on a 18 minutes pour parler d’un sujet que l’on a travaillé pendant trois mois, il faut gérer ses émotions avec un texte qu’on a voulu apprendre par cœur parce que c’est au mot près. C’est un format qui n’a rien à voir ! Et j’ai abordé des sujets très personnels liés à mon entreprise et à mon expérience de burn out et de dépôt de bilan.

Vous l’avez vécu comme une prise de risque ?

Je ne sais pas si l’expression “mise en danger“ est la bienvenue, en tout cas c’est comme ça que je l’ai vécu, même si tout le monde a été hyper bienveillant ! Parce que j’ai abordé un sujet intime, qui n’est pas tabou mais qui est forcément plus difficile que de parler de mon métier que j’adore. Mais je pense aussi que ça peut être plus intéressant de témoigner pour inciter les dirigeants à embaucher des personnes éloignées de l’emploi en leur expliquant tout ce que cela nous apporte plutôt que de dire qu’on fait les plus beaux aménagements.

Aviez-vous d’autres motivations en vous prêtant à cet exercice ?

Oui : je voulais témoigner sur l’acceptation de ses fragilités. La différence aussi c’est que le public du TEDx n’est pas composé de chefs d’entreprise. Et donc c’est aussi un moyen de montrer que les dirigeants ne sont pas que les patrons du Cac 40 ou des gens qui partent avec la caisse. Ce sont des gens impliqués, qui prennent soin de leurs collaborateurs, qui veulent les faire évoluer. La conférence n’aurait pas du tout été la même devant un public de dirigeants.

Vivolum

Exemple d’aménagement réalisé par Vivolum pour les locaux de Thierry Immobilier. © Vivolum, Vincent Jacques

Comment en êtes-vous venu à recruter du public éloigné de l’emploi ?

J’ai toujours fait ça. Au début, c’était une piste pour trouver de la main-d’œuvre. En 2004, j’ai racheté une boîte de 50 personnes qui en trois ans est passée à 120. Très vite, j’ai embauché Joseph, qui sortait de prison après une longue peine. La première chose qu’il m’a dite en entrant dans mon bureau, c’est : « j’ai buté mon patron, mais c’était un con». Je venais de grands groupes et si je les ai quittés c’était pour construire une activité à dimension humaine. L’inclusion en entreprise est un sujet vraiment important pour moi.

On fait travailler des personnes sous main de justice, des gens du voyage ou ayant connu les galères de la rue ou, comme en ce moment, des migrants. Mais on a aussi eu un cuisinier qui voulait retrouver une vie normale. En fait ce sont des personnes au parcours non linéaire, même si on n’est pas qu’une entreprise d’insertion. On a réussi à décomposer notre métier en tâches élémentaires simples, ce qui permet de proposer à quelqu’un qui n’est pas du secteur, mais qui est très motivé, se remet en question et a envie de s’intégrer, de travailler chez nous. Et puis j’ai formé les chefs de chantier à évaluer les personnes sur le savoir-être plutôt que le savoir-faire et à leur donner cette envie d’accompagner et de faire grandir les gens.

C’est devenu plus courant aujourd’hui de recruter sur le savoir-être, mais en 2005 ça ne l’était pas…

Et ça ne l’est toujours pas trop dans le bâtiment. Dans le métier, si tu veux être plaquiste on te donne un paquet de plaques et on regarde combien de temps tu mets pour les mettre. Mais moi je suis persuadé que c’est un métier technique que l’on peut acquérir alors qu’apprendre les soft skills c’est plus compliqué. Par exemple, je pense à un réfugié libyen qui a mis deux ans à traverser trois pays en guerre. Il a beaucoup à nous apprendre sur la volonté, la ténacité et le courage. Nous on a juste à apprendre à ces personnes le métier. Et en plus quand on leur donne leur chance, elles sont reconnaissantes et s’impliquent.

Est-ce que ce type de profils s’implique dans la durée ou sont-ils plutôt de passage dans l’entreprise ?

En fait, nous on les prend en stage, on les forme, pour les recruter mais la finalité de l’action finalement c’est d’aider des personnes éloignées de l’emploi à s’intégrer. Et du coup ça change complètement la philosophie ! On a eu deux jeunes Syriens de 18 et 19 ans qui sont venus dans l’entreprise puis qui se sont installés comme artisans. Et sur le moment on a été très déçus. Tout le monde s’est dit : « on les recrute, on les forme et ils partent ». Et c’est vrai que financièrement on a perdu de l’argent. Mais en fait, et même si aujourd’hui on n’est pas une entreprise à mission, si on devait l’être, notre mission ce serait celle-là : permettre à des personnes éloignées de l’emploi de s’intégrer. Et donc même s’ils partent de l’entreprise au bout de deux ans, comme la finalité n’est pas de maximiser le profit, on a fait ce pour quoi j’estime que l’entreprise est là. Et puis en deux ans, ces personnes nous ont apporté énormément. Elles ne nous ont pas fait gagner de l’argent c’est vrai, mais elles nous ont ouverts sur le drame des réfugiés, ont montré une implication incroyable et ont donné du sens à tout le monde. Donc le bilan global est positif. Sans compter qu’on éprouve du plaisir à faire du bien aux autres.

Et puis ça remet un peu l’église au cœur du village. On leur offre plus qu’un travail : on leur permet de retrouver une dignité. On a par exemple embauché un Rom qui ne parlait pas français et ne connaissait rien au bâtiment. Il vivait depuis des années d’aides, d’allocations. Quand on lui a proposé de travailler chez nous, à la fin de sa première journée il m’a montré ses mains en disant : « aujourd’hui, j’ai mérité mon salaire. » Il avait gagné sa paie, mais en fait il avait gagné bien plus que ça : on lui avait fait confiance et il avait retrouvé une dignité, il en était fier. On pourrait parfois penser que le travail c’est fait pour gagner sa vie, mais en fait c’est bien plus que ça !

De nombreuses entreprises subissent un turn-over important. Votre politique RH vous prémunit-elle contre ce phénomène ?

Globalement, les métiers du bâtiment connaissent un fort turn-over et on en a en ce moment un peu plus alors que pendant la pandémie les gens ne nous ont pas trop quittés. Mais au moins on a la satisfaction que lorsqu’ils nous quittent c’est pour s’installer à leur compte. C’est super de créer des vocations d’entrepreneurs! Et globalement on a quand même plus de stabilité que dans d’autres structures.

Vivvolum

Les effectifs de Vivolum se sont stabilisés à une cinquantaine de personnes. Un souhait d’Olivier Riom. © D. R.

Il y a quelques années, vous ainsi que l’entreprise vous êtes retrouvés en difficulté. Avez-vous à ce moment-là remis en question votre politique d’inclusion ?

Non, parce que pour moi il s’agit d’un réel modèle économique. Au tout début, on a formé et intégré douze jeunes. On avait huit types de contrats différents et la RH passait son temps à trouver des subventions. Après cette première “promo“, on s’est dit que l’enjeu n’était pas là, c’est tellement lourd de créer des dossiers, rentrer dans des cases, si on le fait, c’est parce qu’on pense que c’est intéressant. Parce qu’ils nous apportent énormément… dans la culture d’entreprise, le dynamisme. On dit souvent pour les personnes avec un handicap qu’elles apportent bien plus que leur travail, on le dit moins pour celles qui sortent de prison parce que c’est moins politiquement correct, mais c’est autant le cas.

J’AI EMBAUCHÉ JOSEPH, QUI SORTAIT DE PRISON APRÈS UNE LONGUE PEINE. LA PREMIÈRE CHOSE QU’IL M’A DITE C’EST : “J’AI BUTÉ MON PATRON, MAIS C’ÉTAIT UN CON

Quid de l’inclusion des personnes en situation de handicap justement ?

Autant on a un métier qu’on sait décomposer en tâches élémentaires simples, autant c’est important d’avoir tous ses sens, pour des questions de technicité et de sécurité. On avait embauché une personne avec une déficience auditive, mais ça s’est avéré compliqué car il y a énormément de bruits sur les chantiers qui sont utiles, par exemple l’alarme quand un camion recule. On n’est donc pas bons sur l’inclusion des personnes handicapées et j’aimerais qu’on fasse mieux.

Comment fonctionnez-vous en matière de politique RH ?

On est une petite entreprise de 50 personnes et jusqu’ici on n’avait rien de formalisé. Mais on est justement en train de travailler sur nos valeurs et notre raison d’être. Et ce qui ressort du travail des équipes, ce sont la bienveillance, la solidarité, le respect. J’en ai été étonné et touché d’ailleurs car on a rarement le temps de se poser pour se dire des choses comme celles-là. Je suis ravi que ce soit ces valeurs qui soient ressorties car elles sont importantes pour moi.

Avez-vous envie de devenir une entreprise à mission ?

Non, car la taille de l’entreprise pour l’instant me permet d’expérimenter sans avoir de cadre trop formel. Et puis l’entreprise à mission me paraît super quand il y a un risque d’arbitrage, c’est-à-dire quand un conseil d’administration ou les actionnaires peuvent dire « on va optimiser le profit et aller contre la mission». Dans une entreprise comme la mienne où je suis le seul actionnaire, il n’y a pas cet enjeu. Et puis c’est comme la RSE, c’est plus intéressant de faire que de dire qu’on fait…

Pourquoi alors choisir de faire ce travail de formalisation maintenant ?

On est en train de faire évoluer l’entreprise. Il y a tout l’enjeu environnemental qui est important pour moi et qui n’est pas forcément dans l’ADN de l’entreprise et ça m’intéresse de voir comment l’équipe réagit par rapport à ça. Et puis ça fait du bien d’avoir un feed-back, de savoir pourquoi on travaille ensemble.

On est partis en séminaire, on a monté des groupes de réflexion, ce travail donne l’occasion de voir nos succès, ce qu’on aime, pourquoi on est là, ce qu’on voudrait faire… Ce qui est intéressant pour moi, c’est le chemin, pas le but. Je n’attends pas d’avoir un beau slogan qui claque sur notre site internet !

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Exemple d’aménagement réalisé pour les locaux d’EY. © Vivolum, Vincent Jacques

Est-ce que vous vous définissez comme un dirigeant engagé ?

Parmi ce qui ressort du travail des équipes sur notre raison d’être justement, il y a la mention d’une équipe engagée. Moi je suis engagé, oui, mais finalement je ne fais qu’ouvrir la porte. Je demande aux équipes chez moi si elles ont envie d’accompagner telle ou telle personne et je n’impose jamais, ce n’est que sur du volontariat. Car ce sont les équipes qui font. On est un peu comme le colibri, on est là pour faire notre part sur chaque volet, social, sociétal et environnemental. On ne change pas le monde, mais on se change et comme on fait partie du monde…

Dans le TEDx, vous évoquez votre burn out en 2011 et le fait qu’en 2014 votre activité a rencontré de sérieuses difficultés…

J’avais trois entreprises, deux ont été liquidées et une placée en sauvegarde. Nous avons eu un développement trop rapide, pris des décisions qui se sont avérées dangereuses ou mauvaises, nos fonds propres n’étaient pas assez forts et un chantier nous a complètement plantés.

Ces épreuves ont-elles changé votre façon de diriger ?

En fait, j’ai racheté l’entreprise assez jeune, ça marchait bien, j’étais une “gazelle“1. Ces épreuves m’ont permis de voir qu’on est tous fragiles. Quand je suis tombé, ça a été très dur, mais je suis sorti du burn out et de la sauvegarde par anticipation en novembre dernier.

L’entreprise est une chaîne dont la résistance est donnée par le maillon le plus faible. Et moi je ne voulais pas être ce maillon faible. Et finalement, ce que je pense aujourd’hui, c’est que nos organisations sont plutôt comme un système neuronal : quand un neurone devient défaillant, les liaisons entre les autres se renforcent pour l’aider.

Quand on fait un burn out, on ne voit pas de solution. Je faisais bonne figure, j’avais des copains du CJD qui m’aidaient à prendre des décisions. C’était un moment très difficile. Si j’avais eu la maturité ou le courage d’en parler, mes équipes m’auraient aidé. Comme les neurones.

Aujourd’hui je regrette de ne pas leur avoir avoué ma fragilité. En la masquant, je ne leur ai pas permis de grandir et je ne leur ai pas donné la possibilité de m’aider. Cette culture du dirigeant fort qui donne la direction est très mauvaise. Je ne suis rien sans l’équipe.

De quelle manière ça vous a changé ?

D’abord sur mes objectifs personnels. Avant, j’étais dans la course au développement, alors que maintenant je recherche plutôt mon équilibre. En me limitant à 50 personnes, cette taille d’entreprise, je me sens épanoui. C’est vrai qu’on aimerait essaimer mais si on trouve un développement ce ne sera certainement pas au détriment de l’humain, de la fraternité que l’on connaît.

ON EST EN TRAIN DE TRAVAILLER SUR NOS VALEURS ET NOTRE RAISON D’ÊTRE. ET CE QUI RESSORT DU TRAVAIL DES ÉQUIPES, CE SONT LA BIENVEILLANCE, LA SOLIDARITÉ, LE RESPECT. J’EN AI ÉTÉ ÉTONNÉ ET TOUCHÉ

Ça m’a aussi changé dans l’écoute des fragilités des autres sûrement. Et néanmoins j’ai eu des burn out dans l’entreprise depuis. J’essaie d’avoir une entreprise humaine et cependant il y a des collaborateurs broyés. Je n’ai pas de culpabilité parce qu’un burn out c’est multifactoriel, mais pour progresser je ne dois pas nier ma part de responsabilité.

Est-ce que vous avez mis des process en place pour aider vos collaborateurs ?

Je n’ai pas mis de choses en place, mais je pense avoir changé de posture vis- à-vis de mes collaborateurs et j’espère que ça transpire.

De quelle manière voyez- vous l’entreprise aujourd’hui ?

Déjà, j’aspire à ce que l’on soit une entreprise bienveillante, où l’on se sente bien, heureux de venir. Après, notre façon de travailler a beaucoup évolué avec la crise sanitaire. On a pris conscience que si l’on vient travailler c’est aussi pour le lien social, que quand on reste chez soi il y a des choses qu’on n’arrive pas à faire – la créativité, les échanges d’idées – et d’autres qu’à l’inverse on fait mieux. Les locaux et leur aménagement doivent permettre de favoriser cela. C’est dur de recruter de la main-d’œuvre, on le sait, et néanmoins on fait travailler les gens dans des conditions qui ne sont pas optimum. Je souhaite donc que l’on soit toujours force de propositions pour concevoir des lieux qui permettent d’améliorer les relations humaines et l’efficience dans l’entreprise. Et donc on change énormément nos bureaux actuellement. Par exemple, la Daf et moi expérimentons le fait de ne pas avoir de bureau fixe, ce qui nous met en position d’agilité. On ne peut pas dire « innovons » et être toujours ancrés ! En tout cas, pour moi, un dirigeant ne doit pas avoir de bureau, ça c’est sûr. On a tellement de tâches différentes qu’il faut un endroit adapté pour chacune.

Et que souhaitez-vous pour l’entreprise à plus long terme ?

Dans cinq ans, je souhaite qu’on ait une vraie responsabilité pour aider nos clients à contribuer à un monde meilleur.

 

1. Les “gazelles“ sont des entreprises à forte croissance désignées ainsi par le gouvernement de Villepin.

https://www.vivolum.fr/

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