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Le BTP se met au vert pour bâtir la ville de demain

Face aux enjeux climatiques, quelles solutions s’offrent aux acteurs de la construction pour bâtir la ville de demain, tout en limitant l’artificialisation des sols ? Comment optimiser les ressources pour allier développement économique et durable ? Autant de questions abordées lors d’une table ronde organisée par la Jeune chambre économique de La Roche-sur-Yon, le 16 mars dernier, à la Chambre de métiers de Vendée.

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Dans une perspective d’optimisation énergétique, Cougnaud propose des solutions modulaires couplées avec des panneaux photovoltaïques en toiture. Ici, la Maison des communes à La Roche-sur-Yon. ©Cougnaud

Le secteur du bâtiment représente 43 % des consommations énergétiques annuelles et génère 23 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) en France[1]. Face au réchauffement climatique et alors que la question de l’énergie est l’un des plus grands défis de notre ère, comment les entreprises du bâtiment peuvent-elles limiter leur impact environnemental ? L’économie circulaire est-elle l’une des solutions à leur portée pour construire un monde plus durable ? Pour lever le voile sur ces enjeux et apporter des éléments de réponse concrets, la Jeune chambre économique de La Roche-sur-Yon a réuni plusieurs grands témoins le 16 mars, à la Chambre de métiers de Vendée.

L’épuisement des ressources

« Le réchauffement climatique, c’est LA question essentielle du moment et, pour en atténuer les impacts, le secteur de la construction doit absolument appuyer sur le frein et agir sur son empreinte carbone, pose d’emblée Pierre-Yves Legrand, directeur de Novabuild, cluster qui rassemble 420 acteurs de la construction, de l’immobilier et de l’aménagement en Pays de la Loire. Mais ce n’est pas suffisant. Car l’autre grand enjeu, c’est la biodiversité. Or, la perte de celle-ci est principalement liée à l’artificialisation des sols pour construire des ouvrages. Enfin, il y a aussi la question des ressources. Le XXIe est le siècle de l’épuisement des ressources. La crise ukrainienne a certes déclenché une importante hausse des prix. Mais celles et ceux qui pensent qu’il va y avoir une pause n’ont pas vu les différentes strates qui nous indiquent que telle ou telle ressource dite naturelle sera bientôt épuisée. La pression sur les prix et les matériaux va être considérable. »

Mutualiser et optimiser

Pas question pour autant pour l’expert de sombrer dans un pessimisme inexorable : « Nous avons plein de choses à imaginer ensemble ». Première piste à explorer : l’intensification des usages. « Pour un ouvrage, c’est par exemple l’amphithéâtre d’un lycée transformé en cinéma le soir, illustre Pierre-Yves Legrand. Dans le tertiaire, c’est aussi l’usine à étage ou l’usine partagée. »

La mutualisation des espaces et de leurs usages est notamment envisageable dans la zone d’activités de demain. C’est en tout cas l’avis d’Alain Bodet, président-fondateur de VFE, une entreprise vendéenne qui intervient dans le secteur de l’énergie pour le compte des collectivités. « Dans cette zone d’activités du futur, nous devrons mutualiser les parkings et les abris pour les vélos ou trottinettes, arrêter de construire à trois mètres du bord – cette bande est inutile – mais plutôt en limite de propriété ou encore verticalement. Chez VFE, nous allons ainsi faire une extension de nos locaux en mettant les bureaux au-dessus de nos ateliers. Demain, peut-être faudra-t-il imaginer, ici ou ailleurs, créer des logements au-dessus des bureaux. À l’heure où l’on peine à recruter, cela peut être un atout pour attirer des salariés de l’extérieur et leur famille. »

Autre levier pour bâtir un monde plus durable : l’optimisation des ressources, une action finalement très proche de la sobriété. « Dans une zone d’activités, poursuit Alain Bodet, nous pouvons imaginer mutualiser la collecte d’eau, l’énergie avec une centrale photovoltaïque ou en récupérant la chaleur fatale d’un data center via un réseau partagé et installé au cœur de la zone. Nous pouvons également mutualiser le stockage ou la rampe logistique. »

Réduction de l’empreinte carbone

Chez Edycem, la branche béton du groupe vendéen Herige, l’une des premières attentions portées aux ressources, c’est celle de leur empreinte carbone. « Le béton utilise du ciment, cuit à haute température. Cela nécessite de l’énergie fossile. Résultat ? Le béton est responsable de 5 à 6 % des émissions de CO2 en France, rappelle Olivier Collin, directeur général d’Edycem. La priorité, quand on fabrique du béton bas carbone, c’est de diminuer la quantité de ciment tout en gardant les mêmes caractéristiques de résistance et de durabilité que le béton classique. » Dès 2002, l’entreprise s’est donc associée avec l’École centrale de Nantes pour créer une chaire Béton et développer des produits innovants et moins impactants pour l’environnement. Vitaliss®, la gamme de béton bas carbone lancée en 2020, en est l’une des résultantes très concrètes. Celle-ci affiche des baisses de CO2 allant de 20 % à plus de 50 %.

« Cette démarche repose sur trois piliers, précise Olivier Collin. Le premier, c’est évidemment l’innovation. Le second, c’est l’information donnée aux clients sur les émissions de carbone de nos produits. Sur le même principe que le nutriscore, nous avons adopté le vitascore. Le béton le plus carboné étant noté D, le moins carboné A+. Le troisième et dernier pilier, c’est d’avoir positionné le béton avec un premier niveau de réduction de carbone (de -20 à -30 %) au même prix que le béton traditionnel. L’objectif ? Démocratiser l’accès au béton à l’empreinte carbone réduite. »

Vers une économie circulaire

Agir contre l’épuisement des ressources passe aussi par une réduction du gaspillage, et donc par davantage de réemploi et de recyclage – c’est le principe de l’économie circulaire -, mais aussi par une revalorisation des déchets issus de la construction. Et là, on pense à l’économie bleue définie par l’association ligérienne Ruptur. « Dans ce monde, le déchet est plutôt une ressource et tout est fait pour remettre cette matière première à l’entrée du système et faire en sorte qu’elle ne soit jamais périssable », souligne Alain Bodet. Ces deux modèles sont au cœur de la loi Rep « Bâtiment ». Depuis le 1er janvier 2023, la responsabilité élargie du producteur impose en effet la collecte, le recyclage et la réutilisation de tous les déchets du bâtiment à la charge des metteurs sur le marché.

Première règle de base pour faire naître une filière de revalorisation ou de recyclage : optimiser la gestion de ces déchets et leur retour du chantier. Accompagner les entreprises du bâtiment et les maîtres d’ouvrage à mettre en place une telle organisation, c’est justement l’une des missions du Vendéen Lean’Nov. « Il faut intégrer la gestion des flux entrants et sortants dès la phase de conception du projet, préconise Thibaut Lanthiez, directeur de la société. Et dans les cas de déconstruction, il est important d’identifier les matériaux réutilisables et de savoir où l’on va les stocker et avec quels moyens. »

« Le meilleur matériau, c’est celui que l’on a déjà, complète Antoine Loiseau, directeur général de Cougnaud, leader de la construction modulaire. Notre activité est nativement dans l’économie circulaire. Nous assemblons des châssis tri-dimensionnels sur lesquels nous venons ajouter des composants : toit, plancher, murs, fenêtres… Nous pouvons fixer ces modulaires sur site, les démonter, les reconditionner et les déplacer sur un autre site. Ce mode constructif nous permet de répondre à de nombreux défis environnementaux comme les économies d’énergie. Par exemple, nous proposons des solutions modulaires associées avec du photovoltaïque en toiture avec des performances énergétiques RE 2020 et RE 2028. Demain, certains modulaires pourraient même devenir producteurs d’énergie. »

Second levier : rassembler les gisements des différents industriels pour créer du volume. « Nous étions plusieurs industriels à avoir, chacun de notre côté, des petits volumes de chutes de polystyrène. Isolés, ces gisements étaient inintéressants pour une filière de revalorisation, témoigne Alain Bodet de VFE. C’est là que nous avons su que l’entreprise Cougnaud avait un stock d’environ 100 m3. En les unissant aux nôtres, nous avions enfin un volume conséquent à faire traiter par un prestataire commun. Une fois décompacté, le matériau se transforme en petites billes, utilisées dans des sièges ou des poufs. »

Autre débouché plein d’avenir : la matériauthèque. Située à l’entrée d’une zone d’activités ou d’un chantier, on y retrouverait des déchets d’emballage ou issus de la (dé)construction. Elle serait, dans un premier temps, réservée aux professionnels de la zone ou aux collectivités. Mais pourquoi ne pas l’ouvrir ensuite au grand public, à l’image de ce que fait le promoteur vendéen Duret sur son chantier d’écoquartier Eclosia Parc, à La Roche-sur-Yon ?

« Pour généraliser les banques de matériaux et du réemploi, estime Pierre-Yves Legrand, il faut lever quelques obstacles réglementaires. Par exemple, réutiliser une fenêtre dans un autre bâtiment, on sait techniquement le faire mais il existe de vrais risques juridiques pour le professionnel qui le fait. Il faut modifier la réglementation. D’une manière générale, il faut développer la culture de l’économie circulaire, réutiliser de l’ancien plutôt que du neuf. Nous devons nous habituer à valoriser des choses faites par nos anciens et que nous pouvons continuer à utiliser. C’est un changement de mentalité, de paradigme. »

[1] Source : Ecologie.gouv.fr/construction-et-performance-environnementale-du-batiment