Couverture du journal du 19/04/2024 Le nouveau magazine

« On compte sur la solidarité du territoire »

C’est bien connu : quand la situation économique se tend, la communication trinque… La crise inédite que nous connaissons fera-t-elle mentir cette réalité ? Co-président de l’APCOM, l’association qui fédère quelque 200 professionnels de la communication en Pays de la Loire, et co-dirigeant de l’agence de production audiovisuelle Mstream, Yvonnick Bouyer dresse un bilan de la situation.

Comment vont les professionnels de la communication ?

Tout le monde n’est pas logé à la même enseigne selon la typologie d’acteurs, qu’ils soient annonceurs, agences ou freelances. Du côté des annonceurs, la plupart ont arrêté de communiquer. Au début du confinement, beaucoup n’ont pas osé faire du démarchage, d’autres ont donné la priorité au sani­taire et pour tous, il était hors de question de parler busi­ness. Résultat : pour l’audiovisuel et la presse, la publicité s’est écroulée. D’autant plus que l’événementiel, qui constitue une source importante de communication, a été mis à l’arrêt. Ceux qui ont communiqué malgré tout l’ont fait sur les valeurs des marques. Ça se faisait un peu avant, mais là on assiste à un inversement : la RSE est devenue le noyau dur de la communication, avec la mise en avant du local, de la solidarité.

Seul le digital a été épargné, les annonceurs ayant pour le coup, pendant cette période de confinement, pris le temps de comprendre la communication digitale. De Tik Tok à LinkedIn, en passant par Instagram, il y a eu une prise de conscience de la puissance de ces réseaux sociaux et du fait que les annonceurs pouvaient maîtriser cette communication, et ça, c’est plutôt positif.

Et du côté des agences ?

En général, elles ont pris une grosse claque… Dans le secteur audiovisuel et événementiel, la crise a déjà été fatale pour des entreprises, à l’image du standiste BK Event qui comptait une centaine de salariés. Pour certaines agences, le printemps constitue la moitié du chiffre d’affaires annuel… On fera vraiment les comptes entre octobre et décembre, mais on sait déjà que beaucoup veulent baisser leurs frais de structure au maximum.

Là encore, les agences 100% digital s’en sortent mieux. Intuiti ou Digital Garden, par exemple, ont réussi à garder de l’acti-
vité. Avec une bonne nouvelle aussi : la période a permis d’établir pour la première fois une relation de connivence entre les agences et les annonceurs.

Je pense que les agences vont vraiment devoir retravailler leurs propositions en les orientant vers les valeurs. La tendance va vers moins de publicité et plus de notoriété. Il suffit de voir les publicités d’une enseigne comme Intermarché qui ne communique plus sur les promos pour tel ou tel produit, mais raconte désormais des histoires d’amour. Jouer sur l’affect, convaincre subtilement : avec la crise sanitaire, les gens ont besoin de savoir qui est derrière ce qu’on vend.

Les agences de communication, sentant bien qu’elles allaient affronter une période difficile, ont fait deux choses. D’abord, elles sont en train de se rassembler autour d’une grosse asso­ciation nationale, sous l’impulsion de Mercedes Erra* et d’Emmanuel Macron, avec l’objectif de créer une vraie filière, dotée d’un observatoire. Ensuite, c’est le retour d’un mouvement « La com se manifeste », né il y a quelques années : beaucoup d’agences en ont marre de devoir travailler sur des propositions créatives pour les appels d’offres, sans rémunération.

Quid des freelances ?

Très nombreux dans la communication, ils n’ont pas beaucoup de trésorerie. Ils ont bien sûr été un peu fragilisés, mais leur force, c’est qu’il ne leur faut pas beaucoup pour repartir. Je pense qu’une des tendances pour les agences et les annonceurs va être d’ailleurs de passer de salariés à freelances. C’était d’ailleurs déjà une tendance montante, à l’image de ce qui se fait aux États-Unis. Il y a encore quatre ou cinq ans, être freelance, c’était un peu honteux, mais depuis, leur image a beaucoup changé. Et, pour les entreprises, recourir à des freelances leur permet d’alléger leurs charges tout en leur enlevant des soucis RH.

Quelles autres tendances, imputables à la crise sanitaire, relevez-vous dans votre secteur ?

Je constate qu’on parle vite budget. Ce n’était pas le cas avant la crise. Auparavant, il fallait un différentiel de 30 à 40% 
pour une mise en concurrence, désormais c’est le cas à partir de 10%.

Autre tendance : avant, quand on faisait un rendez-vous commercial en visioconférence, on ne signait jamais. Les gens ayant pris l’habitude de cet outil, on arrive désormais à finaliser un accord. Je pense qu’on va moins aller à Paris pour un rendez-vous ou, en tout cas, qu’on va se poser la question de savoir si c’est pertinent.

De même, on a vu une montée en puissance des formats 
digitaux : e-convention, web émission… quel que soit le terme. Si je prends l’exemple de Mstream, on n’en faisait pratiquement pas avant, ou alors, uniquement lorsqu’il y avait des contraintes énormes. Malgré tout, on reste persuadé qu’il faut quand même pouvoir se rencontrer. On parle donc de plus en plus d’hybridation, avec un peu de présentiel, un peu de digital, c’est ce qu’on appelle les événements ‘‘phygitaux’’. Pour les conventions d’entreprises, les AG… je pense que ça va 
durer car ça fonctionne bien. D’abord, il y a moins de contraintes : lorsqu’on a rendez-vous à 18 h, deux minutes avant, on peut encore faire autre chose. On a aussi l’impression d’être plus libre. En revanche, il ne faut pas sous-estimer la forme, le format, veiller à ne pas faire des événements trop longs, qu’ils soient bien rythmés. Il est aussi important de faire des tests et des répétitions avant… Cela nécessite presque autant d’exigence que pour les événements physiques, mais ça coûte entre deux et dix fois moins cher. L’inconvénient majeur, c’est l’absence de convivialité. Selon moi, ça marche plutôt pour un message descendant.

Comment voyez-vous les prochains mois ?

On espère pouvoir compter sur la solidarité du territoire, 
le fameux « jeu à la nantaise ». Il faut que les acteurs privilégient le local. Jusqu’ici, le secteur public faisait plutôt moins que plus et le secteur privé, pas du tout. Maintenant, dans
le public, on note une vigilance et dans le privé, on commence à ressentir cette solidarité qui a largement été évoquée pendant la crise.

*fondatrice de BETC, présidente exécutive d’Havas Worldwide et vice-présidente de la filière Communication, Mercedes Erra a impulsé les États Généraux de la Communication.

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