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La sécurité en état de vigilance

Face au choc économique que génère l’épidémie de Covid-19, la rédaction d’IJ a choisi de prendre le pouls d’un certain nombre de secteurs clés. Moins impacté que d’autres, celui de la sécurité n’en est pas moins inquiet pour son avenir. Les contrats engrangés pendant le confinement ne compensent pas les pertes et ne sont que temporaires.

Agents de sécurité pour une entreprise, un événement ou une copropriété, maîtres-chien, transporteurs de fonds, agents des ports et des aéroports… Le secteur de la sécurité privée comporte bien des métiers. 
Selon les derniers chiffres de l’Observatoire des métiers de la prévention-sécurité, le secteur comprenait, en 2018, 3 514 entreprises en France, 39 de plus de 500 salariés et 2 352 entre 1 et 19  salariés1.

La situation des entreprises de la filière face à la crise varie selon le secteur dans lequel elles interviennent, tout comme celles de la propreté ou du numérique que nous avons pu aborder dans nos éditions précédentes (L’I.J des 8 et 29  mai 2020). Dépendantes de la santé économique de leurs clients, les sociétés de sécurité privée sont inquiètes, même si certaines ont réussi à trouver de nouvelles prestations pour tenter de maintenir leur niveau d’activité.

Ainsi, Servan Lépine, dirigeant de la société Excelium, basée à Orvault, et intervenant au nom de l’organisation professionnelle GES (Groupement des entreprises de sécurité)2  insiste : « Face à la crise du Covid, il faut avoir une approche par spécialisation. L’activité la plus impactée est celle de l’événementiel. Certaines entreprises de sécurité sont, du reste, dans une situation critique. » Si une première enquête du GES, réalisée début avril auprès de ses membres, table sur une baisse d’activité de 22%, il existe une forte différence en fonction des secteurs d’intervention de ces entreprises.

Le GES bataille d’ailleurs pour obtenir une exonération des cotisations sociales et inscrire leur secteur dans la liste des « activités en amont ou aval des secteurs les plus durablement affectés car soumis à des restrictions d’activité allant au-delà du 11 mai3. » Un courrier en ce sens a été adressé au ministre le 29 mai4.

TÉLÉSERVICES EN CONTINU

La sécurité mobile assurée par des agents effectuant des rondes de surveillance est restée stable avec la nécessité de sécuriser les zones d’activité et, ponctuellement, certaines entreprises. Les activités technologiques de sécurité (alarme, contrôle d’accès) ont connu un léger fléchissement, excepté les téléservices qui, par définition, ont conservé leurs activités. 

Servan Lépine estime que, globalement, « le secteur a été touché par la crise de façon importante, avec des coûts de structure maintenus alors que l’activité était réduite ». 

C’est le cas de l’entreprise GP2S, basée à Saint-Herblain. « L’annonce du confinement a été un gros choc, avec la perte immédiate de l’activité évènementielle et du gardiennage des écoles privées, témoigne Éric Tessier, son dirigeant. Les contrats ont seulement été suspendus mais c’est de la perte sèche car nous sommes rémunérés à l’heure de prestation. » L’entreprise accuse une perte de 40% de son activité pendant la période de confinement. Les 60% restantes ont pu être maintenues (supermarchés, institutionnels, mairies…). 

« Nous avons eu la chance de récupérer des marchés en avril, notamment avec La Poste pour qui nous travaillions déjà. Nous avons mis en place des agents de sécurité pour réguler les flots de clients et assurer les distances physiques. » Mais cette prestation n’était que temporaire et elle s’est arrêtée avec le déconfinement le 11 mai. Éric Tessier a du mal à évaluer précisément les pertes du fait de ces contrats supplémentaires qui ont compensé en partie les prestations perdues. « C’est encore trop tôt, estime-t-il. C’est maintenant que cela va être compliqué. »

DE NOUVEAUX PRODUITS

Patrice Szwerbrot, dirigeant de la jeune société Protek System basée à Couëron, a lui aussi accusé le coup. « En mars, avec le confinement, des commandes déjà passées n’ont pu être honorées car les clients ne voulaient pas nous rencontrer. On a préféré mettre nos cinq salariés au chômage partiel. »  Il estime à 80% la baisse de son CA5 par rapport à l’année dernière. Il a tenté de se lancer dans le contrôle du public via des caméras thermiques, un système très développé en Asie, afin de s’adapter à la crise. Un équipement qui ne nécessite pas de prestation d’installation de la part de l’entreprise de sécurité et lui permet donc de lever l’obstacle des distances de sécurité, le client effectuant lui-même l’installation. Leur premier acheteur est la société de transport public d’Évreux, Transurbain. Elle l’utilise pour contrôler la température des chauffeurs de bus à leur arrivée au dépôt. « Un cluster dans une entreprise, ça coûte cher, rappelle Patrice Szwerbrot. Notam­ment en termes d’arrêt de travail. » Une boîte de nuit du Morbihan se dit également intéressée mais attend de pouvoir rouvrir. Elle lui a, en revanche, commandé un thermomètre laser, moins cher, qui peut être utilisé par un videur pour contrôler l’entrée des clients.

Patrice Szwerbrot, dirigeant de Protek System, basée à Couëron

Protek system a aussi profité du confinement pour communiquer sur les réseaux sociaux, « chose que nous n’avons pas le temps de faire en temps normal ».

De son côté, Excelium, qui intervient sur toute la France et compte six agences, est confiante : l’entreprise n’a pas vraiment été touchée par la crise. « Nous avons assuré nos acti­vités dans leur intégralité, avec parfois des prestations supplémentaires. Les clients ont été demandeurs de sécurité technologique pour renforcer et adapter la sécurité, notamment la sécurisation des chantiers du BTP avec des équipements de vidéosurveillance et de détection de présence », explique son dirigeant Servan Lépine.

Excelium a tout de même dû placer son personnel commercial et administratif en chômage partiel. « Mais cela représente 5% de nos 150 salariés, ce qui est marginal. » Le chef d’entreprise a demandé un prêt garanti par l’État (PGE) : « Nous avons un portefeuille de 10 000 clients de toute taille et de tout secteur d’activité (industries, collectivité, tertiaire, VIP…) pour un CA annuel de 10 M€. Le PGE, à hauteur de 10% du chiffre d’affaires, va nous servir à couvrir d’éventuels risques de défaillance financière de nos clients. Nous allons rester vigilants sur les taux d’impayés. »

Protek System a obtenu deux fois 1 500 € du Fonds de soli­darité nationale ainsi qu’un PGE auprès de la banque. « La banque a tout de suite accepté notre demande, alors que nous n’avions pas de premier bilan officiel. C’est une solidarité précieuse, souligne Patrice Szwerbrot. Tout comme celle des fournisseurs qui ont accepté de décaler tous nos paiements. Je les ai payés une fois le PGE reçu. »

La société GP2S, en revanche, n’a pas encore demandé de PGE mais elle y pense. 

UNE PRIME IMPOSSIBLE

Si le GES salue ces dispositifs d’aide, les entreprises de sécurité privée ont mal vécu l’incitation du gouvernement à verser une prime de 1 000 € aux salariés qui ont continué de travailler (hors télétravail). Le GES estime que cette proposition « est arrivée comme un cheveu sur la soupe ». « Avec des salariés payés au Smic, des marges quasi nulles, nous ne sommes pas en position de verser une prime. Cela a été compliqué socialement », témoigne Servan Lépine.

Qu’en est-il de la situation du secteur aujourd’hui ? GP2S qui intervient uniquement en Loire-Atlantique pour un CA annuel de 2,3 M€ et 80 salariés, est dans l’attente de nouveaux contrats : « Nous ne recevons aucune demande de devis. Les entreprises semblent frileuses. On se demande quand les événements pourront reprendre, avec combien de personnes… Nous ressentons vraiment la crise maintenant. Nous espérons que l’activité reprenne à 100% à la rentrée, mais j’en doute. »

Au contraire, Protek System qui, elle, est spécialisée dans la surveillance techologique, a constaté un regain d’activité avec le déconfinement. « Toutes les entreprises qui avaient des projets ont pu se lancer, y compris celles dont les commandes étaient déjà validées. Avec les cambriolages d’entreprises (lire l’encadré ci-dessous) en hausse pendant le confinement, certaines ont décidé de s’équiper. D’autant que les prix des technologies ont beaucoup évolué ces dernières années et sont devenues plus accessibles. Nos délais d’installation s’allongent, témoigne Patrice Szwerbrot. Tant mieux car cela fait peur. On se posait pas mal de questions. Là, avec ces nouvelles installations, la trésorerie a été renflouée pour deux-trois mois de charge. » Protek System travaille essentiellement en Loire-Atlantique, avec des clients en Bretagne, Bourgogne, région parisienne…

Excelium prévoit de son côté un ralentissement de son développement en 2021, mais espère maintenir son niveau d’acti­vité cette année. 

« Aujourd’hui nous avons pris un peu de recul avec cette crise pandémique. Tout le monde s’est ajusté mais il faut saluer le travail des agents de sécurité qui ont accepté de mener des actions sur le terrain pour assurer la sécurité des sites et des environnements sensibles. Tout le monde était au début dans l’incertitude de l’évolution de cette maladie. La profession a su être responsable. Cela montre l’attachement des salariés à leur travail malgré les impacts psychologiques réels quand un collègue manifestait des symptômes, en dépit de la mise en place des protocoles sanitaires. Il y a eu des périodes d’inquiétudes fortes avec des cas de contamination6. » Les équipes ont, par ailleurs, dû s’adapter aux changements de planning, avec des missions annulées et de nouveaux contrats, dans un climat de ‘‘psychose pandémique’’. Certains n’ont pas voulu venir travailler. Aujourd’hui encore, on constate une inquiétude profonde de la part de certains collaborateurs. Mais il est nécessaire de reprendre un rythme normal, tout en continuant d’appliquer les règles sanitaires », estime Servan Lépine. 

Le GES estime ques ses entreprises ont été « les oubliées » des secteurs de la deuxième ligne. « Nous avions été un peu valo­risés lors des attentats. Nous avons interpellé le ministre de l’Inté­rieur à ce sujet, mais sans réponse », indique Servan Lépine. 

  1.  Les chiffres par région ne sont pas disponibles.
  2.  Le GES représente 80% des entreprises du secteur.
  3. Il s’agit des secteurs des CHR, du tourisme, de l’événementiel, du sport et de la culture.
  4. Sans réponse au 26 juin, mais le GES estimait que « c’était bien engagé »
  5.  Protek System, créée en août 2018, a enregistré un CA de 280 000 € pour son premier exercice.
  6. Le chef de la sécurité du centre commercial O’Parinor en région parisienne est décédé à 45 ans du Covid-19.

Des cambriolages en hausse

Pendant le confinement, Servan Lépine, dirigeant d’Excelium, a noté une baisse des intrusions en mars mais une hausse en avril. Éric Tessier, de GP2S, a également constaté plus de cambriolages d’entreprises, six en un mois. « C’est bien plus que d’habitude. En général, pour notre structure, nous en comptons un par mois. 
Ces cambriolages visaient des magasins, des bureaux avec intrusions et vols de matériels à Nantes et des communes de la métropole (Carquefou, Saint-Herblain). » A contrario, il y a eu moins d’incidents chez les particuliers puisqu’ils restaient chez eux, alors que ces sinistres représentent le gros de leurs interventions.
Patrice Szwerbrot a constaté de nombreux vols, sur les chantiers, de fenêtres, radiateurs, matières premières…


Prendront-ils la température ?

Face aux demandes pressantes de donneurs d’ordre, en mai, d’effectuer des contrôles de température, le GES a « élaboré des recommandations afin que ces contrôles de température se déroulent dans des conditions sanitaires, juridiques et opérationnelles claires », rappelle le groupement dans un communiqué.  « Dans le cadre de leur responsabilité pénale d’assurer la santé et la sécurité de leurs salariés, des chefs d’entreprise ont demandé à pouvoir relever les températures, alors que l’environnement d’un site est parfois plus ou moins délicat à traiter avec les mesures de réduction des contacts et de désinfection », explique ainsi Servan Lépine, intervenant au nom du GES. C’est le cas de lieux publics, galeries commerciales, Ehpad… 
« C’est à décider par le client. On a considéré que, sur le plan professionnel, cette prise de température vient dans le périmètre de nos agents. Aujourd’hui, nous sommes en train de travailler sur la prise de température de masse avec la vidéosurveillance. 
Et également les systèmes de comptage du nombre de personnes par m2 dans les lieux publics. Ce type de dispositif est très demandé pour réguler les flux dans les secteurs qui en ont obligation. Cela pourra être intéressant en cas de deuxième vague. »

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