Comment est née votre passion pour les arts martiaux mixtes (MMA) ?
Quand j’étais lycéenne, je souhaitais pratiquer la boxe mais ma mère n’a jamais accepté… J’ai gardé ce projet en tête et en 2021 à Paris, durant mon année de césure à Audencia, j’ai décidé de tester le grappling, un sport de combat au sol. Mais le club le plus proche de chez moi ne proposait que des cours féminins de MMA. Comme la partie au sol m’intéressait, j’y suis tout de même allée. Et j’ai adoré, notamment la mentalité de la coach, mais aussi le niveau de certaines pratiquantes, qui a été très inspirant… À tel point que je n’ai plus jamais lâché. Lors de mon retour à Nantes, j’ai donc cherché un club de MMA. J’ai rejoint le Parabellum Combat Club, car il disposait d’une section féminine. Et au fil des mois, j’ai été dans des cours mixtes pour me confronter à des hommes.
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À quel moment avez-vous songé à la compétition ?
Mon ambition n’était pas de combattre. J’avais l’impression qu’il fallait un niveau énorme pour entrer dans la cage. Mais à force de m’entraîner, ma coach Tevi Say, l’une des pionnières du MMA en France, m’a dit qu’elle me sentait prête et m’a proposé un combat. Comme j’avais participé à pas mal de compétitions de gymnastique plus jeune, j’ai accepté le défi. Et je suis ressortie de la cage ravie, en me disant que j’en voulais encore. D’une part parce que j’avais une grosse marge de progression et d’autre part parce que j’avais envie de me tester à nouveau.
« Affronter mes peurs et sortir de ma zone de confort »
Qu’est-ce que le MMA vous apporte au quotidien et quel est votre palmarès ?
C’est un moyen de me prouver certaines choses, d’affronter mes peurs et de sortir de ma zone de confort. Et c’est une ancre au quotidien : mes entraînements font pleinement partie de mon équilibre. Concernant mon palmarès amateur en MMA, je suis à huit victoires et deux défaites. Par ailleurs, je suis vice-championne de France de karaté mix, un dérivé du MMA, et championne de France de pancrace (sport de combat grec où quasiment toutes les techniques sont permises, NDLR). Mon objectif est d’accumuler de l’expérience en amateur, notamment en participant aux championnats d’Europe. Et dans un deuxième temps de passer pro pour intégrer une grande organisation comme Hexagone, le PFL ou Ares.

L’entrepreneure Myriam Benadda lors du concours Audace 2024. CHARLOTTE DESFARGES
Pourquoi n’avez-vous pas opté pour une carrière dans la finance de marché après votre master à Audencia ?
Après plusieurs stages, j’ai réalisé que les missions qu’on me confiait en cabinets d’audit ou dans les banques ne me convenaient pas. Je suis donc passée par une grosse période de remise en question à la fin de mon master. Finalement, le MMA m’a donné l’opportunité d’entreprendre et ça a été un véritable exutoire.
Quel constat vous a amenée à lancer Enyo, une marque de vêtements de combats pour femmes ?
J’étais à Paris, dans un magasin spécialisé en MMA, car je cherchais un rashguard, un lycra très près du corps spécifique à la pratique des sports de combat. J’ai demandé au vendeur s’il en avait pour femmes et il m’a répondu : « On a arrêté car les modèles qu’on avait en stock ne convenaient jamais aux pratiquantes ». C’est comme ça que j’ai eu l’idée de créer ma marque et de l’appeler Enyo, en référence à la déesse grecque de la guerre dont le nom signifie « la belliqueuse ».
Vous vous êtes investie immédiatement à 100 % dans ce projet ?
Non, au départ j’entreprenais en mode « home-made ». Je travaillais sur le projet une heure par-ci, une heure par-là, et dessinais les modèles à la main. Mais comme je prenais de plus en plus de plaisir à créer, j’ai progressivement décidé m’y investir davantage. Et un peu de la même manière que pour le MMA, c’est devenu une évidence : il fallait que je m’y consacre pleinement.
Comment avez-vous financé l’entreprise ?
J’ai mis de l’argent de ma poche, j’ai effectué un prêt bancaire et obtenu quelques prix grâce à des concours. J’ai également effectué un crowdfunding et j’ai eu la chance d’être accompagnée par des incubateurs qui m’ont permis de bénéficier de prêts d’honneur : Initiative Nantes, Pépite, Centrale Audencia…
Où sont fabriqués vos produits et comment sont-ils designés ?
Je travaille avec une modéliste sur la partie design et la direction artistique. Je mets sur table mes inspirations et elle assure la création, le patronage et les fiches techniques. Une fois prêts, on les transmet à l’usine qui réalise un prototype. Ensuite, on affine jusqu’à lancer la production. Toute la partie sport technique est faite en Chine à partir de matières recyclées : rashguards, shorts, brassières, crop tops et leggings. Les sweats et joggings sont quant à eux fabriqués en Turquie.

Une partie des combattantes sponsorisées par Enyo Women’s Fightwear. JOANNE BELLAY
En quoi votre ligne de vêtements se démarque-t-elle sur le marché ?
Enyo a la particularité de proposer des vêtements de combat pour femme qui s’adaptent à toutes les morphologies, mais aussi des designs qui sortent de ce qu’on trouve actuellement sur ce marché, où tout est très masculin et austère. J’essaie, à travers mes collections, de sortir de ces clichés. C’est pourquoi le logo d’Enyo est une tête de lionne.
Quels sont vos enjeux aujourd’hui ?
Depuis le début de l’aventure Enyo, j’ai vendu la moitié de mon stock, soit environ 250 produits. Je dois donc en priorité accélérer le développement commercial. Mon but, c’est d’écouler mon stock pour tester des nouveautés. Je compte notamment sortir des gants de boxe et des bandes, mais aussi d’autres designs et coloris sur les rashguards afin d’identifier ce qui se vend le mieux.
J’aimerais aussi trouver un profil complémentaire qui a de l’expertise dans le textile, le produit ou l’e-commerce pour m’accompagner au quotidien.
Envisagez-vous d’ouvrir votre capital à des investisseurs ?
Du point de vue financier, je ne gagne pas encore ma vie grâce à Enyo. Je recherche de nouveaux sponsors en plus des deux qui m’accompagnent déjà. Je réfléchis aussi à m’appuyer sur des investisseurs afin de faire passer un cap à l’entreprise : financer du stock, mettre plus de budget sur l’acquisition et lancer de nouveaux produits.
Comment vous organisez-vous au quotidien pour mener de front les entraînements et développer votre entreprise ?
Je me lève tôt, je commence chaque matin par de la préparation physique ou de la course à pied. J’enchaîne à 9h sur ma journée de travail. Et six jours sur sept, je termine par un entraînement de MMA.
En quoi le coaching est-il primordial, aussi bien dans la cage que pour entreprendre ?
En MMA, ça paraît logique : personne n’irait combattre sans un coach à ses côtés. Quand ça ne se passe pas comme prévu dans la cage, elle est toujours là pour m’aiguiller et adapter ma stratégie de combat.
Dans l’entrepreneuriat, c’est moins évident. D’ailleurs, plein de gens entreprennent seuls dans leur chambre et n’ont personne pour confronter leurs idées. C’est super difficile et ça, je l’ai compris. C’est pourquoi j’avance avec un mentor qui vient me challenger et sur qui je peux m’appuyer quand j’ai des doutes ou des décisions stratégiques à prendre.

Une partie des combattantes sponsorisées par Enyo Women’s Fightwear. JOANNE BELLAY
Est-ce que le fait d’avoir appris à encaisser les coups vous aide sur le plan entrepreneurial ?
Les coups, j’en ai effectivement déjà pris et c’est pourquoi avant chaque combat je prépare avec ma coach un « game plan » pour les esquiver. Dans la cage, il y a parfois des moments où l’on a l’impression de ne pas progresser mais les efforts et l’entraînement finissent toujours par payer.
À l’inverse, dans l’entrepreneuriat, c’est beaucoup plus difficile d’identifier les facteurs de risque : un grain de sable peut enrayer la machine et balayer des mois ou des années de travail. C’est pour cette raison que j’ai plus de difficultés à surmonter les moments où ça ne se déroule pas comme prévu pour Enyo.
Quelles sont les qualités nécessaires pour être à la fois sportif de haut niveau et entrepreneur ?
La discipline, le mental, la culture de l’excellence, la résilience, la gestion des émotions, la confiance en soi, l’endurance, l’adaptabilité… Tout ça se recoupe, mais la priorité, c’est de savoir bien s’entourer.
« La priorité, c’est de savoir bien s’entourer »
Quels conseils donneriez-vous à ceux qui veulent se lancer dans le sport pro tout en entreprenant ?
Il faut être conscient qu’être sportif de haut niveau demande énormément de sacrifices.Surtout dans les sports de combat où l’on doit avoir une hygiène de vie irréprochable pour conserver son poids. Après c’est possible d’entreprendre en parallèle, mais il faut garder à l’esprit qu’on ira forcément moins vite que quelqu’un qui est à 100 % sur sa boîte. Dans ma tête, j’ai deux entreprises : Enyo et combattante MMA. Je vais peut-être moins vite que quelqu’un qui n’en a qu’une, mais je continue à avancer. Et c’est ça l’essentiel.

La combattante et entrepreneure Myriam Benadda. LEA LAURE