Couverture du journal du 19/04/2024 Le nouveau magazine

L’entreprise, sésame de la reconversion des sportifs pros?

Une soirée débat sur la reconversion professionnelle et la transition de carrière des sportifs de haut-niveau était proposée en mars dernier à Nantes. L’occasion d’évoquer les difficultés des sportifs pros à se projeter dans l'après-carrière et de découvrir que l’entreprise peut-être la clé d’une reconversion réussie.

Philippe Spanghero a raconté pourquoi il a décidé d'entreprendre à seulement 24 ans, alors qu'il était rugbyman professionnel.

Philippe Spanghero a raconté pourquoi il a décidé d'entreprendre à seulement 24 ans, alors qu'il était rugbyman professionnel.

Qu’elle soit naturelle ou prématurée, la fin de carrière est un passage obligé dans la vie de tout sportif de haut-niveau. Elle est la plupart du temps synonyme de reconversion professionnelle, une étape qu’ont accepté d’aborder les sportifs présents à la soirée-débat proposée, le 9 mars dernier chez Onepoint à Nantes, par le Comité local de coordination des Pays de la Loire de la Coupe du monde de rugby 2023.

Interrogé par l’animateur Thierry Cabannes, Philippe Spanghero, ancien joueur du Stade Toulousain, du Racing Club Narbonnais et de l’US Carcassonne, a planté le décor en évoquant sa propre reconversion : « Ma carrière de sportif professionnel s’est arrêtée à 24 ans. Après avoir joué un an en pro à Narbonne, j’ai pris conscience que j’avais loupé le train du très haut niveau et je suis parti à Carcassonne. Comme je craignais de végéter à un niveau intermédiaire, j’ai demandé à la direction du club d’aménager mon emploi du temps pour préparer ma reconversion. J’ai ensuite décidé de m’associer avec mes anciens coéquipiers du Stade Toulousain pour créer en 2008 mon entreprise de conseil en communication, Team One Groupe (5 M€ de CA, 23 salariés, NDLR). »

Capitaine des Corsaires de Nantes (hockey), Cédric Custosse a évoqué la liquidation judiciaire de son précédent club.

Capitaine des Corsaires de Nantes (hockey), Cédric Custosse a évoqué la liquidation judiciaire de son précédent club.

« La reconversion se construit dans la durée »

Ayant pris sa retraite sportive en juin 2022, la basketteuse aux 107 sélections en équipe de France Diandra Tchatchouang a elle aussi envisagé la suite très tôt, dès 19 ans : « J’ai toujours eu en tête de faire passer les études avant le sport parce que je n’avais aucune certitude de pouvoir un jour vivre du basket. J’ai donc suivi des études de sociologie et ensuite, en parallèle de ma carrière de basketteuse, un cursus à Science Po Paris dédié aux sportifs de haut niveau. La reconversion se construit dans la durée. Il faut l’anticiper. Ce n’est pas à 30 ans que ça se prépare. »

« En même temps, ça n’est pas évident de penser à la suite quand on gagne beaucoup d’argent en tant que jeune sportif », a relancé l’animateur. « Effectivement, la reconversion est un sujet compliqué à aborder car les joueurs perdent très vite contact avec la réalité quand ils commencent à toucher un salaire de pro, a embrayé Philippe Spanghero. Aujourd’hui, un jeune espoir qui signe au Racing à 19 ans va toucher 10 000 € par mois. C’est traître car ce n’est pas assez pour assurer tes arrières, et en même temps, c’est beaucoup trop pour garder les pieds sur terre. »

Des propos confirmés par Sylvain Marconnet, ancien pilier de Biarritz et du Stade Français ayant rejoint Team One Group lors de sa reconversion : « Le problème quand on est sportif de haut niveau, c’est que la vie est inversée en termes de rémunération. On touche nos meilleurs revenus à 20 ou 30 ans et cela bouleverse la construction classique d’un homme. Aujourd’hui, c’est donc tout sauf évident pour des gamins qui vont gagner plusieurs dizaines de milliers d’euros par mois de les convaincre d’anticiper leur reconversion et d’avoir en tête dès le début de leur carrière un double projet. »

Ancien joueur et président du Stade Nantais, Francis Pautric, a rebondi sur ces propos : « Personne n’étant à l’abri d’une blessure, tout peut s’arrêter du jour au lendemain. Et si on n’a pas anticipé, et bâti en parallèle un projet de vie, l’échec peut être d’une violence inouïe. »

Cet arrêt brutal, le hockeyeur Cédric Custosse, actuel capitaine des Corsaires de Nantes et expert-conseil patrimonial chez Mili-Invest, en a fait les frais : « Mon ancien club (Les Lions de Lyon, NDLR) s’est retrouvé en liquidation judiciaire en pleine saison. Du jour au lendemain, je n’avais plus de salaire, ni d’emploi. J’avais heureusement suivi des études tout au long de mon cursus. J’ai été transféré en urgence à Nantes et me suis dit qu’il fallait que je capitalise sur mes diplômes tant que j’en avais encore le temps et l’énergie. Mais ça n’est pas évident : quand on sort de l’entraînement ou d’un match, on a envie de tout sauf de se mettre derrière un bureau ou aller travailler. »

Capitaine des Corsaires de Nantes (hockey), Cédric Custosse a évoqué sur la liquidation judiciaire de son précédent club.

L’ancien rugbyman international Sylvain Marconnet, et la basketteuse aux 107 sélections en équipe de France, Diandra Tchatchouang.

« Sportifs et entreprises ont des choses à s’apporter mutuellement »

Pour se reconvertir, « le sportif bénéficie heureusement d’une bonne image en entreprise, a temporisé l’ancien dirigeant du Stade Nantais. C’est particulièrement vrai pour le rugby grâce aux valeurs d’engagement, de solidarité, de sérieux, d’amitié, de respect qu’il véhicule ».

« J’ai compris très tôt que le rugby était un sport à part pour toutes les relations qu’il permet de tisser entre entreprises locales et clubs, a complété Philippe Spanghero. En tant que joueur, on bénéficie de cette petite notoriété qui nous ouvre des portes. Le problème en France, c’est qu’on manque de moyens pour comprendre la véritable place du sport dans la société. Quand on aura un regard différent sur le sport et les sportifs, on pourra commencer à travailler différemment pour rapprocher le monde de l’entreprise de celui du sport, qui sont interconnectés et ont beaucoup de choses à s’apporter. Mais la réalité aujourd’hui en France, c’est que beaucoup de nos chances de médaille aux JO sont obligées de lancer des cagnottes Leetchi pour financer leurs entraînements. Ça n’est pas normal et sur ce point on est particulièrement en retard sur les États Unis. »

Ayant évolué sur les parquets américains une partie de sa carrière, la basketteuse Diandra Tchatchouang a reconnu que « le sport y est davantage valorisé qu’en France. Grâce à leur système scolaire, le sportif, qui a décroché une bourse, est vu comme celui qui se démène pour être le plus performant possible. Par conséquent, les sportifs américains n’ont aucun souci de reconversion car ils sont tous diplômés ».

Le mot de la fin est revenu à Philippe Spanghero : « Les jeunes sportifs pros doivent prendre conscience que l’image dont ils bénéficient en performant leur amène énormément en termes de réseau. C’est une richesse dont ils doivent profiter pendant qu’ils y ont accès car, le jour où ça s’arrête, ces deux mondes ne se recroisent plus. »